Reportage de l'héliportage avec les CRS jusqu'au CHU avec les médecins
Comment sont pris en charge les victimes d’accidents de montagne, et plus spécifiquement des sports d’hiver ? C’est la question à laquelle Montagnes Magazine a souhaité répondre en partageant le quotidien de ceux qui, travaillant dans l’ombre des projecteurs, agissent tels les anges gardiens des sportifs. Pour cela, nous avons suivi, le temps d’une journée, les CRS et le médecin en pleine action sur l’intense terrain montagnard de l’Alpe d’Huez, ainsi que la vie trépidante des acteurs du service traumatologie du CHU Sud de Grenoble.
L’ALTIPORT : SYMBOLE D’UNE LIBERTÉ Henri Giraud (1879-1949) est le nom de ce fameux général des armées, rival du Général De Gaulle, qui participa activement à la libération de la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Fait prisonnier en Allemagne, Henri Giraud prépara méthodiquement son évasion : il apprit l’allemand pendant deux ans et étudia les cartes des massifs montagneux environnants. C’est ainsi qu’échappé en 1943, il fut reconnu grand homme et rencontra ceux dont les noms sont désormais gravés dans l’histoire : Churchill, Eisenhower, De Gaulle. Tous s’accordèrent entre Alliés pour la Libération. L’altiport de l’Alpe d’Huez est baptisé en son honneur, rendant hommage autant à l’homme qu’à la liberté. envol des hommes de la sécurité civile qui partent pour une nouvelle mission, servant le même idéal qu’Henri Giraud : la liberté. En cette belle matinée ensoleillée de mars, le ciel est bleu, clair, dégagé. Toutes les montagnes et les sommets sont enneigés. Aux abords de l’altiport, deux chalets se trouvent disposés côte à côte. Le premier, plus petit, possède une ossature d’un bois foncé lui conférant un air extrêmement chaleureux. Le docteur Martinon se tient sur le seuil de la porte. Dépêché par le CHU Grenoble Alpes, il accompagne la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) en mission et prodigue les soins nécessaires aux sportifs accidentés. Son chalet est une véritable cabane médicale : table d’examen, sacs d’interventions, perfusions et médicaments occupent l’espace. La spécialité du docteur a nécessité, au minimum, dix ans d’études. Après avoir suivi le parcours classique des études de médecine puis la spécialité de la médecine d’urgence, il a assorti son titre d’un diplôme de secours en montagne. Le matériel de haute montagne est ici roi : paire de skis, piolet, casque, crampons, raquettes, gilet de secours, radio, DVA (Détecteur de victimes d’avalanche). C’est le paradis des alpinistes, des sportifs montagnards. Ce serait se tromper que de penser avoir atteint le pic du matériel d’expertise. Le chalet dispose d’autres équipements encore plus de sauver des vies lors des vols d’hélicopà l’anneau de sécurité pour l’hélitreuillage, longes personnelles pour se sécuriser dans l’habitacle de l’hélico ou sur une paroi rocheuse. Bref, le docteur Martinon est un homme accompli ; il peut désormais consacrer sa vie aux autres. La Compagnie républicaine de sécurité auprès de laquelle corps d’élite.
Un autre chalet se tient à côté de celui du docteur, beaucoup plus grand, telle une maison sur deux étages. C’est celui que se partage, une semaine sur deux, le secours en montagne : la CRS et le PGHM (Peloton de gendarmerie de haute montagne). Parée d’un bois d’épicéa, sa teinte est d’une clarté rafraîchissante. La tour de contrôle de l’altiport est visible depuis le perron. Une pierre d’ardoise est apposée à côté de la porte d’entrée et restitue les fameux mots d’Edward Whymper : « Grimpez si vous le voulez, mais n’oubliez jamais que le courage et la force ne sont rien sans prudence et qu’un seul moment de négligence peut détruire une vie entière de tout. N’agissez jamais à la hâte. Prenez garde au moindre pas et dès le début, pensez à ce sérieuse de rappeler quotidiennement aux hôtes de ce chalet que la liberté se mesure parfois au prix de la vie.
DANS LA DOUCEUR DU CHALET
Yeux verts lumineux et large sourire, Christophe nous ouvre la porte. La pièce
boisée est décorée par les cartes IGN des massifs de la région : Vercors, Chartreuse, Belledonne. Des tenues sont suspendues aux murs de la pièce, des sacs, des casques, des équipements, occupent les coins. Nous suivons Christophe à l’étage. Là, dans une large salle à manger obscure, une poignée d’hommes bavardent, attroupés autour d’un café. Nous nous saluons tous de loin par un mouvement de tête, l’épidémie du COVID-19 interdisant tous contacts physiques cordiaux. Une sonnerie stridente sonne, assourdissante, réveillant le chalet ! C’est un appel au secours. Un médecin de la régulation, à l’autre bout du médicalisée. Il est à peine 9h.
Les hommes dévalent quatre à quatre les escaliers. Deux s’habillent et s’équipent, deux autres, les yeux rivés sur la carte, repèrent le lieu de l’intervention. Ils resteront au chalet pour suivre la mission en temps réel. Moins de dix minutes auront été nécessaires à l’équipe pour qu’elle entre-temps rejoints. Avant de franchir le seuil de la porte, ils procèdent ensemble au MEMO, nom du check-up indispensable : M pour Mission (quelles sont les caractéristiques de la mission : lieu, objectif ?) ; E pour EPI (est-ce que les Équipements de protection individuelle sont adaptés pour cette mission spécifique ?) ; M domaine skiable, secouristes sur place ou non ?) ; O pour Obstacles sur zone (prise en compte de l’environnement du lieu de l’intervention : câble des remontées mécaniques, décollage de parapentes, aéronef, etc.).
Un grand homme blond d’environ deux mètres de haut se tient à côté de l’hélicoptère jaune et rouge. Vêtu d’une combinaison rouge corail, son pied est posé sur le marchepied. Il attend patiemment l’arrivée de l’équipage, impassible, imperturbable. Il observe de loin les hommes traversant le tarmac pour le rejoindre. Cet homme, c’est Vincent, le pilote de l’hélicoptère. Formé par l’armée, il incarne un corps d’élite : sa place est convoitée par 100 mais un seul en sort gagnant. Il apporte une compétence indispensable à l’équipe en cas de secours de nuit : le vol sous jumelles de vision nocturne. Leur maniement permet d’incelle du jour. À situation inextricable, technique imparable.
TECHNIQUE DE HAUT VOL
L’intérieur du cockpit est décoré par une Ils se comptent par centaines. « C’est « Tout est sectorisé, ce qui rend plus facile la recherche d’informations. Nous ne les notre air ébahi. L’hélicoptère se pilote grâce à trois commandes. Le pas général, qui permet à l’hélicoptère de se lever et de se poser ; le manche, qui permet de tourner à droite ou à gauche, d’accélérer ou de ralentir ; et les pédales au sol qui commandent le rotor anticouple, au bout de la queue de l’hélicoptère. Ce piloconcentration de haut vol : ces commandes exigent une coordination d’équilibriste. Un grand homme chauve à la silhouette svelte accompagne Vincent. C’est Franck, le mécanicien. Copilote de Vincent, il gère lui aussi une partie des boutons. Cet ancien militaire est un expert de ce petit bijou. Le modèle EC-145, celui de la base de l’Alpe d’Huez, est fourni par Airbus sont ceux de la sécurité civile. Ce nom représente leur qualificatif radio. Ceux de la gendarmerie sont les dénommés numéro du département. L’Isère possède ainsi deux hélicoptères : le premier, Versoud et fonctionne toute l’année ; l’Alpe d’Huez.
Les hommes sont prêts ; c’est l’heure du décollage. Les hélices tournent à plein régime, elles font un vrombissement cacophonique. La piste est entièrement libre.
UN MASTODONTE, UNE FOURMILIÈRE
Mars toujours, le vendredi 13 plus exactement. J’ai rendez-vous avec le docteur Banihachemi, le responsable des urgences traumatologiques de l’hôpital Sud de Grenoble. Le bâtiment, un mastodonte blanc, est niché au coeur de trois écrins montagneux : Belledonne, Vercors et Chartreuse. L’air est doux, presque pur ; rare moment d’exception que celui d’apprécier une aurore grenobloise préservée que cette beauté est inondée d’un autre mal invisible : le Covid-19. La veille, les liaisons aériennes avec l’Europe.
Il est 7h30 ; les locaux de l’hôpital sont encore fermés au public. Je me glisse à l’intérieur du bâtiment silencieux. Les couloirs sont vides, seuls quelques échos de voix résonnent de-ci de-là. Un sas à double vitrage bloque l’entrée du service traumatologie. Au loin, je distingue sur le mur une vieille paire de skis accrochée. Me voilà au bon endroit.
L’hôpital Sud du CHU de Grenoble a été créé en 1968 pour les Jeux Olympiques d’hiver. Il fut érigé spécialement pour les blessés de sports d’hiver. Le professeur Bèze, qui dirigeait alors l’hôpital, était un militaire traumatologue. L’organisation qu’il concocta fut rythmée par une cadence paramilitaire qui fut ensuite reprise et développée par le professeur Saragaglia spécialisé en orthopédie. Ce dernier servit l’hôpital durant au moins 25 ans. Il participa largement à la renommée qu’on lui connaît aujourd’hui. Son organisation n’a d’ailleurs quasiment pas changé.
L’EXCELLENCE D’UN SAVOIR-FAIRE L’intérieur de l’hôpital est une véritable fourmilière. Chaque fourmi possède une médecin, chirurgien. Leur travail, rapide interminable des patients qui demandent trois choses : une prise en charge, un diagnostic et une prescription. 11 000 fourmis font fonctionner ce mastodonte qui tourne à plus de 500 000 journées d’hospitalisations par an. Elles s’accordent sur une symphonie qui sonne à coups d’organisation, de contrôle et de communication sur des journées durant parfois plus de 12 heures. déjeuner. Je m’apprête à sortir du service quand soudain, le docteur Banihachemi m’interpelle dans les couloirs. Haletant, il m’explique que l’hélicoptère de la sécurité civile va atterrir d’une minute à l’autre pour déposer un blessé de ski. Il me fournit un épais manteau, un casque antibruit et m’embarque dans la golfette en direction de l’hélistation. Là, nous guettons l’arrivée de la sécurité civile volant dans le ciel, au-dessus de la chaîne de Belledonne. Le médecin tire de la golfette un brancard noir aux pieds rabattus. Tout à coup surgit une tempête aux mille rafales provoquée par les hélices. L’hélicoptère atterrit. Une foule d’hommes et une femme se déploient sur le sol, formant un arc de cercle autour de la porte de l’hélicoptère. Ils en sortent un matelas gonflable qui contient le blessé et le font glisser sur le brancard. La femme médecin qui accompagne les CRS donne quelques informations au docteur Banihachemi : « C’est un skieur belge de 27 ans, blessé dans la station de un papier. se tient debout, en rangée, prête à recevoir le patient. Le blessé est installé dans une chambre dotée d’un lit spécidéchausse ses chaussures de skis, une autre installe l’équipement de perfusion, groupe d’environ 10 personnes s’occupe de lui. L’adrénaline qui était à son comble redescend peu à peu. La salle se vide. Un nouveau médecin fait son apparition et s’occupe désormais du patient. Tout en l’interrogeant, il scrute l’horizon du Vercors qui se dessine devant lui : « Quel de son regard le corps du patient, il fait le tour du lit, l‘ausculte. Le jeune homme sera envoyé sans trop tarder au service radio : Elliott est l’assistant du docteur Banihachemi. Il a réalisé une thèse sur la détection des dérives que peuvent générer les pratiques sportives intensives. C’est sur lui que repose la lourde tâche de réduire les luxations. Assis dans la salle de repos, il regarde d’un oeil distrait les informations coude derrière la tête en guise de coussin,
« GRIMPEZ SI VOUS LE VOULEZ, MAIS N’OUBLIEZ JAMAIS QUE LE COURAGE ET LA FORCE NE SONT RIEN SANS PRUDENCE ET QU’UN SEUL MOMENT DE NÉGLIGENCE PEUT DÉTRUIRE UNE VIE ENTIÈRE DE TOUT. »
Edward Whymper
avant d’être appelé. Le service de radiologie se situe un étage plus bas que celui des urgences traumatologiques. Lors d’une luxation, Elliott descend la réduire. Ainsi, il fait connaissance du patient. S’approchant doucement de lui, il explique pas à pas le déroulé de la séance. Elliott lui réduisant son épaule : « Voilà, c’est bien, gaz, ne peut résister à ce tendre bercement. Délicat et agile, Elliott pose ses mains sur le corps, l’épaule, le genou : là où l’autre a besoin de son savoir-faire.
DE L’OPÉRATION À LA KINÉSITHÉRAPIE Pour clôturer la j ournée, le docteur Banihachemi m’accompagne jusqu’au service dont j’avais l’impression qu’il était tenu secret tant les couloirs pour y parvenir sont sombres et déserts : le bloc tient la porte du service entrouverte. Il sort du placard une tenue bleue, spécialement de Crocs. Une fois changée, une infirmière à la rudesse étonnante entre dans le vestiaire et me lorgne de la tête aux pieds. Je comprends à ses yeux alarmés que quelque chose l’épouvante : des cheveux dépassent de mon chignon. Son sang ne fait qu’un tour, elle me houspille. Et comme un ouragan, elle se met à tourner autour de moi, m’attachant deux charlottes sur la tête, glissant mes cheveux à l’intérieur, m’installant un masque. Elle me dicte ses ordres tout en m’observant les exécuter. Il faut atteindre l’impossible perfection physique d’une stérilisation. Les yeux seuls peuvent rester à l’air libre.
Les couloirs du bloc sont mortels. Je croise un brancardier, méconnaissable lui aussi. Nous échangeons un regard, rien d’autre ; le lit qu’il pousse dans une salle vide et sombre. Le silence est d’or.
Pénétrant dans la grande salle du bloc, éclatante de lumière du jour, je tombe nez à nez avec le chirurgien. Grand, svelte, teint blanc, l’air austère, l’homme rendait le matin même son diagnostic, parfois en une phrase, parfois en un mot, après avoir observé la radio projetée et écouté les comptes rendus des médecins. Un autre homme le seconde. Tous deux sont attablés à la jambe d’un homme. Ils la Du sang parfois gicle mais toujours très s’amoncèlent dans un tuyau pour arriver à une poche. Située à plus de deux mètres cette partie du corps jaunie par la Bétadine : le tibia, les muscles soléaires, les muscles jumeaux de la jambe. Cette vision est horri - combes vivantes du corps humain. L’homme hospitalisé ne semble pas souffrir des vis, des marteaux et des clous qui s’agitent en lui. Il ne voit pas ce qu’il se passe en dessous de son buste, sa vision est cachée par un champ opératoire. Cependant qu’un casque couvre ses oreilles de musique, sa tête bouge. Inquiète, j’en informe le chirurgien qui s’amuse légèrement de ma remarque : « Tout est normal, m’indique-t-il, nous avons procédé à une pendant toute l’opération, a travaillé ardemment à dévisser et revisser les bonnes la jambe du patient. Elle lui ôte ses gants de latex blanc parsemés de taches de sang : l’opération est terminée. possèdent un savoir-faire et une technicité particulière pour la confection de plâtres.
la France entière, et le CHU organise des séances de formation à cet effet. La veille de ma venue, elles réalisaient pas moins de 18 plâtres.
Dans la journée, Sylvie, l’aide-soignante de l’équipe, m’a proposé de l’accompagner dans la salle de tractions. C’est dans dédiées aux réalignements des os par l’insertion d’une broche dans le tibia ou dans le talon suivant le type de fractures (col du fémur, jambes). La broche est ensuite reliée à un système de poulies permettant l’extension des os et leur réalignement. Ces blessures arrivent fréquemment à skis. Sylvie produit aussi d’autres attelles qui requièrent patience et minutie car elles sont cousues. Ce savoir-faire artisanal est très peu répandu en France, si ce n’est unique : made in Grenoble.
Les traumatismes physiques les plus graves sont traités en plusieurs semaines, si ce n’est plusieurs mois. C’est au service de kinésithérapie que s’effectuent les rééducations. Là, les patients travaillent essentiellement la mécanique : la marche, le renforcement musculaire, le travail du coeur. Les kinés accompagnent les patients dans ce réapprentissage de la vie. Les gestes sont aussi importants que les mots : cela est essenRires, échanges, concentration... le rétablissement est physique autant que psychique. Un petit buffet sur lequel trônent des pâtisseries rend le lieu convivial.
Alors que le docteur Banihachemi me qui résonne, je repense à l’attention que tous ces métiers exigent. Ces médecins, que déjà, ils songent à l’arrivée du Covid19. Ces hommes et ces femmes déploient une admirable énergie pour faire vivre ce mastodonte qu’est l’hôpital. En une journée, un chirurgien peut être amené à consulter plus de 60 fois, ce à quoi s’ajoutent les urgences. À l’année, le CHU de Grenoble Alpes et le CHU de Voiron comptent 150 000 passages aux urgences, plus de 8 000 interventions SMUR dont plus de 1 500 héliportés, et 40 000 intervenne cesse d’augmenter, l’hôpital possède de moins en moins de médecins. Je m’interrorendre un hommage qui soit à la hauteur de ce qu’ils font : soigner nos vies parfois au prix de la leur. Rien ne sera jamais à la hauteur de toute la reconnaissance qu’ils méritent.