Montagnes

Rencontre avec Tom Lafaille

- Propos recueillis par Boris Dufour ; photos : Thomas Guerrin / Yucca Films

Du haut de ses 18 printemps, Tom Lafaille habite plus que jamais le massif du Mont-Blanc. Grimpeur octogradis­te, skieur alpin solide, on le voit régulièrem­ent dans des descentes techniques à skis avec Vivian Bruchez, on l’a vu en alpinisme dans le massif et encordé avec Liv Sansoz. Son passé familial l’inspire autant que ces aînés qui n’hésitent pas à parler de lui en termes très positifs où les mots « talent », « maturité » et « avenir » se croisent régulièrem­ent. Nous l’avons rencontré pour un entretien à la fois sérieux et léger comme on peut l’être à cet âge quand on a l’avenir devant soi et le poids du passé sur les épaules.

Salut Tom, commençons peut-être par parler de ta pratique de la montagne en général. Je suis né à Cham. Enfant, j’ai surtout fait du ski alpin, j’étais au club d’Argentière avec Vivian comme entraîneur. J’ai fait de la compétitio­n mais je me suis arrêté avant que ça ne devienne sérieux. J’ai découvert l’escalade sportive vers 13 ans et depuis, je grimpe toujours. Quelques années plus tard j’ai découvert l’alpi lors d’une sortie en goulotte avec un copain, et c’est là que j’ai réalisé qu’en montagne, je pouvais mélanger toutes mes pratiques préférées avec le ski de pente raide.

En escalade, je garde une démarche d’entraîneme­nt toute l’année, mais pour le reste, j’adapte ma pratique en fonction des conditions. J’aime le côté polyvalent du montagnard qui profite de la montagne en toutes saisons. J’aime bien les belles faces, les belles arêtes, les beaux sommets, les beaux rochers. J’ai des projets qui me tiennent à coeur en escalade sportive en altitude, sur plus de dix longueurs, ce sont des trucs vraiment durs que je suis obligé d’aborder avec un entraîneme­nt.

L’hiver, je fais essentiell­ement du ski, j’aime bien faire des trucs longs, exigeants physiqueme­nt où il faut s’engager à fond. J’aime surtout les trucs techniques et le côté aventure/sauvage qui peut se pratiquer toute l’année.

Tu skies beaucoup avec Vivian, tu as envie de faire des premières en pente raide ?

Oui ça me parle, c’est surtout l’idée de créer quelque chose. Je n’ai pas l’oeil de Vivian, il me bluffe toujours avec ça, il essaie d’amener un truc différent que de simplement descendre un truc monstre raide dans un couloir tout droit. J’aime beaucoup le ski un peu suspendu, itinérant, technique… J’apprécie l’engagement et l’aventure qui en découlent. Il faut savoir ce que tu fais et savoir comment tu veux aborder la chose. Tant que tu restes dans la maîtrise de ce que tu fais, c’est de l’engagement plus que de la prise de risque. Quand je sais que je n’ai pas le niveau, j’essaie de ne pas me mettre en danger, ça me pousse à m’entraîner, à m’améliorer. Il y a aussi une histoire de feeling et de respect des conditions. Je n’ai pas l’intention de me mettre au tas !

Comment est-ce que ton histoire familiale a influencé ta pratique ?

Au décès de mon père, j’avais 4 ans, ça m’a coupé avec la montagne et tout le milieu. Même si j’habitais Chamonix, je voyais les montagnes mais je ne les observais pas, un peu comme tous les jeunes de la vallée, au final. Quand tu es né là, tu ne les vois plus.

Ma mère a voulu me protéger, grimper c’était un sujet tabou, je ne savais pas ce que c’était que la montagne. Je n’étais pas destiné du tout à en faire, je ne voulais pas y foutre les pieds là-haut. J’ai fait de l’escalade indoor, c’était juste un sport comme un autre, et quand je faisais du ski alpin, je ne pensais pas être en montagne. C’est avec des amis que je suis revenu à l’alpinisme puis au ski de pente raide.

Dans les carnets de mon père et dans le livre qui sort, j’ai trouvé une réelle inspiratio­n de l’alpiniste qu’il était. Super polyvalent, 8c, big wall, Himalaya… Il allait loin dans l’engagement mais avec un niveau de maîtrise qui était excellent, ce n’était pas une tête brûlée. Moi, ce que j’admire, c’est sa maîtrise. Ça lui permettait de faire des choses extraordin­aires dans tous les domaines. Des ouvertures aux Drus en artif pendant 7 jours et du solo dans du 8a+, ça n’a rien à voir, ce sont des discipline­s qui s’entrechoqu­ent, c’était un bon bonhomme bien complet pour faire de la montagne. Moi, c’est ça que j’aime, faire de la montagne.

Par contre, mon père ne faisait pas de ski, donc quand on me dit « tu reprends le flambeau », ce n’est pas forcément juste. J’ai des ambitions mais je ne suis pas dans la même démarche que lui.

On sent dans ce que tu dis une grande fierté de porter le nom que tu portes.

Oui, fierté, oui complèteme­nt, admiration. C’est pas toujours facile, c’est souvent beaucoup de… c’est chiant… t’es toujours fiché. À Chamonix en tout cas, t’es jamais anonyme. Je suis le fils Lafaille quoi que je fasse, et comme je n’ai pas d’autre famille dans la vallée à part ma mère, je suis le seul.

La vallée de Cham, c’est un boost et une pression en même temps, il y a du top niveau partout et tout le temps. C’est une motivation car il y a du monde, il y a toujours un petit rush pour être au bon endroit. Et puis ça donne aussi envie de faire des choses un peu différente­s pour éviter la foule. Mais ça reste petit, tout le monde sait toujours tout, quand tu redescends on te demande ce que tu as fait, et ça met la pression à force.

Quels sont tes modèles et tes références en montagne ?

L’histoire vraiment ancienne genre Whymper, ça ne me parle pas trop. Par contre, l’explosion dans les années 1970 un peu extravagan­tes, avec des Escoffier, Siffredi, Boivin, ça, ça me parle. Et l’aspect perf, l’escalade sportive et la glace qui sont arrivées en haute montagne pour amener de la performanc­e. J’aime leur aura, la mentalité des personnage­s, leur personnali­té… ça me rend admiratif. Leur manière d’aborder les choses était différente qu’en 2020, ils bourrinaie­nt, ils se mettaient des missions. Aujourd’hui, sans topo, on est en panique.

Et des personnes en particulie­r avec qui tu as pratiqué ?

Rémi Escoffier, le frère d’Éric, une machine, j’ai partagé des trucs super avec lui. C’est quelqu’un qui a toujours été là dans ma vie, et quand j’ai commencé à partager des choses avec lui en montagne, il a été un vrai mentor. C’est un emblème, un mec extraordin­aire, sa manière d’être

est super, sa relation avec la montagne est super. Il envoie du lourd, il fait toujours 7c/8a à 60 ans et il court toujours dans la face nord des Jorasses, il est tellement fort qu’il n’a pas besoin d’engager. Il est discret et n’a jamais été trop médiatisé, tu lis sur son visage que c’est un gars de la montagne, avec un état d’esprit qui n’a rien à voir avec aujourd’hui. Quand je lui parle d’une ligne, il me dit simplement « ben va voir », il ouvre des barrières psychologi­ques avec un détachemen­t incroyable, c’est inspirant. Maintenant, je skie beaucoup avec Vivian. On parle aussi du métier de guide qu’il exerce surtout en été, et du temps qu’il garde en hiver pour ses projets perso. Ça m’inspire aussi, mon idéal serait de vivre de mes projets, mais c’est un peu une utopie. Le métier de guide en complément, c’est une dose de liberté qui permet de réaliser des projets perso. Mais j’aime beaucoup l’idée du partage avec des clients, leur faire découvrir ce qu’on fait en montagne, je suis assez patient aussi. Je me questionne encore sur plein de trucs et comment je voudrais vivre « mon guide », mais ce n’est pas encore le moment.

Quelles sont tes réalisatio­ns marquantes ou celles qui te motivent pour la suite ?

Ce sont surtout des périodes, comme en ce moment le temps qu’on passe avec Vivian à skier de belles lignes. En peu de temps, il me donne beaucoup, ça m’a boosté de voir sa facilité et son regard sur la montagne. Mais il y a d’autres choses qui me motivent ; cet été, j’étais à la voie Petit au Grand Capucin, je me suis fait rouster sec ! J’ai vu que c’est un megaprojet, je m’étais rarement autant frotté à la difficulté et ça me donne envie d’y retourner, donc je m’entraîne, je grandis, et on verra où ça me mènera.

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