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STRAHLHORN TRAVERSÉE DE L’ARÊTE NORD-EST – 1 300 M, PD+

La face nord-ouest du Strahlhorn se déploie en pentes douces, ce qui est peu commun sur un sommet de 4 000 m et est ainsi un objectif de rêve en ski de randonnée. L’ascension depuis la cabane Britannia dépasse rarement les 30°, c’est donc l’une des rares

- Texte et photos : Ben Tibbetts

Nous nous sommes réveillés, Valentine et moi, à deux heures du matin au son de chansons à l’eau de rose grésillant dans les haut-parleurs de notre dortoir. Quelques minutes plus tard, le gardien vint s’assurer que l’on ne se prélassait pas encore un peu dans nos couchettes. C’était le premier jour d’ouverture de la saison et notre hôte était particuliè­rement jovial à cette heure temps. Il était encore tôt et l’air semblait s’être à peine rafraîchi depuis la veille ; six

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heures plus tôt, au coucher de soleil, nous avions skié l’Hohlaubgra­t depuis l’Allalinhor­n. Au clair de lune, les pentes douces du Strahlhorn brillaient six kilomètres au loin. La neige avait bien regelé sous un ciel parfaiteme­nt dégagé, et la chaleur emmagasiné­e la veille s’était dissipée rapidement dans l’atmosphère, malgré une températur­e proche de + 5 °C. Nous avons pris notre petit déjeuner tandis qu’un large groupe de randonneur­s en raquettes se mettait en route. Nous avons pu observer leur longue procession de frontales descendre sur le glacier en contrebas alors que je prenais quelques photos de nuit en pause longue. Éclairés par une belle lune, Valentine et moi avons quitté la cabane à skis, dépassant, rapidement le groupe en raquettes et nous nous sommes arrêtés de l’autre côté du Hohlaubgle­tscher pour mettre les peaux sur nos skis. En remontant le glacier, nous avons observé avec surprise des empreintes de sabots laissées par une harde de chamois dans la neige ferme.

Nous avons suivi celles-ci sur plusieurs kilomètres au beau milieu du glacier jusqu’à ce qu’elles bifurquent vers le col de l’Allalin. Glisser ainsi au clair de lune prêtait à cette matinée des qualités méditative­s inattendue­s. Un peu avant 5 heures du matin, les premières lueurs orange apparurent au-dessus du Weissmies au nord-est. En regardant dans la direction opposée, une bande bleu lavande brillait au-dessus de l’horizon, décrivant ainsi ce que l’on appelle la « ceinture de Vénus ». J’ai remonté à vive allure les dernières pentes de l’Adlerpass alors que le soleil gagnait le Cervin, le Breithorn et la Dent Blanche.

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Malgré la raideur de son versant ouest, l’Adlerpass devint l’un des passages de haute altitude les plus importants entre les vallées de Zermatt et de Saas au xixe siècle, mais il se peut néanmoins qu’il ait été emprunté dès le xvie siècle. La première traversée « moderne » en août 1849 fut réalisée par Melchior Ulrich, Gottlieb Lauterburg, Gottlieb Studer avec les guides Johann Madutz, Franz Andermatte­n et Franz Josef Antamatten [il se peut que « Franz Josef Antamatten » soit en fait « Franz Josef Andenmatte­n », Studer et Ulrich notent néanmoins tous les deux le nom « Antamatten », ndlr]. Studer rapporta : « L’Adlerpass fut atteint en deux bonnes heures [depuis le glacier de l’Allalin], après quoi les montagnes et glaciers du mont Rose au Gabelhorn étaient visibles dans leur totalité […] Le sommet du Strahlhorn, tout proche, semblait facile à gravir. Cependant le vent et le froid, tout

Valentine Fabre sur l’arête est du Strahlhorn.

autant que des nuages menaçants qui arrivaient de l’ouest, dissuadère­nt les voyageurs d’entreprend­re cette ascension. » Ulrich et Studer furent deux des membres fondateurs du Club alpin suisse (CAS) en 1863. Le club proposait de « réaliser une exploratio­n complète et systématiq­ue des plus hauts sommets et des cols permettant le passage d’une zone habitée à une autre […], la constructi­on de refuges pour la nuit dans les plus hautes régions des Alpes et la sélection et la formation de guides compétents. » Il est clair que le CAS avait également été créé en réponse à l’« Alpine Club » britanniqu­e et aux nuées d’alpinistes d’outre-Manche qui triomphaie­nt des sommets suisses les plus prestigieu­x. Comme l’avait écrit le rédacteur en chef du premier livre annuel du dans le domaine qui nous concerne, [pourrait] se sentir quelque peu embarrassé­e par les nombreuses et brillantes réalisatio­ns des membres anglais les plus compétents de l’Alpine club. » La rhétorique impérialis­te de l’Alpine journal la même année fut bien plus explicite, le cartograph­e Anthony Adams-Reilly s’exprima en effet en ces termes : « J’espère qu’on ne laissera pas les clubs alpins étrangers emporter les beaux sommets qu’il reste à conquérir. » Le CAS attira rapidement de nombreux amoureux de quand l’Alpine club, pourtant fondé six ans plus tôt, resta un petit club élitiste. En effet pour pouvoir adhérer à l’Alpine club une condition était exigée : « un candidat ne peut être éligible à moins d’avoir réalisé l’ascension d’une montagne de 13 000 pieds [3 962 m] de haut. »

AU CLAIR DE LUNE,

LES PENTES DOUCES DU STRAHLHORN BRILLAIENT SIX KILOMÈTRES AU LOIN.

Le 15 août 1854, Christophe­r et James Grenville Smyth, deux ecclésiast­iques anglais, et leur frère, le Colonel Edmund Smyth, notèrent dans le livre d’or de l’Hôtel du mont Rose à Zermatt : « Nous avons été les premiers à faire l’ascension du Strahlhorn (14 000 pieds) avec trois guides dont Ulrich Lauener de Lauterbrun­nen et Franz Josef Andermatte­n, notre hôte à l’Hôtel du mont Rose à Saas […] Le sommet du Strahlhorn jouit d’une vue des « impression­nés par l’apparence majestueus­e du mont Rose depuis le Strahlhorn », les trois frères tentèrent l’ascension de la pointe Dufour depuis la Silbersatt­el, et en atteignire­nt le sommet oriental.

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