ENTRE FRANCE & ITALIE, LE VAL MAIRA
Le Val Maira s’engouffre dans les Alpes depuis la plaine du Pô. Son cours d’eau principal, le Maira, naît au col de Mary, adossé à la ligne frontalière du côté de l’Ubaye. De cette naissance découle une belle vallée où, de part et d’autre, s’élèvent des enchaînements de montagnes, comme un clin d’oeil dragueur au skieur de rando. Les montagnes du Val Maira scintillent et clignotent, appels de phares que seuls les skieurs savent décrypter. Un paradis du ski de rando liton parfois pour décrire ce Val Maira… Alors nous sommes allés y promener nos spatules, juste pour voir si ce paradis est à la hauteur de ces promesses.
Rejoindre Maljasset en hiver dans la HauteUbaye est un beau voyage. La route serpente et s’élève, s’enfonce jusqu’à un cul-de-sac nos chaussures, froideur matinale, bruit des peaux sur la neige… Après le sommet du jour, la Pointe Basse de Mary, nous dévalons les pentes encore françaises pour rallier le col Mary d’un côté, Maurin de l’autre et refuge du bout du Val Maira. Il commence centaines de monts, pics, cols et sommets taillés pour les spatules gourmandes, avec des dizaines de villages et hameaux parsemés de-ci de-là, donnant une belle âme aux montagnes, celles qui ont la saveur de vivre avec ses habitants très amoureux de leur coin du Piémont italien. Nous passons parallèle au Val Maira, le mont Viso… Nous rejoignons le village d’Acceglio en nombreuses possibilités au royaume du ski, car ici c’est l’open bar des possibilités. Les locaux s’en donnent d’ailleurs à coeur joie. dans Acceglio. Arrêt au stand épicerie locale, nous dévorons les petits biscuits rues du village. Nous dormons à l’hôtel Londra ce soir – une nuit en hôtel lors d’un raid est assez rare –, et cette ambiance de vallée séculaire habitée toute l’année est si plaisante qu’on se mettrait aisément à rêver d’y habiter pour un hiver entier. Alessandro, le patron, nous sert un prosecco et des antipasti à vous convertir à l’Italie sur-lechamp. Il nous raconte que depuis quelques années, la vallée arrive à vivre l’hiver grâce au ski de randonnée, que certains, comme lui, rentrent au village alors qu’ils travailsemble être pour eux le coin de paradis, là où il faut revenir, ou rester sous peine de se faire avaler par la grande Babylone, au loin. Les « gnocchis de la valle con buro fuso » arrivent sur notre table, noyés dans le beurre. Ils comblent le froid et l’hiver et ont cette odeur de l’ailleurs, pourtant pas si loin, qui nous comble.
Au matin, nous arrimons nos skis sur le sac pour 3 km de route jusqu’au village de Ponte Maira. Alessandro nous stoppe sur le trottoir avec sa petite Honda, abaisse un siège et nous dit d’enfourner nos skis là-dedans, que les skieurs qui aiment sa vallée sont ses amis. Accolades fraternelles au bord du sentier, nous montons au vallée entière nous accueille. Nous descendons dans la petite vallée de Pratorotondo. Nous visons le mont Freid et son couloir nord, bien visible et très esthétique : une merveille ! Du sommet du mont Freid, nous admirons d’abord cette belle ligne pentue avant de nous engouffrer dedans pour un peu plus de 400 m de couloir et 1 300 m de genre de descente parfaite avec le combo qu’il faut de neige, de météo, et d’esthétique, que l’on se remémore comme une douceur dont la saveur procure une ivresse des sens. L’arrivée au village fait partie de la saveur sucrée de l’endroit : imaginez des petits virages dans une neige accueillante jusque dans les ruelles séculaires,
imaginez l’arrivée à l’auberge de Rolando et Maria, skis aux pieds dans un entrelacs de passages entre les maisons, vieux skis et sculptures à chaque coin de rue, et pour finir, imaginez le risotto et le fricando/ polenta de Rolando. L’auberge est un lien intergénérationnel depuis 1935. La recette du risotto sur lequel nous venons de nous jeter comme si nos vies en dépendaient, est la même que celle que la grand-mère faisait aux premiers touristes randonneurs, les meubles et le plancher ont été réalisés par le grand-père qui a coupé les arbres dans le village et les a amenés lui-même jusqu’à la scierie, les champignons du fricando sont ramassés sous les mélèzes de la vallée. Ici, tout est en circuit court depuis toujours et nous ressentons intimement les bruits et la respiration de ce Val Maira, cette vallée en cul-de-sac qui a laissé en son sein s’épanouir une vie de montagne. Nous sommes sous le charme.
Le lendemain, Rolando nous mène dans sa grange où il a créé un musée ethnographique en récupérant les objets des familles d’ici et du Val Maira en général, une balade dans le temps sur deux étages qui nous accompagne toute la journée. Sous le charme, encore. Nous rallions à nouveau Ponte Maira en épinglant le sommet de l’Auto Vallonasso puis le mont Arpet pour dévaler son couloir nord qui tombe dans le Val Maira comme une feuille tombe d’un arbre, quelques petits virolos entre les mélèzes, du joli pentu, et nous voilà à nouveau à Ponte Maira. De ce raid en terre de Piémont occitan italien, les souvenirs tenaces semblent franchement s’orienter sur les beaux couloirs skiés, sur l’atmosphère
mais la nourriture prend une place d’importance. Et on ne vous parle pas de la seule gourmandise ou encore de la fabuleuse fringale que ressentent les randonneurs de tous poils après une belle journée dehors à frotter peaux et spatules. Non, c’est plutôt à la frontière entre la découverte de saveurs, des rencontres qui en découlent, et cette âme attachée à tout ce qui vient de la vallée. Nous apprenons qu’en hiver, les bergers et paysans de la vallée devenaient colporteurs d’anchois venus de Gênes et de la Ligurie. Les « chiapparoli » passaient le col Sautron pour vendre en France cet anchois de saveur. On se dit alors que l’attachement séculaire à la nourriture est inscrit dans le patrimoine de la vallée. D’ailleurs, le repas traditionnel du Piémont occitan comporte toujours cet anchois avec une sauce à l’ail Manuela et Renato ; native de la vallée pour l’une, guide autrichien pour l’autre. « La vallée, tu y reviens nécessairement. Le bruit du monde extérieur arrive ici en sourdine
et chaque jour de ta vie, tu découvres des nouveaux coins ici, cette maison était à ma grand-mère, je me sens tellement à ma place à ses plats font de cette soirée une petite merveille et nous repartons le sac léger pour une bascule en France par le même col que les chiapparoli. Nous nous offrons au passage le couloir Viraysse et rejoignons Larche, le versant Ubaye de ces montagnes, point de départ. Le couloir sud-est de la
Meyna, le col de la Portiolette et nous voilà à Fouillouse, l’autre hameau à 1 900 m de la Haute-Ubaye, habité toute l’année. Ici, le bus scolaire monte une semaine sur deux en alternance avec Maljasset, et la météo tournant fort défavorablement, nous envisageons un temps de redescendre avec les petits écoliers de Fouillouse. Nous faisons une tentative infructueuse jusqu’au Pas de travers la forêt pour échapper à la neige. Il ne nous restera plus qu’une aventure à pied et en stop pour retrouver Maljasset dans une tempête que la Haute-Ubaye semble produire une à deux fois par an selon les locaux. Alors nous rêvons de revenir dans ce joli coin des Alpes d’un côté comme d’un autre de la frontière. Il nous reste une centaine de petits coins à explorer… Rêver, après tout, est une forme de programme !