Montagnes

MA PREMIÈRE COURSE D’ALPINISME

Traversée du glacier du Géant, traversée des aiguilles d’Entrèves, bivouac à 3 500 m et renoncemen­t sur l’arête est de Toule : dans l’intimité de mes premiers pas foulant ce monde rêvé et fascinant de l’alpinisme.

- Texte : Pierrette Jouan ; photos : Florent Pedrini - verticalfl­ow.net

En dépit des retourneme­nts de situation de dernière minute, l’envie de Florent d’aller là-haut restait intacte : voir de plus près ce fameux Grand Capucin, qu’il gravirait monde. Nous convînmes alors dimanche matin d’un départ imminent pour 3 jours. La première nuit se fera dans la voiture au qui nous mènera à l’Aiguille du Midi. La première journée de marche nous mènera de l’autre côté du glacier du Géant en passant par le Grand Capucin, pour passer une nuit devant les Aiguilles d’Entrèves. Florent envisage deux traversées d’arêtes. Je n’ai jamais fait d’alpinisme mais le souhaite depuis longtemps, je suis ravie, le glacier. Pour le reste… chaque chose en son temps.

Après cette première nuit dans la voiture, prévenir mon corps de l’effort à venir. sonne les prémices de l’aventure. La journée est très ensoleillé­e, nous mettons insuffisan­t vu l’état de mes oreilles et arête nasale au retour de course !). Nous nous harnachons : sac avec équipement de crampons aux pieds, encordés. Florent m’a prêté tout le matériel de grimpe. Dans la grotte de glace menant à l’entrée du glacier, je suis émue. Il ouvre le portail, je lui demande un instant, je requiers auprès du glacier la permission de le parcourir. Quelques secondes après, nous prenons

Nous commençons par de la descente. Florent m’explique les rudiments et me rassure autant qu’il m’assure grâce à se présente. Un petit couloir, créé par leur poids, accueille nos premiers instants. C’est un peu technique, il ne s’agit pas de dévisser à ce moment-là, la concentrat­ion et la présence sont alors de mise, je présence accrue. C’est aussi cela que j’expériment­e pas à pas en montagne : cette fameuse « présence » qui prend vraiment place. Ici, être « présent » ne constitue pas une injonction, n’est pas qu’un mot, ni une attitude en vogue. Juste ce ressenti d’être là, de chacune des cellules de mon être, être là.

Cette descente est relativeme­nt rapide, et nous arrivons sur la plaine de glace. Nous contournon­s les immenses failles découvrant les entrailles du glacier. Je continue

de ne pas mêler mes pieds, les crampons sont une excellente source de motivation ! Nous effectuons ensuite une courte ascension où mon souffle me paraît qu’il me faut m’économiser pour la suite, je prends alors soin de ne pas me mettre dans le rouge tout de suite, et respire première fois. J’apprends la place entière que peuvent prendre mes poumons, je sens l’oxygène qui parcoure toutes mes cellules. Ce n’est qu’en regardant les photos de Florent en rentrant que nous devinons en effet la forme d’un... grand capucin (le singe, ndlr) ! (et sous un autre angle une marmotte le nez en l’air, il s’en est fallu de peu pour que les grimpeurs ascensionn­ent la « Grande Marmotte Rêveuse ! »)

Après cette première montée, nous arrivons enfin devant le Grand Capucin, majestueux. Florent photograph­ie et étudie longuement les voies à prendre pour son ascension prochaine, il capture déjà de très ne suis pas alpiniste, mais je comprends parfaiteme­nt l’envie que peuvent ressentir les grimpeurs d’être à son contact. Je le glacier, sentir sa fraîcheur m’animer, surtout après cette petite ascension sous degrés à Chamonix et c’est une journée sans le moindre nuage, le soleil nous encordée, je dois suivre chaque mouvement de Florent qui cherche à comprendre ce monolithe sous tous ses angles. - nons la marche et apercevons au loin le Florent évalue notre ascension à 1h, je ne m’engage pas vraiment à respecter cet horaire car si je veux aller loin, il me faut aller à mon rythme. Celui de Florent le long de l’ascension me permettent des temps de repos. Nous rejoignons le col, le spectacle est époustoufl­ant ! Il est Ronde et les Aiguilles d’Entrèves. Entre ces deux dragons de roches s’ouvre la plaine italienne. Nous prenons alors place mérité. La montagne nous offre ce gros de la Brenva, immense étendue dont les entrailles sont sillonnées de ce fameux déjeuner est savoureuse­ment dégusté : à ces altitudes, tout devient divinement - toujours mon sac quelques jours après ! Repas dégusté, nous nous allongeons sur visages couverts par nos casques. Je suis très attirée par les Aiguilles d’Entrèves, et Je reste tout de même allongée pour m’offrir un instant de repos. Aucun n’est néglifaire le plein d’énergie.

Après cette courte pause, nous redescendo­ns vers les sacs pour monter le peu de temps, le matériel de Florent est tout est fait pour que cela soit simple et rapide. J’évoque le temps, mais là-haut, une seconde peut paraître une heure et vice versa. Les variations de perception temporelle que je peux avoir en plaine les cimes éthérées nous chuchotent que le

moment est venu d’aller à la rencontre de l’intérieur, mélange d’impatience et d’excitation enfantine, mais je tente de rester il me faut surtout capter toutes mes capaet je ne comprends pas ce qu’il fait, où il va, une peur se cristallis­e en moi, et je lui demande sèchement de m’expliquer ce là pour moi. Je sens qu’il comprend ma peur et ne l’alimente pas, il devient immédiatem­ent rassurant. Ma main rentre alors au contact de la roche. Là, plus de mental, plus de joie, plus de peur, plus de « il faut que je ». Ne reste à cet instant que l’envie d’aller là-haut, tout là-haut, de continuer - rité qui me permettra d’assurer un pas de plus vers le sommet. J’ai deux mains, deux pieds, je prends parfois appui de tout mon corps (une fois le genou, mea culpa, Florent m’apprend que pour les puristes, c’est pécher !). Je ressens en écrivant ces mots à nouveau cet état d’être intense que j’ai ressenti en cheminant pas à pas, main à main sur cette arête. À plusieurs reprises, je ne sais pas comment passer, Florent s’applique patiemment à m’apprendre la lecture du rocher. Il m’offre un soutien et une attention qui me permettent mettre mes mains, de mêler mon corps à la sillonnent, je les parcours de mes mains à la recherche de prises, je me gorge de leur énergie. Une « marche » se présente, j’essaie de comprendre comment la passer, je me mets dans une situation délicate, Florent me demande de redescendr­e pour me montrer la technique. J’aime le voir - chemin parcouru mille fois, il m’assure, mouline, part devant, reviens vers moi, tous ses mouvements sont souples, je me des photos, je joue le jeu de la pose. Deux califourch­on sur l’arête l’écoutant m’expliquer l’alpinisme. Je ne connais rien, il me transmet tout ce qu’il sait… Nous deux cordées de Lituaniens, c’est intéressan­t de voir que les hommes sont prêts à - trer ces géants de granit. Nous sommes à nouveau sur la glace, il me faut quelques de Florent, nous partageons notre joie, nos

Nous rentrons alors d’un pas léger vers le froid prendre sa place. Nous ne tardons pas à entrer dans la tente, nous réchauffer un peu. Nous nous accordons rapidement sur le fait qu’il est temps de manger. Florent creuse dans la neige pour en prendre des - drater le repas lyophilisé, pendant que je prépare les mélanges dans nos gamelles. sous la tente, il est dans le froid dehors, je mesure ma chance concernant la répartitio­n des rôles ! Le repas n’est ni excellent ni mauvais, je n’ai pas mis l’accent sur le goût, j’ai surtout pris soin de préparer ce qu’il nous fallait d’éléments nutritifs pour récupérer de la journée et nous préparer au lendemain. Le dîner avalé, nous nous installons alors pour une courte nuit de sommeil. C’est la première fois que je teste ce duvet, note pour moi-même : trouver une astuce pour me réchauffer les pieds ! de Morphée qui m’attirent, mais à deux reprises, je me sens en haut d’une faille dans la roche d’où le vide m’attire, cela me secoue de peur et je me réveille. Je - lement. Le vent se lève vers minuit, des rafales font plier la tente et à partir de ce moment-là je ne vais plus dormir. Nous parviennen­t aussi les sons des purges de la peur refait surface à plusieurs reprises pendant quelques secondes, mon mental commence à s’emparer de la traversée du lendemain. Avec le vent, nous perdons encore quelques degrés, mes pieds sont très froids. J’attends alors patiemment les 3h du matin qui sonnent notre lever pour les photos de nuit, avant de nous engager sur découvre à cette heure-là que le ciel est

la peine de se lever. Le réveil est décalé à - pressement à faire les choses, mon état me surprend. Mon mental est focalisé sur une seule question : suis-je en état de faire la traversée ? Florent m’a tant donné la veille, je ne veux pas le priver le lendemain, je sais mettons la popote matinale en route tranAnglai­ses sera pour une prochaine fois. Je de la veille s’est envolé, j’ai très froid, je suis fatiguée. Je demande silencieus­ement à Florent de me soutenir, je lui demande indirectem­ent s’il veut vraiment faire la traversée. Il comprend ma demande et me répond que nous verrons pas à pas, que l’essentiel à chaque passage, est de savoir si nous pourrons le faire dans l’autre sens. La montagne d’hier m’appelait, aujourd’hui elle me laisse avec ma peur et ma fatigue. Ses purges, notamment nocturnes, ont montagne qui se purge si violemment. Je trouve mille excuses pour ascensionn­er sur la défensive. Ce jour-là, le plaisir n’est plus je ne suis pas juste envers Florent, alors je progresse pas à pas, mais je montre tout de même mon mécontente­ment. Je suis paralysée entre deux mondes : celui de l’intuition et celui du mental où se prélassent les peurs. Lequel des deux me dicte de Deux alpinistes espagnols nous rattrapent assez rapidement et nous décidons de les laisser passer. Le premier a le pied aguerri, que trop tard, l’attente est longue pour moi. Florent aide le second à déplacer la corde, coincée dans une direction qu’il n’est pas deux pics, assise sur la roche, je commence Les deux ? Nous sommes juste devant le rasoir. Je regarde le passage, une partie de - - se mouvoir, je n’ai plus de sensation dans les doigts car le froid les a engourdis, le sang les a partiellem­ent quittés, syndrome de Raynaud. Florent me laisse le choix de venir le rejoindre, ou non. Il n’est pas insistant, il me demande juste de choisir.

Je tente de me reprendre, lui demande s’il a confiance en moi, cherche du regard sa complicité et commence à traverser la première partie du rasoir. Arrivée au milieu, je réalise que je dois enlever une sangle sur un pic, mes mains trop froides n’arrivent pas à se saisir correcteme­nt du mousqueton qui plonge dans le vide. Florent me dit immédiatem­ent de manière très rassurante que ce n’est rien, mais je sens poindre une pointe d’impatience. Pour moi, ce n’est pas rien. Ainsi ma peur se plus loin. Florent acquiesce et décision est une autre fois, une autre vie, peut-être que pas cette fois-ci. Nous redescendo­ns très facilement et je constate que mon énergie « que » de peur ?

Deux traversées, deux chemins différents amenée à l’intérieur de moi-même. L’une accueille les deux. présence s’aiguiser, je reviens à moi, hors de cette zone de peur. Nous mangeons

Florent ne laisse pas paraître la moindre once de déception, mais nous faisons de jusqu’à ce que je lui demande si nous pouvons cesser de rejouer la scène. En fait, je sais que j’ai vécu un moment charnière de ma vie, que faire l’ascension ou non n’était pas le plus important pour moi. Ce que je vis sur ce glacier depuis la veille est si riche d’apprentiss­ages que je ne regrette rien. Je suis en revanche profondéme­nt désolée de l’avoir privé de ce sommet. sur le chemin du retour, en extase devant les nuages dansant autour des montagnes. Le paysage est, à chaque seconde, différent ces instants, je ne cesse de lui dire : « Là ! Dans 5 secondes ! Dans 7 secondes ! Ici ! » Je regarde la course des nuages et devine le moment adéquat pour découvrir le sommet avec les nuages, ma légèreté revient. Nous avançons tranquille­ment et Florent cherche le passage entre les immenses failles. Nous sillonnons les contours de ces géantes, et mène jusqu’à la trace principale qui nous approchera au plus près des immenses et divines entrailles du glacier. Comme des enfants, nous ponctuons notre avancée et me répète les consignes de sécurité. À certains (rares) moments, c’est lui qui les lui répète : le duo fonctionne ! Nous sortons de cet espace magique. Devant nous, la dernière et assez longue ascension. Je décide alors d’accentuer cet état de présence que j’ai timidement expériment­é jusqu’alors. Je plonge mes racines dans le occupe mes pensées, mon coeur, me le rend Nous cheminons en silence. Parfois, il m’est nécessaire : il me permet d’aller dans les profondeur­s de mon être.

Arrivés devant le portail, c’est une tornade à l’intérieur de moi. Je crois me souvenir contiennen­t les larmes : certaineme­nt de la joie, du soulagemen­t, de la tristesse aussi. Florent ouvre le portail, nous y sommes, nous nous étreignons, je tente de le remerde consistanc­e pour exprimer ce que je ressens. Le périple est terminé, je viens de vivre ma première course alpine.

 ??  ?? 3h30 du matin. Chambre étoilée au pied de l'aiguille d’Entrèves, à 3 500 m.
3h30 du matin. Chambre étoilée au pied de l'aiguille d’Entrèves, à 3 500 m.
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 ??  ?? Aiguille d’Entrèves généreuse de verticalit­é.
Aiguille d’Entrèves généreuse de verticalit­é.
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 ??  ?? Premiers pas au contact de l’arête sur fond de mont Blanc.
Premiers pas au contact de l’arête sur fond de mont Blanc.
 ??  ?? Rêve éveillé au pied du Grand Capucin.
Rêve éveillé au pied du Grand Capucin.

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