Tout savoir sur les solvants
Les nécessités d’entretien d’un bateau ont un impact important sur l’environnement et, à plus long terme, sur la santé de l’opérateur. Nous avons soumis à la question les solvants, présents dans d’innombrables produits de nettoyage, peintures, colles ou mastics.
Des choix pertinents en matière de produits et de bonnes pratiques pourront aider les plaisanciers à minimiser leur empreinte environnementale, à la condition impérative d’avoir une information technique étayée, éloignée de l’à-peu-près trop souvent colporté par les forums ou radio ponton... Quelques questions simples aideront à situer le problème et à forger des réponses pour vos prochains travaux. Nous évoquerons aussi quelques pistes pour l’avenir sur lequel planchent déjà les industriels, qui sont d’autant plus concernés par la question que la législation en matière de solvants volatils devient (à juste titre) de plus en plus contraignante.
Qu’est-ce qu’un solvant ?
C’est une substance liquide ayant la propriété de dissoudre ou de diluer d’autres substances sans les modifier. Le plus simple et le plus courant des solvants est l’eau. Pour un chimiste, elle présente malheureusement deux défauts majeurs : une évaporation lente et une incapacité à dissoudre les graisses. Pour ces raisons, les solvants organiques, qui contiennent des atomes de carbone, sont utilisés à l’échelle industrielle, avec une production mondiale mesurée en millions de tonnes. Issus pour la plupart de la chimie du pétrole, ils ont un point de fusion et un poids moléculaire plus faibles que l’eau, ce qui favorise l’évaporation, et d’importantes propriétés lipophiles qui aident à la dissolution des graisses. L’essentiel de la production (61 %) sert aux peintures et revêtements, mais aussi aux polymères, comme la résine polyester, aux colles et aux nettoyants, dont les formulations contiennent également des proportions plus ou moins importantes de solvant organique.
À quoi servent les solvants ?
Leurs usages sont tellement vastes qu’ils entrent dans la composition de très nombreux articles courants, d’entretien ou de finition (peintures, cires, polish, nettoyant...). Ils servent à dégraisser, nettoyer ou décaper certaines surfaces et à extraire, séparer, purifier ou modifier la texture de certains produits, comme les laques, vernis, antifoulings ou lasures par exemple. Sans entrer dans les arcanes de la chimie organique, on peut néanmoins distinguer les familles de solvants les plus répandus, comme le xylène, un hydrocarbure aromatique très présent dans les antifoulings, l’acétone, le composé le plus simple de la famille des cétones, ou le MEK (ou butanone) plus évolué, et les esters, qui regroupent les acétates, rencontrés dans les vernis, dissolvants ou adhésifs.
Les solvants sont-ils dangereux ?
En raison de l’affinité des solvants pour les graisses, ils peuvent avoir un effet néfaste en pénétrant dans l’organisme directement par voie cutanée ou indirectement par voie respiratoire. Bien entendu, la fréquence et la durée de l’exposition augmentent les risques en proportion, ce qui peut engendrer pour une partie de la population des maladies
professionnelles. Les entreprises spécialisées dans la maintenance nautique sont à ce titre les premières concernées par la question, mais nombreux sont les propriétaires à caréner leur bateau au moins une fois l’an. Ils sont tout aussi nombreux à le nettoyer régulièrement et le tout conduit à un niveau d’exposition certes faible mais régulier... La majorité des solvants organiques sont fortement volatils et inflammables, un risque dont il vaut mieux être conscient lors de travaux dans les fonds ou les aménagements.
Que sont les Cov ?
Les Cov (composés organiques volatils) regroupent une multitude de substances comme les toluène, xylène, acétone, benzène. Ils se diffusent dans l’atmosphère sous forme gazeuse et sont en partie émis par des solvants organiques. Au même titre que les oxydes d’azote diffusés par les véhicules automobiles, les Cov sont des précurseurs de l’ozone troposphérique qui contribue à l’augmentation de l’effet de serre. L’ozone stratosphérique est, lui, bénéfique puisqu’il filtre les radiations ultraviolettes nocives du soleil. Les Cov ont un effet direct sur l’environnement en engendrant des réactions photochimiques dans la basse atmosphère, mais aussi un effet indirect puisqu’ils sont aussi absorbés par la terre et transférés dans les nappes phréatiques. Pour toutes ces raisons, la directive européenne 1999/13/CE vise à encadrer les émissions de Cov liées à l’utilisation des solvants organiques. Elle est complétée par la directive 2004/42/CE qui concerne plus spécifiquement les vernis et peintures, en fixant les teneurs maximales autorisées, de 30 à 840 g par litre, en fonction des différents types de produits et d’applications. Bizarrement, d’autres catégories de produits courants, ceux d’entretien en particulier, ne sont pas tenues d’indiquer leurs niveaux d’émissions en Cov, alors qu’elles peuvent être non négligeables.
Comment être informé des risques ?
L’étiquetage du produit devrait être la première source d’information de l’utilisateur, en particulier les pictogrammes de danger, mais les solvants n’y sont pas toujours précisés. En octobre 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) a proposé un étiquetage plus complet des matériaux de construction et des produits
de décoration en indiquant au consommateur le niveau d’émission du produit en agents polluants, pris dans une liste de 165 composés différents. Trop souvent négligées, les fiches de données de sécurité sont une autre source d’information, presque toujours mise en ligne sur le site du fabricant. Beaucoup plus complètes que l’étiquette, elles donnent souvent d’importants conseils d’application et de précautions de mise en oeuvre.
Comment prévenir les risques ?
Le simple bon sens impose d’éviter tout contact direct avec les produits, quelle qu’en soit la nature, et bien sûr d’inhaler les émissions. Il ne faut utiliser que les quantités nécessaires de produit et le stocker soigneusement dans les récipients hermétiques d’origine. Il ne faut jamais transvaser les produits dans des emballages alimentaires, bouteille d’eau minérale en particulier, afin d’éviter des ingestions accidentelles potentiellement dramatiques. Ne jamais mélanger des produits d’origines différentes et suivre scrupuleusement les instructions données par le fabricant. Une protection individuelle, gants, lunettes, vêtement protecteur et masque respiratoire filtrant les vapeurs organiques, est une absolue nécessité. On regrettera au passage la légèreté des plaisanciers qui appliquent un antifouling sans masque filtrant ; afin d’accélérer le séchage, ce type de peinture contient une forte proportion de xylène, un hydrocarbure aromatique qu’il vaut mieux éviter de respirer, car il est toxique pour le système nerveux central... Une hygiène de base aidera aussi à minimiser les impacts, en ventilant soigneusement la zone de travail,
en particulier dans les aménagements où une aération forcée peut être nécessaire, en se lavant les mains avant de manger, en changeant ses vêtements dès qu’ils sont sales, ainsi que les cartouches filtrantes dès qu’elles sont saturées (l’odeur du solvant devient perceptible à l’intérieur du masque).
Existe-t-il des alternatives aux solvants organiques ?
Contrairement à l’opinion commune, les fabricants sont parfaitement conscients des risques engendrés par les solvants organiques et ils font tout pour en limiter la diffusion. La législation internationale de plus en plus stricte va dans ce sens, de même que l’économie des matières premières qui voit le coût des composants chimiques augmenter sans cesse (le prix de l’acétone vient ainsi d’augmenter de 180 % en un mois !). L’alternative la plus courante consiste à formuler des produits en phase aqueuse sans solvant, qui représentent aujourd’hui plus de 80 % de ceux employés dans le bâtiment. Contrairement aux apparences, une peinture extérieure en phase aqueuse n’a rien à voir avec la gouache de notre enfance, et toutes les matrices habituelles, alkydes, polyuréthane ou époxy peuvent être diluées à l’eau. De nombreuses applications industrielles, comme la finition des carrosseries automobiles par exemple, font désormais appel à des bases colorées en phase aqueuse. Malheureusement, les chimistes ne sont pas encore parvenus avec ces formules à retrouver les qualités de brillance, de tendu et de résistance aux UV et aux rayures des finitions solvantées. C’est la raison pour laquelle les bases colorées des voitures sont recouvertes par un vernis solvanté qui redonne à la finition le brillant, la dureté et le tendu qui lui manquent. Les produits en phase aqueuse posent aussi des problèmes de séchage, car le poids moléculaire de l’eau, plus important
que celui des solvants, engendre une évaporation plus lente. Dans la pratique, ils allongent sérieusement le temps de séchage, en particulier par basse température (difficile de travailler en dessous de 15 °C) et dans des volumes clos, aménagements par exemple. Le problème est identique avec les colles, surtout pour assembler des matériaux non poreux, qui empêchent l’eau de s’évaporer. Le stockage et le transport des produits en hiver imposent aussi des précautions supplémentaires pour éviter les risques de gel. Finalement, l’utilisateur doit changer ses habitudes et accepter de nouvelles contraintes, mais elles pèsent relativement peu en regard de l’agrément apporté par l’usage de l’eau, à commencer par le nettoyage des outils qui n’exige plus de coûteux solvants supplémentaires. Dans l’industrie, cette dernière question est essentielle, car le nettoyage périodique des machines consomme de grandes quantités de solvants organiques, coûteux et toxiques. Chez Bostik, une marque bien connue dans le secteur des colles et adhésifs, les machines de fabrication des cartouches de mastic en polyuréthane sont désormais nettoyées à sec ou à l’eau chaude, dont l’évaporation naturelle laisse des résidus secs, traités ensuite en déchetterie. Une autre solution consiste à développer des peintures à faible contenu solvanté, avec une proportion de 20 ou 25 %, voire moins, au lieu des 40 ou 45 % habituels, ou plus. Technologiquement réaliste, cette solution intermédiaire permet de conserver les avantages des formules solvantées tout en réduisant leur impact environnemental. En outre, ces produits à haut extrait sec peuvent donner des résultats de très bon niveau sans rien changer à l’application ou aux précautions d’emploi, de transport ou de stockage. ■