Moteur Boat Magazine

Le mouillage mode d’emploi…

Accrocher son bateau à l’aide d’une ancre et d’une amarre afin de l’arrêter paraît simple a priori. Mais, dans la pratique, la manoeuvre est souvent plus complexe que prévu, aléatoire, voire mystérieus­e...

- T E X T E : J E A N - Y V E S P O I R I E R . P H O T O S : P I E R R I C K C O N T I N , C A MI L L E MO I R E N C E T D R .

En théorie, une ancre pénètre dans le substrat des fonds sous l’effet de deux forces conjointes, celles de sa propre masse et celle de la traction exercée sur la ligne de mouillage à laquelle elle est reliée. Le terme générique de mouillage désigne l’ensemble du dispositif, qui réunit l’ancre, la ligne de mouillage (chaîne ou textile), le système de fixation (taquet, guindeau…) et la méthode utilisée. Par définition, l’effet de masse de l’ancre est statique et suffisamme­nt faible pour autoriser son stockage et sa manipulati­on à bord sans trop de difficulté­s. En revanche, l’effet de la traction exercée sur la ligne est dynamique, augmentant avec la force du vent, des vagues et des courants. L’usage de l’ancre remonte à la nuit des temps et elle a été déclinée au fil des siècles sous d’innombrabl­es formes et matériaux. Les plus anciennes datent de l’âge du bronze et ne reposent que sur le principe d’une masse rocheuse posée au fond de l’eau et reliée au bateau par un cordage. Pour d’évidentes raisons de manoeuvre, la masse de l’ancre (et son pouvoir de tenue) est limitée par les capacités physiques de l’équipage et par la taille du bateau qui la transporte. Les navigateur­s antiques ont ensuite imaginé d’associer le lest rocheux avec une croix en bois, dont les branches se plantent dans les fonds pour s’opposer à la dérive du bateau et augmenter la résistance du mouillage à la traction. Le principe de l’ancre moderne était né et, matériaux mis à part, il est toujours valide. La force de retenue (effort de décrochage) d’une ancre est la première référence pour évaluer ses performanc­es, mais son comporteme­nt à l’approche des conditions limites l’est tout autant. En effet, lorsque l’effort maximum atteint le niveau d’arrachage, certaines ancres commencent à dériver sur le fond (effort de chasse). Pour ne pas devenir dangereux, le phénomène doit être lent et régulier, afin de présenter une résistance aussi constante que possible à la traction. Comme la nature et la densité des fonds peuvent à elles seules faire varier les capacités de tenue du simple au double, il est plus que recommandé de ne pas sous-dimensionn­er son équipement, qui participe pleinement à la sécurité du bord.

Bien dimensionn­er son équipement

Les différents éléments du mouillage (taquet d’amarrage, câblot, chaîne, manille, émerillon, ancre…) sont reliés les uns aux autres comme les maillons d’une chaîne et la résistance finale est celle de l’élément le plus faible. Il faut donc veiller à dimensionn­er son équipement de manière cohérente, chaque pièce devant présenter une résistance au moins égale à celle de la précédente et de la suivante. Équiper une ancre capable de résister à une traction de 2 tonnes à une manille dont la charge maximale utile ne dépasse pas 600 kg est non seulement inutile, mais potentiell­ement dangereux. Pour éviter ce genre d’erreur, les fournisseu­rs proposent tous des tableaux de dimensionn­ement, sur la base de la taille et du déplacemen­t du bateau. D’autres critères doivent cependant être pris en compte. À longueur égale, le fardage (prise au vent) d’un timonier est plus élevé que celui d’un semirigide ou d’un open, et les efforts exercés sur le mouillage seront beaucoup plus importants si la brise se lève. Les références étant souvent calculées pour des voiliers, mieux profilés que les unités à moteur, il sera prudent de surdimensi­onner les résultats de 25 % environ pour s’assurer d’une bonne marge de sécurité. Le programme de navigation est aussi important, car les exigences attendues d’un mouillage le temps d’un pique-nique estival devant une plage méditerran­éenne abritée

ne sont pas celles d’une croisière hors saison dans les eaux irlandaise­s par exemple... On peut distinguer deux grandes familles d’ancre, les ancres traditionn­elles à jas ou les grappins dont la tenue au fond dépend de la masse et de la taille étroite de ses pointes. Inchangées depuis des siècles, les ancres à jas ne sont aujourd’hui plus guère utilisées dans la plaisance, même si elles en sont restées le symbole internatio­nal. Un grappin, sorte d’ancre à quatre branches, reste toutefois très utile pour les petites unités, annexes par exemple, ou en complément de l’ancre principale. Dotée de pelles larges et d’une verge, fixe ou articulée, sur laquelle le câblot est fixé, l’ancre moderne ne se contente pas, comme une ancre à jas ou un grappin, du seul effet de masse pour pénétrer dans le sol ; elle détourne aussi l’effet de traction dynamique exercée sur la ligne pour enfoncer les pelles dans les fonds. La résistance au dérapage est due ensuite à la compressio­n de la partie du sol situé devant les pelles. L’enfoncemen­t varie selon la nature des fonds, de la géométrie propre de l’ancre et de ses articulati­ons, de la surface des pelles, du centre de gravité, etc., mais il peut être important dans les sols meubles, comme le sable ou la vase.

Les solutions techniques sont nombreuses

La concurrenc­e fait rage entre les fabricants pour offrir un modèle polyvalent, adapté à toutes les conditions de mouillage et à tous les fonds, mais aucun comparatif, aussi sophistiqu­é soit-il, n’a jamais réussi à mettre en évidence l’incontesta­ble supériorit­é d’un modèle par rapport à un autre. Et pour cause, les variables sont si nombreuses, nature des fonds, type et poids du bateau, conditions environnem­entales, expérience de l’utilisateu­r, équipement du bord (taquet, guindeau, davier…), etc., que le concept d’ancre universell­e est inopérant. La preuve, le marché compte toujours autant de modèles, et tous rencontren­t leur clientèle ! Les ancres modernes à haute résistance sont déclinées en deux grandes familles, les ancres plates articulées, popularisé­es dans les années 1960 par Armand Théodore Colin et sa fameuse Britanny, et les « socs de charrue », chacune déclinée en de nombreuses variantes. Les premières présentent une résistance extrêmemen­t élevée au décrochage, parfois à la limite de la résistance des matériaux, car elles pénètrent profondéme­nt dans les fonds meubles, sableux ou vaseux, et ne bougent

pratiqueme­nt plus. Dans certains cas, elles peuvent néanmoins décrocher brutalemen­t, surtout sur des fonds de gravier ou d’algues, et éprouvent ensuite des grandes difficulté­s pour s’enfoncer à nouveau. Elles tendent aussi à présenter une certaine instabilit­é sous charge, en tournant d’une pelle sur l’autre. Certains fabricants ajoutent un jas transversa­l qui sert de stabilisat­eur pour annuler ou freiner la tendance au vrillage. Mais ce dispositif augmente l’encombreme­nt général, qui reste le point fort des ancres plates, tirant leur compacité de leur verge articulée et de leurs pelles plates et fines. Comme leur nom l’indique, les ancres « socs de charrue » ont une pelle monobloc dépourvue de partie mobile, qui s’enfonce et laboure le sol sous l’effort, un comporteme­nt spécifique qui lui assure des performanc­es plus homogènes que celles de l’ancre plate, y compris sur des fonds difficiles, gravier ou herbiers.

La forme du soc est le fruit de recherches poussées

En données brutes, leur tenue est généraleme­nt un peu inférieure à celle des ancres plates, mais elles ne décrochent quasiment jamais et chassent lentement, ce qui impose d’ailleurs une certaine vigilance par gros temps sur un mouillage encombré. Au fil des développem­ents, les fabricants ont optimisé les performanc­es des socs de charrue avec une pointe lestée qui déplace le centre de gravité vers le bas et facilite l’accrochage sur une grande variété de fonds. La forme du soc fait aussi l’objet de recherches poussées, avec un aspect concave proche d’un outil de coupe qui compacte la matière du sol en son centre pour en augmenter la résistance, ou des concavités multiples augmentant le tulipage et la surface utile des pelles. En raison du volume du soc et du fait que la verge est généraleme­nt fixe, l’ancre charrue est nettement plus volumineus­e qu’une ancre plate, ce qui oblige à soigner son rangement à bord. Faute de disposer d’une place suffisante dans la baille à mouillage, un stockage sur delphinièr­e ou davier dédié est le plus commode, car l’ancre reste

à poste et elle peut être larguée très rapidement. Commode en cas d’urgence… Les qualités respective­s des ancres plates et socs de charrue étant complément­aires, les adeptes du mouillage forain auront tout intérêt à se doter des deux modèles de famille, un mouillage principal et un secondaire étant de toute façon indispensa­bles pour la sécurité de ce type de programme de navigation. Très facile à manoeuvrer, un troisième mouillage léger, associant une ancre légère et un bout plombé, pourra servir pour immobilise­r le bateau sur une courte période et dans un cadre abrité, le temps d’un pique-nique par exemple. Ceux qui ne mouillent qu’occasionne­llement et en période estivale choisiront le type d’ancre le mieux adapté aux fonds qu’ils ont l’habitude de fréquenter.

La chaîne fait la jonction entre l’ancre et le câblot

Pour aider l’ancre à pénétrer le plus rapidement possible dans le fond, la traction exercée par la ligne de mouillage sur la verge doit, dans l’idéal, être parallèle au fond. Pour cette raison, le câblot en textile, trop léger surtout immergé, n’est pas relié directemen­t à l’ancre. La liaison entre les deux est confiée à une chaîne, pour les ancres classiques, ou à un bout plombé pour les ancres légères. L’extrémité de la ligne est ainsi suffisamme­nt lourde pour tirer horizontal­ement sur la verge, et ce quelle que soit la hauteur d’eau. À l’inverse, une traction perpendicu­laire permet de dégager les pelles et de remonter l’ancre à bord. Le diamètre des maillons de la chaîne (de 6 à 16 mm ou plus) sera évidemment proportion­nel à la charge de travail prévue. Au minimum, il faut compter deux fois la taille du bateau en longueur de chaîne et cinq fois pour l’ensemble chaîne et câblot (ou bout plombé). Il est nécessaire d’augmenter ces longueurs si vous naviguez dans des zones venteuses ou sur des fonds importants ou difficiles. Si vous utilisez un guindeau, les maillons doivent être soigneusem­ent calibrés pour pouvoir s’adapter

au barbotin. Pour d’évidentes raisons de fiabilité, la chaîne doit être d’un seul tenant. Il existe des maillons à riveter pour relier deux longueurs, mais comme leur résistance est bien inférieure à celle d’un maillon standard (la charge de rupture d’un maillon de 10 mm est trois fois inférieure à celle d’une chaîne calibrée de même diamètre), ce dispositif ne doit s’employer qu’en dépannage.

Un modèle trois torons en polyester ou polyamide

Le type de cordage le plus utilisé pour la ligne de mouillage comprend trois torons en fibre polyester ou polyamide, de 6 à 20 mm de diamètre selon la taille et le déplacemen­t du bateau. Ses capacités d’allongemen­t sont élevées pour amortir les rappels de la coque dans les vagues. La liaison du textile avec la chaîne se réalise grâce à une cosse épissée qui, exécutée dans les règles, ne fait pratiqueme­nt rien perdre en résistance. La liaison de la chaîne et de l’ancre s’effectue à l’aide d’un connecteur spécial ou d’une manille. Dans tous les cas, l’échantillo­nnage de ces pièces devra être cohérent avec celui des autres éléments du mouillage. Les ancres légères sont couplées à des bosses plombées sur un tiers de leur longueur afin de courir à plat sur le fond. Ces textiles étant beaucoup moins résistants à l’usure que la chaîne, les mouillages légers sont réservés à des séjours de courte durée et sur des fonds réguliers qui limiteront l’abrasion. ■

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 ??  ?? Voilà un concentré de ce qu’il faut éviter : manipuler le mouillage sans gants et pieds nus, et lancer son ancre !
Voilà un concentré de ce qu’il faut éviter : manipuler le mouillage sans gants et pieds nus, et lancer son ancre !
 ??  ?? On mesure la performanc­e d’une ancre à sa force de retenue, c’est-à-dire à son effort de décrochage.
On mesure la performanc­e d’une ancre à sa force de retenue, c’est-à-dire à son effort de décrochage.
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 ??  ?? Un mouillage est constitué de divers éléments : ancre, chaîne, câblot, auxquels s’ajoutent aussi des manilles.
Un mouillage est constitué de divers éléments : ancre, chaîne, câblot, auxquels s’ajoutent aussi des manilles.
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Au minimum, il faut prévoir une longueur de ligne de trois à quatre fois la hauteur d’eau sous la quille.
 ??  ?? En raison de leur encombreme­nt, les ancres de type charrue demeurent souvent à poste sur le davier et sont rarement logées à fond de baille.
En raison de leur encombreme­nt, les ancres de type charrue demeurent souvent à poste sur le davier et sont rarement logées à fond de baille.
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 ??  ?? Un mouillage ne se compose pas uniquement de l’ancre, mais de plusieurs éléments qui jouent un rôle important.
Un mouillage ne se compose pas uniquement de l’ancre, mais de plusieurs éléments qui jouent un rôle important.
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