PLEIN PHARE
Ducati Superleggera, bolognaise carbonisée
Waouh ! 215 ch et 178 kg tous pleins faits, c’est beau. Et encore, ça, c’est pour rouler légalement sur la route. Quand on branche sur le twin la ligne racing complète Akrapovic (non homologuée pour la route, donc), on passe à 220 ch et 173 kg. A titre de comparaison, la nouvelle Honda CBR 1000 RR, qui est la plus légère des sportives 1000 actuelles, pèse 196 kg et ne délivre “que” 192 ch… Sur le papier, les performances de la Ducati Superleggera sont donc stratosphériques ! Ce niveau de performance est digne d’une moto de mondial Superbike. Et qu’il soit accessible sur une moto de route est incroyable. Mais il y a un hic. Le prix de la Superleggera n’a plus rien à voir avec celui d’une moto de route : 80 000 €, ça pique ! La somme est élevée, certes, mais elle ne retire pas tout le mérite de l’équipe qui a développé la moto. Déjà parce qu’une vraie moto de course coûte souvent bien plus cher encore, et que sa production se limite à quelques unités par saison. La Superleggera est produite à 500 exemplaires. C’est peu et énorme à la fois quand il s’agit de contrôler le niveau de qualité et de performance de chaque moto, une à une. Et puis il y a aussi les façons d’obtenir les performances. La Superleggera doit respecter certaines règles pour être homologuée sur la route. Mais elle n’a pas à respecter les règlements techniques de compétition comme le Motogp ou le Superbike. Elle peut donc se permettre toutes les excentricités techniques, et elle ne s’en prive pas. Au menu, ce sera donc du carbone à tous les étages !
CARBONISÉE
La Superleggera est ainsi la première moto de production au monde à profiter d’un cadre, d’un bras oscillant et de jantes en carbone. On le sait, un matériau composite renforcé aux fibres de carbone fait partie des plus légers et résistants. Et, de fait, les pertes de poids de la Superleggera face à la Panigale 1299 standard aux éléments en aluminium sont spectaculaires. L’architecture même de la Panigale, avec son moteur porteur fait du cadre une pièce relativement légère. Sur la 1299, la monocoque en fonderie d’aluminium ne dépasse pas les 4,25 kg. Sur la Superleggera, l’équivalent en carbone ne pèse plus que 2,55 kg, 40 % en moins ! La réduction sur le monobras est moins spectaculaire, avec 900 g pour un total de 4,1 kg. Mais elle est considérable dans la mesure où le bras oscillant participe aux masses non suspendues. Une baisse de près d’un kilo n’est donc pas sans conséquence sur le plan dynamique. De l’aveu même de Cristian Gasparri, le responsable du développement produit, « le monobras a été la pièce la plus complexe à réaliser. A cause des fortes contraintes mécaniques qu’il doit supporter, de sa complexité géométrique et de la précision de fabrication requise au niveau des nombreuses interfaces avec les paliers en aluminium. » Les roues en carbone permettent de sauver 1,4 kg et participent aussi à une réduction importante des masses non-suspendues. Les roues nettement plus légères font aussi chuter l’effet gyroscopique induit par la rotation des jantes, et c’est l’un des aspects les plus marquants de la Superleggera, selon Alessandro Vallia, le pilote maison qui a développé la moto : « La première chose qui m’a frappé quand j’ai roulé avec la moto, c’est l’absence d’inertie à la mise sur l’angle. La moto réclame beaucoup moins d’effort pour entrer en
courbe, et il faut s’y habituer au début. Mais une fois qu’on a compris le mode d’emploi, ça devient très efficace ! »
LE COUP DES COUPES
Le régime ne se résume pas à l’emploi du carbone. Jusque dans les moindres détails, la Superleggera grappille tout ce qu’elle peut. Il y a les coups faciles, comme la batterie lithium-ion, qui économise à elle seule 1,7 kg. Et il y a les coups plus tordus, comme les tubes de la fourche Ohlins, dont les flancs ont été biseautés pour virer quelques grammes sans compromettre leur rigidité longitudinale en phase de freinage. Le ressort en titane de l’amortisseur Ohlins TTX36 (- 500 g) est aussi un bel exemple de perversité. On peut donc être surpris de ne pas voir de disques de freins en carbone comme en Motogp. La question posée à Federico Valentini, product manager de la moto, il nous répond « que des disques en carbone ont été étudiés, mais qu’ils posaient problème en cas de pluie. » Dommage, mais on se rassure devant la qualité du système Brembo aux disques en acier de 330 mm, ses étriers radiaux M50, son maître-cylindre radial MCS-19.21 et sa molette de réglage de garde déportée au guidon gauche pour compenser l’usure des plaquettes en course. Tout cela pour quoi ? On se souvient en effet que la 1199 Superleggera de 2014 revendiquait un poids à sec de 155 kg. Soit 1 kg de moins que la 1299 Superleggera. L’ancienne se contentait pourtant d’un bras oscillant standard en aluminium, et recourait à un cadre monocoque en magnésium un peu plus lourd que son équivalent en carbone. La différence tient dans la réglementation. La 1199 SL est née sous Euro 3, la 1299 sous Euro 4. Plus contraignante en termes d’émissions sonores et polluantes, la nouvelle norme impose des systèmes de réduction de bruit à l’intérieur du moteur et un système d’échappement plus complexe et plus lourd. En comparant les deux motos équipées d’un kit racing qui inclut notamment une ligne d’échappement racing en titane, la 1299 SL renverse la vapeur et parvient à perdre 1,5 kg face à l’ancienne Superleggera. En considérant la hausse de tarif de 15 000 € entre les deux Superleggera, on aboutit à un prix de 10 000 € le kilo perdu !
215 ch et Euro 4
La Superleggera se distingue avant tout par sa partie-cycle en carbone. Mais on aurait tort de ne pas s'attarder sur le moteur. Le bicylindre Superquadro (qui doit son nom à ses cotes extrêmes de 116 x 60,8 mm) évolue en profondeur pour parvenir à sortir 215 ch et 14,9 mkg tout en respectant la norme Euro 4. Pour y arriver, le volant d'inertie et le vilebrequin sont allégés pour augmenter la vivacité des montées en régime et repousser encore un peu plus haut la zone rouge. Les bielles passent au titane, tout comme leurs vis de tête. Les pistons se contentent de deux segments et coulissent dans de nouvelles chemises en aluminium (en remplacement de l'acier). Les culasses sont revues pour obtenir une nouvelle chambre de combustion qui porte le taux de compression à 13 : 1. Les soupapes d'admission et d'échappement sont en titane et de plus gros diamètre. Elles sont actionnées par des cames plus pointues qui augmentent leur levée garantir un meilleur remplissage à haut régime. Les corps de papillons elliptiques adoptent un petit profil aérodynamique au niveau de l'axe de rotation afin de limiter les pertes de charge lorsqu'ils sont totalement ouverts. Les pipes d'admission ne sont plus de la même longueur afin d'accorder parfaitement les flux de gaz frais entre les deux cylindres, et le filtre à air laisse passer davantage de débit. Tout ce travail permet d'atteindre les chiffres cités plus haut, mais il prend tout son sens lorsque la Superleggera reçoit la ligne racing Akrapovic (non homologuée pour la route). Le moteur délivre alors 5 ch de plus à 11 000 tr/mn mais surtout plus de couple entre 5 500 et quelque 7 500 tr/mn (jusqu'à 12 % de plus à 6 500 tr/mn). La fibre de carbone revient donc plus cher que la truffe noire ou le caviar. Mais c’est le prix à payer quand on s’approche des limites de la technologie disponible du moment.