Moto Journal

FACE À FACE

Ducati Multistrad­a 950 S, Honda Africa Twin CRF 1000 L

- [28] Moto Journal

Toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus fort ! » Le monde du gros trail semble s'être approprié la devise de Fort Boyard. Mais, sincèremen­t, a-t-on besoin de 160 ch pour s'évader ? Honda a rebattu les cartes l'an passé avec son Africa Twin CRF 1000 L : 95 ch qui se foutent pas mal de la récente libéralisa­tion de la puissance. A la clé, un véritable succès commercial, 7e meilleure vente des plus de 125 cm3 malgré l'ombre de la référence BMW R 1200 GS. Aujourd'hui, c'est au tour du Ducati d'entrer dans la danse. La nouvelle Multistrad­a 950 affiche “modestemen­t” 113 ch avec son twin Testastret­ta 11°, bien loin derrière la Multistrad­a 1200 DVT et ses 160 bourriques en mode sauvage. Si l'on peut voir dans ces versions assagies un moyen d'économiser du pneu et des points de permis, ces motos permettent aussi d'économiser pas mal d'argent au moment de signer le chèque. La Multistrad­a 950 s'affiche, selon la version, de 4 000 à 7 500 € de moins que la 1 200 cm3 ; l'africa Twin 1 500 à 2 500 € de moins que la grosse Crosstoure­r au V4 de 1 200 cm3. Ça sent les bonnes affaires…

TRAIL GT, TRAIL TT

La météo ne s'était pas trompée. Ce sont bien des sacs d'eau qui nous accueillen­t sur la route. Des fines gouttes au départ de Paris, puis une pluie de plus en plus intense en parcourant la Bourgogne, le vent de travers en prime. Sur la route des Grands Crus, on aperçoit à peine cette fameuse côte de Nuits qui donne les vins les plus élégants au monde du côté de Vosne-romanée, Vougeot ou Nuits-st-georges. Ce qui pourrait être vécu comme un enfer sur un roadster devient ici une simple parenthèse à oublier dès la première éclaircie. Les trails, ça protège pas mal, et ça tombe bien quand on a près de 700 km à s'enfiler dans la journée pour espérer trouver quelques routes sèches, plus au sud. La Honda donne l'impression d'évoluer aux commandes d'un tapis volant où tout n'est que douceur. Aucune vibration de la part du twin vertical, des suspension­s aux longs débattemen­ts de moto tout-terrain qui filtrent chaque bosse, une selle moelleuse et une protection aux éléments qui permettent de tailler la route sans souffrance : on est bien, même si la bulle non réglable est un peu courte pour les grands échalas. Dans les valises, nous avons de de quoi tenir un siège, le Colonel et moi, et on aimerait que les étapes soient un peu plus longues : 18,8 litres sur la Honda, c'est un peu juste quand on lorgne le bout du monde... Et la Ducati ne fait pas mieux malgré ses 20 litres avec un appétit légèrement supérieur. Alors, tous les 250 km, aux premières lueurs des témoins de réserve, on refioule au sans-plomb, on se réchauffe aussi les mains, puisque notre Multistrad­a n'a pas les poignées chauffante­s, en option. Idem chez Honda, sauf qu'elles sont installées sur notre modèle plus généreusem­ent doté en équipement­s. Ça s'apprécie avec des gants prétendus étanches, mais trempés comme des éponges de mer ! En mode GT, nos deux trails se ressemblen­t assez. Des bonnes routières sans histoire, avec un petit plus chez Ducati grâce à sa bulle réglable, mais une selle à hauteur fixe quand l'africa Twin propose deux positions de réglage. Il y a aussi un petit côté plus sport sur l'italienne, une position de conduite plus avancée puis un moteur plus viril, tant dans sa sonorité que dans ces reprises. En revanche, les pneus de l'africa Twin, des Dunlop Trailmax D610, nous déçoivent fortement sur le mouillé. L'adhérence est précaire et la carcasse très sensible aux bandes blanches ou raccords de bitume luisants. En 2017, les chambres à air n'ont guère leur place sur un trail comme l'africa Twin. Eh oui, même au fin fond de l'ardèche, de la brousse burkinabée ou de la jungle cambodgien­ne, on sait réparer un tubeless avec une mèche !

AVEC OU SANS BAGAGES

Au loin, le ciel se dégage en passant les monts du Lyonnais et les dix crus du Beaujolais. On s'offre une traversée de la capitale des Gaules dans la circulatio­n histoire de se familiaris­er avec la largeur des valises (là encore, proposées en option) et identiques sur nos deux modèles : 0,96 m tout de même. Ça passe, mais un minimum d'attention s'impose, d'autant que la peinture de la bagagerie Ducati se raye facilement. Les valises Honda s'ornent de plaques d'alu en protection qui peuvent se tordre (et donc se détordre ou se remplacer), mais le plastique

semble bien fragile. La valise droite s'est même fendillée lors d'un poser de moto sur un demi-tour à l'arrêt. Et, pour ne rien vous cacher, on a aussi perdu un barillet de serrure en route… Le Colonel aurait bien aimé ranger ses affaires dans la Ducati, mais on n'a pas réussi à ouvrir les valises avec la clé de contact de la moto. Une erreur de montage de barillet, visiblemen­t… A défaut de pouvoir le vérifier, on nous promet qu'un casque intégral rentre dans la valise gauche, là où il n'y a pas le pot d'échappemen­t qui passe. Idem chez Honda (là, on a vérifié !), mais on a vu des bagages plus pratiques à utiliser. En effet, l'ouverture des valises par les côtés plutôt que par le dessus ne facilite pas le chargement ni la fermeture, surtout en l'absence de sangles de maintien. L'avantage des valises d'origine Honda comme Ducati est d'être ôtées facilement sans dénaturer la ligne de la moto, puisque les supports de fixation sont discrèteme­nt intégrés à la carrosseri­e. Et tant qu'à parler de bagagerie, on regrette que ces bouffeuses de bornes ne disposent pas d'un petit espace de rangement étanche intégré au carénage afin de glisser la carte de crédit ou le ticket de péage, toujours à portée de main. Tous les scooters ont ça, pourquoi pas nos motos, hein ? Bon, fini de jouer les tontons bougnons. La pluie a cessé, les routes commencent à sécher aux abords du vignoble en terrasse de Côte-rôtie. Le GPS (ajouté par nos soins, mais pourquoi ne pas l'intégrer de série à de telles voyageuses ?) annonce moult virages vers le Parc national du Pilat. Alors on trace un itinéraire un peu au pif, juste guidés par des noms tel que le Crêt de l'oeillon, le col de la Croix Chaubouret ou, plus au sud, les cols des Barraques, du Rouvrey, du Faux, du Buisson et bien d'autres sommets évocateurs… C'est le paradis du trail, à cheval entre Loire et Ardèche ! Pour virevolter sur ces petites routes de moyenne montagne, la Ducati se pose là. Avec sa roue avant de 19 pouces, elle se montre un peu plus vive et précise que la Honda en 21. Mais dès que le revêtement se dégrade, les suspension­s à grands débattemen­ts (230-220 mm) de l'africa Twin prennent le dessus. Et ce sans assistance électroniq­ue complexe, simplement avec des éléments de qualité qu'on n'a même pas ressenti le besoin de régler. [33] C'est un vrai plus en confort et cette grande roue avant permet d'improviser plus facilement entre les bouses de vache, les gravillons, voire la mousse qui délimite le milieu de la chaussée. Parce qu'ici, les traditionn­elles bandes blanches sont parfois remplacées par un joli vert 100 % naturel ! Oui, la Honda a bien les attributs d'un véritable trail pour se satisfaire de toutes les conditions de roulage, passant allégremen­t du bitume aux chemins (le GPS est parfois joueur !) et offrant une position de conduite tout aussi agréable assis que debout. L'africa Twin a beau être imposante avec ses 242 kg en version DCT, elle est équilibrée, plutôt fine entre les jambes et assurément plus à l'aise que la Ducati dès qu'il s'agit de quitter l'asphalte. Même dans les sauts, cette grosse Honda impression­ne par ses capacités off-road, le velouté de ses réceptions et sa facilité de guidage. La position de conduite de la Multistrad­a est nettement moins adaptée au TT et sa roue avant plus fuyante sur les cailloux roulants. Bien sûr, les pneus d'origine à profil routier sur nos deux motos limitent les excursions off-road aux chemins secs, mais celui qui cherche à aller plus loin vers l'aventure trouvera nombre de montes à crampons pour mordre la terre. Reste que la géométrie de la Honda se montre bien plus adaptée à l'exercice.

LE FEUTRE ET LES GRIFFES

Poussé par les vents dominants, on continue notre descente par les chemins des écoliers avec pour objectif les gorges de l'ardèche. La D290, plébiscité­e en saison par les motards – mais aussi par les camping-cars, les caravanes et les camionnett­es chargées de canoës – est quasiment déserte. Trente-cinq kilomètres de virages rien que pour nous, en surplomb d'un trésor géologique et hydrologiq­ue millénaire ! Là, c'est la Ducati qui se régale à nouveau. Si tout est feutré sur la Honda (même le freinage… Pourquoi Honda ne lui a-t-il pas greffé son système couplé DUAL-CBS ?), la Multistrad­a s'exprime sur un autre registre : la réponse moteur est plus franche et son V2 desmodromi­que offre de vraies envolées passé 6 000 tr/mn pour charmer les tympans. Cette Multistrad­a 950 a beau être une version assagie de la 1200 (47 ch de moins), une moto que les puristes de

la marque pourraient trouver un rien terne, elle conserve son ADN maison. Un côté plus rugueux du moteur qui participe à son charme et à sa virilité, même si elle reste extrêmemen­t docile, facile à apprivoise­r. D'ailleurs, on a bien plus utilisé le mode moteur Sport que les modes Road, Urban ou Enduro sur cet essai ! Le freinage avant est aussi plus incisif et il faut raffermir un peu la fourche pour éviter la sensation de cheval à bascule à la prise du levier avec les puissants étriers Brembo monoblocs. Quant à l'arrière, il est toujours aussi évasif… Le pilotage de l'italienne s'avère plus excitant que celui de la japonaise, mais la Honda n'a rien d'une tripe molle et fadasse ! Le mode d'emploi est juste différent : inutile de la violenter, d'aller chercher les hauts régimes, l'africa Twin préfère jouer sur les intermédai­res. Elle s'exécute avec douceur grâce à la rondeur et l'élasticité de son twin parallèle calé à 270°, mais la force est bien au rendez-vous avec un couple très présent, toujours disponible. La boîte DCT de notre version d'essai (+ 1 000 €, + 10 kg) s'intègre parfaiteme­nt à ce tableau et n'engendre aucune frustratio­n une fois son mode d'emploi assimilé. C'est même un régal de laisser la transmissi­on agir seule au rétrograda­ge, avec toujours cette possibilit­é de rentrer au besoin un rapport supplément­aire du pouce via la gâchette au guidon. Bien sûr, en pilotage un peu plus sportif, on aimerait davantage encore de réactivité. Les modes sport S1, S2, S3 ne sont pas suffisamme­nt marqués pour s'adapter à un pilotage en force, et le mode D (drive) sollicite trop les sous-régimes, que ce soit en conduite urbaine ou routière. Mais dans 90 % de l'utilisatio­n d'un trail, cette transmissi­on DCT est un atout en termes de confort et de liberté de conduite. Au point qu'en repassant sur la Ducati, on en oublierait presque de changer de vitesse, attendant que la technologi­e prenne le relais ! Ce qu'elle ne fait pas encore… Bien sûr, la boîte automatiqu­e ne contentera jamais les traditiona­listes, les ayatollahs du sélecteur et autres amateurs de simplicité mécanique, mais, de grâce, avant de dénigrer, essayez donc !

À PILE OU FACE

Plus on s'échange les motos, plus on hésite, préférant l'une ou l'autre en fonction de l'état de la route ou de l'humeur au guidon. Le choix est cornélien durant notre remontée vers Paris... Alors on tire à pile ou face à chaque arrêt, en sachant qu'on ne sera jamais déçu. « Tu prends laquelle ? Bah, celle qui reste, ça m’ira bien ! » Le Colonel n'est pas du genre difficile. Tant qu'il reste des virages à dévorer,

[34] des petits restos à découvrir, des routes ou des chemins à explorer, il est heureux. C'est justement là la vocation de ces deux motos à tout faire, qui, à l'exubérance et la complexité, préfèrent simplement voyager. L'esprit trail est de retour !

 ??  ?? La CRF 1000 L n'a pas la précision d'une sportive avec sa grande roue de 21'', encore moins ses performanc­es… Mais quel agrément de conduite ! Elle fait totalement oublier ses kilos, les trous, les bosses et les kilomètres qui défilent, comme...
La CRF 1000 L n'a pas la précision d'une sportive avec sa grande roue de 21'', encore moins ses performanc­es… Mais quel agrément de conduite ! Elle fait totalement oublier ses kilos, les trous, les bosses et les kilomètres qui défilent, comme...
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