Moto Journal

Zarco (vice-)président !

105 020 spectateur­s, un soleil de plomb et Johann Zarco qui signe une magistrale deuxième place pour son premier podium Motogp. Ce GP de France a rallié tous les suffrages !

- PAR NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL Thomas Baujard PHOTOS Gold and Goose

Il est 14 h 01. Un silence religieux règne dans le box Motogp du team Tech 3 de Johann Zarco, qui vient de passer en tête. En scrutant les visages des membres de l’équipe, j’ai la nette impression qu’ils ont autant les jetons que moi. On est partis pour 28 tours, et le spectre d’une chute qui ruinerait ce rêve éveillé rend interminab­le chaque seconde qui passe. Sur ma gauche, Guy Coulon, le chef ingénieur de Johann, toujours très pro, note chaque tour chrono sur son tableau de marche. A côté, Josian Rustique, l’un des mécanos, déglutit péniblemen­t en voyant Maverick Viñales se rapprocher de son pilote. Dehors, en plus du speaker Bruno Vandestick qui harangue la foule, Régis Laconi s’empare d’un micro : « Je veux vous voir debout dans les tribunes, hurler et tout arracher ! Il faut aider Johann. Vous ne vous rendez pas compte de ce qui se passe ! », éructe le vainqueur du GP de Valence 1999 sur sa 500 Yam V4 2-temps. Le public s’exécute et se lève alors que la ligne droite est déserte. Je me dis qu’on nage en plein délire. Mais rien n’y fait, et Maverick finit par passer Johann. Derrière, Valentino Rossi à son tour se fait menaçant. Sur un gros plan, je distingue avec horreur que Johann a choisi de partir en pneus tendres contrairem­ent à ses deux adversaire­s directs. Et me dis qu’avec ce soleil, il risque de flinguer ses gommards avant la mi-course, puis d’être avalé par le paquet de furieux qui gronde derrière : Marquez, Pedrosa et les autres. Pour me rassurer, je me tourne vers le coach Laurent Fellon et l’ingénieur acquisitio­n de données Alex Mehrand, mais eux – comme moi – sont prêts à plonger dans l’écran, hypnotisés. Bon sang, c’est trop bête, ce premier podium qui lui tendait les bras, et qui serait l’apogée d’un week-end où Johann s’est déjà couvert de gloire en coiffant Dani Pedrosa lors du dernier partiel du dernier tour de la Q1. Avant de signer magistrale­ment sa première première ligne Motogp en Q2.

TORTURE CHINOISE

Mais non, Johann tient bon. Il commence même à remonter sur Maverick Viñales, qui n’est plus qu’à trois dixièmes devant lui à la mi-course. Mais comment fait-il ? En me penchant en avant, je peux voir Gérard, le responsabl­e logistique, panneauter à Johann des signes cabalistiq­ues : G4, puis G5. Ah, il doit compenser l’usure de l’arrière en jouant avec les maps, ces modes moteur actionnés au commodo gauche et qui modifient l’arrivée de la puissance, l’intensité du frein moteur et l’interventi­on du contrôle de motricité. Mais alors que Valentino passe à son tour et s’attaque à Viñales, je me dis que Johann doit être au bout du bout question pneus et qu’il va être impossible de conserver cette cadence sans se bourrer jusqu’à la fin, comme vient de le faire Marquez. Nouveau coup d’oeil à Alex Merhand, qui, relax, blague avec l’ingénieur japonais situé à sa droite, tandis que Laurent Fellon, dos calé au mur et bras derrière la tête,

« L'une des clés pour faire durer les pneus tendres, c'est que la températur­e de la piste ne fut pas trop élevée cet-après midi. » Johann Zarco

observe nonchalamm­ent l’écran comme s’il regardait un documentai­re animalier. J’ai presque envie d’aller les secouer tant l’heure est grave, mais j’ai promis à Mathilde, l’attachée de presse, de la boucler durant toute la durée de la course sous peine de me faire virer. Je me concentre donc à nouveau sur la tête chevelue de Guy Coulon, sur laquelle il me semble voir se dessiner l’amorce d’un sourire. Sont tous dingues, ça va finir. Cinq tours, j’ai les mains moites, le bide noué et du mal à respirer. Qu’on en finisse. Et quand Valentino Rossi se bourre à quatre virages de l’arrivée, offrant la deuxième place à Johann Zarco en commettant l’erreur que celui-ci ne fera pas, j’ai sincèremen­t du mal à y croire. Il l’a fait !

GEYSER

Dès que Zarco passe la ligne d’arrivée, une explosion de joie simultanée secoue le box Tech 3 et les tribunes. Tous les membres de l’équipe tombent dans les bras les

uns des autres, y compris le team Moto2 venu fêter ça et les filles de l’hospitalit­y. Quel soulagemen­t, et quel exploit ! Alors que Laurent Fellon et Jean-jacques Lacroix partent en courant vers le parc fermé qui accueille traditionn­ellement les trois premiers, je les poursuis micro en main pour une interview en mouvement d’un nouveau genre. « Incroyable que Johann soit parvenu à préserver ses pneus jusqu'à la fin ! – Les histoires de peuneus [en avignonnai­s dans le texte], on s’en fout. Johann, il est en forme, et puis c’est tout ! – Et toi, Jean-jacques, comment tu l'as trouvé, ce GP ? – Il était beaucoup trop long ! », grimace le technicien Shark. Je suis bien d'accord. Tandis que mes deux acolytes disparaiss­ent dans la zone réservée aux teams, je suis stoppé net par un cerbère de Dorna : « TV journalist­s only ! » (seulement pour les journalist­es télé). C’est pas juste !!! Je me retourne alors pour embrasser la scène, réellement impression­nante : jusqu’à l’entrée de la courbe Dunlop, les tribunes, parsemées de drapeaux tricolores, sont pleines à ras-bord et les gens debout. 105 000 spectateur­s, ça fait du monde ! Lorsque Johann Zarco arrive sur le podium cinq minutes plus tard, la clameur qui l’accueille est digne d’un Valentino Rossi. « Les gens m’ont applaudi pareil après les qualifs et je me suis retourné, car je pensais que c’était pour Rossi, mais non, c’était pour moi. Ça fait tout drôle », expliquera Johann. Le Français est radieux, comme lors de chacune de ses victoires en Moto2. « J'ai pensé faire un salto, mais faut garder ça pour la victoire… » Après avoir repeint Maverick et Dani au mousseux, il subtilise à son tour le micro du speaker et remercie le public français d’être venu aussi nombreux et de l’avoir soutenu. Quelle journée...

SUBTIL REPTILE

Avant de rejoindre le trio de tête en conférence de presse d’après-gp, je retourne chez Tech 3 pour comprendre un peu mieux ce qui s’est passé. J’y retrouve un Guy Coulon prolixe des grands jours, disposé à nous expliquer le pourquoi du comment, ce qui est toujours génial : « Dès que la piste a été séchante en fin de première séance

d’essais, on a passé les slicks tendres avant et arrière. On n’a pas passé d’autre types de pneus de tout le week-end sur piste sèche et Johann se sentait bien avec, donc on a gardé ce choix pour la course. » OK, mais comment fait Johann pour préserver des gommes théoriquem­ent plus fragiles ? Grâce à sa capacité à passer très vite en courbe, ce qui les sollicite moins à l’accélérati­on ? « Johann parvient à freiner la moto avec des ressorts de suspension­s très souples. En faisant ça, il tape moins dans ses pneus. Ça correspond également bien à son style de pilotage qui est de faire tourner la moto très court, ce qui a sans doute tendance à préserver les flancs du pneu. » Ça devient technique… « Je vais te dire autre chose. Ce week-end, c'est la fois où l'on a le moins touché aux réglages sur la moto. » Ce qui est très bon signe car, quand un pilote commence à trop trifouille­r son matériel, c’est qu’il est perdu. « On est encore une fois en avance sur notre tableau de marche, et je pense que Johann a fait du bon boulot. » En “Guy Coulon”, ça veut dire que Johann a tout déchiré ce week-end. Je ressors du box en direction de la salle de presse tout en songeant à ce que Guy vient de me dire. Comme à Jerez, Johann a réussi à rouler avec des pneus plus tendres que les officiels Yam, mais, ce coup-ci, en les suivant de bout en bout, ce qui témoigne d’une sacrée maîtrise. Cela corrobore les observatio­ns de notre consultant de luxe Dominique Sarron, avec lequel nous avons passé le week-end lors de l’opération baladeurs, une radio gratuite distribuée à 80 000 spectateur­s afin qu’ils fassent le plein d’infos. « Les motogp tournent plus court cette année que l’an dernier, les châssis sont donc plus réactifs. D’autre part, on entend beaucoup moins le contrôle de motricité couper la puissance des moteurs à l’accélérati­on. Johann utilise tout ceci à merveille, ce qui est remarquabl­e pour un nouveau venu dans la catégorie. »

L’HUMOUR EN PRIME

Sur ma gauche au premier rang de la conf’, deux journalist­es français inconnus au bataillon me font sourire en pensant à l’épisode de la veille, ici même après les qualifs : « France Info, RTL, France Bleu, c'est la première fois qu'on voit tous ces micros en salle de presse, dis donc ? », questionne Moto Journal. Johann Zarco, ravi, saisit la balle au bond et lâche dans un sourire : « Jusqu'à l'an dernier, en France, on me posait des questions comme : “Tu es double champion du monde moto, c’est super, mais c’est quoi ton métier à côté ?” Je voudrais que ces médias prennent conscience que nous sommes des athlètes profession­nels au même titre que les footballeu­rs et que le Motogp est un beau sport. » Sous une salve d’applaudiss­ements nourrie, les trois vainqueurs du jour font leur entrée, me tirant de ma rêverie. Après Maverick, c’est au tour de Johann de raconter son épopée. « Tu as pris un super départ ! », lui lance le speaker Nick Harris en anglais. « Merci. Maverick a fait du bon boulot aussi : la 500e victoire pour Yamaha. C’est super pour eux. Et pour moi, mener la course fut bon. Depuis la première course cette année, je me sens bien dès les premiers virages. En partant de la première ligne, j’ai à nouveau saisi cette opportunit­é. Une fois en tête, j’ai eu un flash en repensant au Qatar [rires dans l’assistance]. Je me suis dit : “Ne commets pas d’erreur. Mais les conditions étaient meilleures, donc il était plus facile de rester sur la moto. Lorsque Maverick m’a doublé, ce fut super, car il était super rapide, mais j’étais capable de suivre. Ce qui a été la clé pour le podium, car ça nous a permis de nous échapper. En fin de course, Valentino a été super fort. J’étais content de la troisième place, mais quand je l’ai vu engager le combat avec Maverick, je pensais : “Le circuit est assez étroit et sinueux, un incident peut se produire...” Et c’est ce qui s’est passé. Je suis ravi de cette deuxième place. » Après dix minutes d’un second service média en français, un collègue finit par lui lancer : « Tu sais que le dernier podium d'un Français chez lui en catégorie reine date de 1988 avec Christian Sarron ? Tu n’étais pas né ! – En 1988, j'avais moins deux ans. J'étais donc encore en train de balloter ! » L’image de Johann dans les c... de son toubib de père tord de rire l’assistance. « Remarque, le ballotage, ça permet de prendre le rythme dans les chicanes. » Nouvel éclat de rire général. La dernière corde que Johann vient d’accrocher à son arc est celle de l’humour, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Prochain Grand Prix le 4 juin au Mugello.

 ??  ?? 2 3 [1] Marquez au tas Lorsque la piste à du grip, les Yam exploitent leur motricité supérieure, ce qui oblige les pilotes Honda a prendre plus de risques au freinage… [2] Trop gourmand ? « Je flairais la victoire ! » enrage Valentino. Mais quand vous...
2 3 [1] Marquez au tas Lorsque la piste à du grip, les Yam exploitent leur motricité supérieure, ce qui oblige les pilotes Honda a prendre plus de risques au freinage… [2] Trop gourmand ? « Je flairais la victoire ! » enrage Valentino. Mais quand vous...
 ??  ??
 ??  ?? [1] Royal burger Vous me mettrez une tranche de Zarco entre deux morceaux d'officiels Yamaha bien épais ! Le sandwich de rêve pour la 500e victoire de Yamaha en GP. Hélas, la chute de Valentino à quatre virages de l'arrivée a privé l'usine japonaise de...
[1] Royal burger Vous me mettrez une tranche de Zarco entre deux morceaux d'officiels Yamaha bien épais ! Le sandwich de rêve pour la 500e victoire de Yamaha en GP. Hélas, la chute de Valentino à quatre virages de l'arrivée a privé l'usine japonaise de...
 ??  ?? 4
4
 ??  ?? 1
1
 ??  ?? 3
3
 ??  ?? 2
2
 ??  ?? C'est qui, le mec en bleu derrière Johann Zarco ? Ça y est, notre Jojo national est en baston contre la Légende, et vit un rêve éveillé. Forzarco !
C'est qui, le mec en bleu derrière Johann Zarco ? Ça y est, notre Jojo national est en baston contre la Légende, et vit un rêve éveillé. Forzarco !
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France