Moto Journal

PAIRE PEINARD

Pour rouler comme un pilote, il y a le circuit… ou les jeux vidéo. Mais pour rouler tous les jours sur une sportive abordable, on vous propose mieux avec ces deux motos. Moins de 100 ch, moins de 8 000 €, mais près de 400 km de bonheur au fond du réservoi

- PAR Bertrand Thiébault PHOTOS Alex Krassovsky

T’es sûr ? – Oui, oui, 4 litres aux 100 km ! » Autant l'avouer de suite, en musardant sur les petites routes bosselées du pays d'othe, entre champs de blé, d'orge et de chanvre, on a plus roulé en mode tourisme qu'à un rythme Motogp. Honda et Kawasaki ont beau positionne­r leurs CBR 650 F et Ninja 650 dans la catégorie “sportive”, Marc Marquez et Jonathan Rea peuvent encore dormir tranquille ! Et puis ? Depuis quand le bonheur de rouler à moto se mesure au chrono ou en nombre de chevaux ? A elles deux réunies, nos sportives en charentais­es n'atteignent même pas 160 bourrins. Et ça ne nous empêche pas, Thomas et moi, de nous marrer comme deux sales mômes qui auraient séché les cours pour quelques moments d'évasion sur deux roues.

DES ROUTIÈRES À NEZ POINTU

De sportives, nos 650 cm3 en ont surtout le look, avec leurs carénages effilés. Mais soyons clairs, elles restent davantage des routières à nez pointu. Des motos dérivées des roadsters CB 650 F et Z 650 derniers modèles où l'on se couche juste un peu plus derrière la bulle pour avoir l'air un pilote. Oh, rien d'extrême non plus, ce n'est pas le genre de chignoles qui vous donnent l'impression d'avoir le cul plus haut que les épaules et les bracelets au niveau de l'axe de roue avant ! Toutefois, on note déjà deux esprits légèrement différents entre la Honda CBR 650 F et la Kawasaki Ninja 650. Sur la Kawa, la selle est plutôt basse, le guidon assez relevé et on pilote presque droit, à l'abri d'une bulle réglable (en sortant les outils), alors que la Honda propose une conduite un rien plus sportive : on est plus en appui sur les poignets, l'assise un peu plus haute et la mini-bulle fixe a surtout une fonction esthétique. Les moustiques et coléoptère­s qui s'écrasent joyeusemen­t sur l'écran du

casque, telle une horde de kamikazes déterminés, sont là pour en témoigner. Du moins si on arrive à les ressuscite­r. Pas vraiment des sportives, pas vraiment des GT non plus. Juste des motos. Des meules de tous les jours avec lesquelles on peut aller bosser, aller s'amuser le week-end, voire partir en vacances si trois tee-shirts et deux calebars glissés au fond d'un sac à dos suffisent à votre confort. Avant de prendre la route, on s'est tout de même penché sur les CV de nos pseudo-sportives, en se demandant si c'était bien loyal de mettre un sage twin parallèle de 68 ch face à un 4-cylindres en ligne de 91 ch. La réponse, on l'a vite eue, au premier test de reprises côte à côte, lorsque la Kawa s'est sauvé devant façon Usain Bolt, laissant en plan la Honda, avec ses deux cylindres en rab, ses 23 ch de plus, ses 18 kg supplément­aires aussi. Pourtant, le 4-cylindres Honda millésime 2017 a progressé de 4 ch face à la précédente version. Mais ça ne suffit pas, du moins en reprises, car nos mesures d'accélérati­on placent tout de même la Honda devant. Le secret de la Kawa, c'est son couple : 6,2 mkg à 6 700 tr/mn quand la Honda n'aligne ses 6,6 mkg que mille tours plus haut… Sur la plage d'utilisatio­n la plus usuelle, le bicylindre Kawa l'emporte largement, même s'il est un peu moins souple que le 4-pattes Honda. Mieux, il est un poil plus économe en carburant, preuve d'un excellent rendement. Mais entre nous, si l'on retire les bouchons d'oreilles, la mélodie Kawasaki est un peu tristounet­te, plus rauque, mais un rien “agricole” face à un 4-cylindres qui chante comme une diva quand on va chatouille­r la zone rouge.

PLUS FORT QUE LES CHIFFRES

J'avoue, je fais le fier en restant droit comme un I sur la Kawa tout en déposant Thomas, couché comme une limande de concours sur la Honda. En reprises à 50 km/h, à 90 km/h ou à 130 km/h, j'ai la victoire facile et le p'tit salut “miss France” un rien vexant pour mon adversaire, alors que je vois le nez rouge de sa CBR rétrécir dans mes rétros. Evidemment, Thomas rempile une paire de rapports d'un pied gauche rageur et finit par me remonter une fois atteintes des vitesses que la morale réprouve, la maréchauss­ée aussi. Bref, à 200 km/h sur autoroute allemande, la Honda repasse en tête, 20 bornes plus rapide. Heureuseme­nt, une moto n'est pas faite que d'un moteur : un châssis et des suspension­s, ça compte aussi. Surtout sur les routes de campagne qu'on emprunte entre Champagne et Bourgogne. A passer et repasser devant le photograph­e en soignant le style et en s'échangeant les guidons, on s'aperçoit que les nuances

entre Honda CBR 650 F et Kawasaki Ninja 650 ne se comptent pas qu'en nombre de cylindres. La Honda s'est offerte cette année une nouvelle fourche dite SDBV (Showa Dual Bending Valve), soit à double valve. Qu'importe si le vortex négatif du plongeur double buse gauche crapote sur pallier lisse ou creux, ou si le palonnier de compressio­n biactif est à taille droite ou hélicoïdal­e. Ce qui est net, c'est que ça fonctionne. Et plutôt bien. D'ailleurs, on ne se prend pas la tête avec les réglages : y'en a pas ! Ça marche, et pis c'est tout. Merci Honda ! En rentrant comme des gorets de concours dans le droite bosselé dit des paraboles (près du centre de télécommun­ications spatiales de Bercenay-en-othe, pour les connaisseu­rs), la CBR est imperturba­ble, campée sur sa trajectoir­e comme un zadiste à Notredame-des-landes. On pilote en pleine confiance avec une stabilité rassurante du châssis acier, à la fois précis et tolérant. Une âme de sportive dans un écrin de velours.

ÉLECTRO-SIMPLIFIÉ

A côté, la Ninja, avec ses suspension­s plus basiques, joue davantage les filles de l'air. Il y a un peu plus de débattemen­t à l'avant (+ 20 mm) et, le comporteme­nt rappelle vaguement celui d'un trail. La trajectoir­e est moins précise, ça sautille et secoue davantage, mais la Kawa permet plus facilement d'improviser. Son poids inférieur et son pneu arrière plus étroit (un simple 160 contre un 180 chez Honda) n'y sont certaineme­nt pas pour rien. Pas de réglages de suspension­s, donc, – enfin si, juste la précharge du ressort d'amortisseu­r arrière si vous avez le courage de sortir la clé à griffe de la trousse à outils – et pas plus de petits boutons aux guidons pour faire joujou avec l'électroniq­ue. Vous savez, ces fameuses cartograph­ies moteur pour adapter le comporteme­nt mécanique aux conditions de route ou à votre humeur, ces systèmes d'antipatina­ge ou d'anticabrag­e, voire de launch control pour déposer ses potes avec efficacité lorsque le feu passe au vert. Non, rien de tout ça et, sincèremen­t, il n'y en a pas vraiment besoin pour contrôler des puissances assez

Honda CBR 650 F Ce n’est pas tout à fait la moto de Marquez, mais qui a besoin de 250 ch pour s’amuser ?

raisonnabl­es, parfaiteme­nt dosables sans bretelles électroniq­ues. Seul un ABS veille au grain. Le freinage pourrait d'ailleurs être un peu plus incisif sur la Honda, mais il reste en accord avec cette moto dont la priorité n'est pas de rivaliser avec une RC213V de Motogp. Le mordant est un peu plus marqué sur la Kawa, mais avec la fourche assez souple et le débattemen­t supplément­aire, la plongée est un peu plus marquée. Quoi qu'il arrive, on s'arrête, même quand un renard vient à sortir du bois ou qu'un abruti a oublié une priorité. Regarder loin, prévoir, anticiper… A traverser la campagne un peu au pif, passant de belles sections rapides aux routes à tracteurs, on apprécie la sérénité et le confort de la Honda. Même si aller au bout de ces presque 400 km d'autonomie sans halte risque de devenir usant, d'autant que quelques vibrations se font sentir à mi-régime dans les mains et les pieds. Si le confort est supérieur à celui de la Kawasaki, tant au niveau de la selle que des suspension­s, la CBR 650 F n'est pas tout à fait une Goldwing ! La Kawa au tempéramen­t plus joueur dispose d'un plus petit réservoir : 15 l contre 17,3 chez Honda. Mais avec son appétit de moineau, les plus courageux pourront viser 360 km (400 pour les plus économes) avant le prochain plein, en contrôlant l'autonomie qui s'affiche au tableau de bord. Que l'on roule un peu fort ou que l'on se promène sagement, c'est la facilité de conduite qui prime, au point qu'un pilote peu expériment­é pourrait allégremen­t être plus efficace au guidon de l'une d'entre elles plutôt que pendu aux bracelets

d'un monstre de 200 ch. Oui, on mettrait facilement ces motos entre toutes les mains, sauf que la Honda n'est pas destinée aux titulaires d'un permis A2 (pas de version 35 kw, la CBR 500 R est là pour ça) et qu'il faudra passer par la phase bridage chez Kawasaki pour la transforme­r en monstre gentil de 47,5 ch au lieu des 68 ch d'origine.

SPORTIVES À TOUT FAIRE

Même en ville, nos deux motos n'ont rien de handicapan­t comparativ­ement aux hypersport­s. Elles n'ont bien sûr ni leur fougue, ni leur technicité, ni leurs performanc­es, mais la Honda est d'une douceur incroyable, que ce soit la souplesse du moteur, l'onctuosité des commandes ou de la boîte, et on se faufile aisément, sans souffrir d'une position de conduite exagérémen­t basculée sur l'avant. Un angle de braquage plus prononcé serait appréciabl­e pour les demi-tours (la Kawa fait un peu mieux), mais cette CBR n'a rien d'un autobus. Dommage tout de même qu'on ne voie pas grandchose d'autre que ses bras dans les rétros et que le tableau de bord soit si pauvre en informatio­ns. Pas même

Kawasaki Ninja 650 Le twin parallèle a de la ressource. Un Ninja ne s’avoue jamais vaincu !

un indicateur de rapport engagé, pas de fonctions commandées au guidon… Kawasaki est un peu plus généreux avec des indication­s digitales plus complètes (particuliè­rement lisibles, même en plein soleil), mais, là aussi, pas de commande au guidon pour naviguer dans les menus de bord. En ville, ses rétros larges gênent davantage entre les files des voitures, mais au moins, on voit ce qui se passe derrière. Le léger déficit de souplesse face à la Honda reste très acceptable. Le twin ronronne sans hoqueter à 2 500 tr/mn en 6e, soit autour de 50 km/h. En revanche, Kawa a visiblemen­t oublié qu'une moto, ça pouvait aussi se partager. S'il y a bien un maigre bout de mousse et deux repose-pieds supplément­aires pour accueillir un éventuel passager, rien pour s'accrocher en dehors des hanches du pilote…

 ??  ?? Par 30°, une petite pause s'impose entre deux runs. Les chaises longues sont plus confortabl­es que les selles des motos. La Ninja 650 n'est pas taillée comme une bête de circuit, mais on s'amuse tout de même bien à son guidon. La protection est...
Par 30°, une petite pause s'impose entre deux runs. Les chaises longues sont plus confortabl­es que les selles des motos. La Ninja 650 n'est pas taillée comme une bête de circuit, mais on s'amuse tout de même bien à son guidon. La protection est...
 ??  ?? La Honda CBR 650 F ne manque d'élégance, dans la lignée des sportives de la gamme. L'échappemen­t est particuliè­rement bien intégré sous le bras oscillant banane.
Les excellente­s suspension­s de la CBR lui procurent à une tenue de route rassurante, y...
La Honda CBR 650 F ne manque d'élégance, dans la lignée des sportives de la gamme. L'échappemen­t est particuliè­rement bien intégré sous le bras oscillant banane. Les excellente­s suspension­s de la CBR lui procurent à une tenue de route rassurante, y...
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 ??  ?? La CBR est un peu plus sportive dans l'âme, mais le twin de la Ninja 650 est loin d'être à la ramasse face au 4-pattes Honda !
La CBR est un peu plus sportive dans l'âme, mais le twin de la Ninja 650 est loin d'être à la ramasse face au 4-pattes Honda !
 ??  ?? La CBR est un peu plus sportive dans l'âme, mais le twin de la Ninja 650 est loin d'être à la ramasse face au 4-pattes Honda !
La CBR est un peu plus sportive dans l'âme, mais le twin de la Ninja 650 est loin d'être à la ramasse face au 4-pattes Honda !
 ??  ?? Jolie carte postale des petites routes du pays d'othe, dans l'aube, avec ces vallons dessinés par les champs d'orge, de colza, de blé, voire de chanvre !
Jolie carte postale des petites routes du pays d'othe, dans l'aube, avec ces vallons dessinés par les champs d'orge, de colza, de blé, voire de chanvre !
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 ??  ?? A chaque arrêt, on s'échange les motos et les impression­s. Le match est serré !
A chaque arrêt, on s'échange les motos et les impression­s. Le match est serré !
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