TOURISME APAISÉ
La rédac au pays des Bougnats
On soupçonne l’office de tourisme d’auvergne d’avoir collé un aimant au dos de notre carte de France… En effet, à chaque fois qu’on lance une fléchette pour trouver une destination sympa où poser nos roues, elle se fiche immanquablement sur les volcans du Puy de Dôme ou les massifs du Cantal. Remarquez, c’est une carte Michelin, hein ! Puis, soyons franc, la destination n’est pas pour nous déplaire, histoire d’aérer les poumons de la rédaction sur notre balade estivale. L’auvergne dispose certainement de ce qui se fait de mieux - et de plus beau - en termes de routes à moto, puis, on y mange bien. Mieux encore, sur place, il y a notre pote Alexis Aubertin, un gars garanti 100 % bougnat, origine contrôlée, label rouge, élevé sous la mère, nourri au grain, au pounti, au steak de Salers et à la verveine du Puy. Une encyclopédie des routes à moto à lui tout seul, plus fort que Tomtom et Garmin réunis. L’homme qui parle aux virages, à l’oreille des vaches et aux gravillons. Alors, va pour l’auvergne !
LA RÉPUBLIQUE MOTOCYCLISTE D’AUVERGNE
On vous passe le rendez-vous matinal, dans une lugubre station essence de banlieue parisienne, le café dégueu, le bout d’autor’ et de N7, histoire d’arriver pas trop tard au poste frontière de la République motocycliste d’auvergne. Le bonheur réclame toujours quelques concessions… Alexis, lui, nous attend à Charroux avec sa Monster 1100 Evo, devant l’auberge du Beffroi. Il fait le fier
du haut de ses 115 ch « avec la ligne Temignoni, hein ! », mais il en faut un peu plus pour nous impressionner. Pour rivaliser, on est armés comme des croiseurs de combat : 522 bourriques sous le capot ! Du sauvage, du brutal. Bon, d’accord, divisé par nos 11 motos, ça ne fait plus que 47,5 ch par chignole et, c’est justement là le but du jeu : prouver qu’on peut s’amuser
tout autant avec des motos éligibles au permis A2 qu’avec des pompes à feu. Des monos, des twins, de 300 à 1 000 cm3, mais avec 35 kw maxi. A table, devant une brochette de viande de Salers, Alexis nous parle des subtiles saveurs de la moutarde de Charroux, des richesses architecturales de ce charmant village médiéval de l’allier, puis, du château de Chouvigny, du pont de Menat… « Bon, et on roule quand ? » Difficile de contenir une meute de broncos sauvages. Le mode digestion ne dure que quelques kilomètres, jusqu’à l’entrée des gorges de la Sioule. Les premières roues avant se montrent au freinage, les premières tentatives d’intimidation se font sentir sur quelques enfilades… Trois clans se forment : ceux qui voient dans ces routes sinueuses le théâtre d’une spéciale du Moto Tour, ceux qui apprécient la beauté du paysage, sans trop se
trainer non plus, puis, enfin, ceux qui ferment la marche, parce qu’il en faut bien à notre système de roulage en tiroir qui désigne un ouvreur et un fermeur. Entre les « vous roulez vraiment comme des cons ! », les « qu’estce vous vous traînez… » et les « vous avez eu un problème, ça fait au moins 20 minutes qu’on vous attend au croisement ? », un équilibre naturel s’instaure, teinté de mauvaise foi, de chocs de génération, de poésie et de repose-pieds qui frottent. Toute l’âme de Moto Journal !
En Auvergne, les flancs des pneus portent vite les stigmates du tracé naturel...
De toute façon, en changeant de moto en permanence, on ne sait plus sur laquelle la veste de pluie est accrochée… Jamais sur celle avec laquelle on roule, en tout cas. Alors, on sèche au vent avant d’arriver au Mont-dore. Encore des routes fabuleuses, du bitume quasi parfait, quasi désert. Quoi qu’on y croise pas mal de motos en chemin. « Je me garde toujours quelques itinéraires secrets que je n’ose pas mettre dans mes road-books pour (me) les préserver, précise Alexis, mais pour vous, je peux faire une exception ! » De toute façon, quelle que soit la route, les chances de tomber sur du moche sont proches du zéro dans le secteur. Au pire, c’est beau, au mieux, c’est super beau. Surtout au coucher de soleil, avec une vue imprenable sur ces lacs d’altitude. Tiens, prenons le Col de la Croix St Robert par exemple, « le plus haut col routier du “6-3” » et temple d’une fameuse course de côte. Des arabesques bitumeuses divines qui valent aisément mieux
que le Tourist Trophy, Laguna-seca et Philip Island réunis. Pas besoin de rouler à 400 à l’heure pour s’y faire plaisir. Il n’y a qu’à voir le visage de Cindy « j’aime pas quand ça frotte » au guidon de la petite BMW G 310 R ou encore celui de Fred en mode Easy Rider sur l’indian Scout, en traversant cette carte postale au rythme d’un train de marchandise. Bon, Matthieu, tout par terre avec la Mash 400, ou en travers au frein arrière avec la Duke 690, c’est pas mal aussi, mais les vaches ont un peu plus de mal à suivre sans risquer le torticolis…
DU RAB DE ROUTE
Alexis a beau nous guider avec la précision d’un laser sur ces routes auvergnates, l’organisation Moto Journal reprend vite ses droits. Enfin, ces travers… Le côté “rien au planning, tout au feeling”, l’art de l’impro, des acrobaties
En Auvergne, le problème c'est de se rappeler toutes les belles routes empruntées
sans filet, la science du retard calculé, la course effrénée au temps qui file. Pierre, not’ fringuant rédac’chef, à la bourre sur quelques travaux en cours, est parti 24 h après le groupe. Il devait nous rejoindre à Salers, les pieds sous la table. Sauf que nous aussi, on est à la bourre, comme toujours, et, qu’à l’heure du rendezvous, on est encore à 2 h de (petites) routes de là. Malgré 200 messages sur son portable, SMS, notifications Facebook, Whatsapp, Twitter et pigeons voyageurs pour lui fixer un autre point de rencontre, Pierre file nez dans l’guidon sur la F 800 R. « J’avais pas de réseau à Salers… » On ne peut pas avoir l’une des meilleures viandes bovines au monde et la 5G++ au milieu des champs ! Faut choisir. On a tout de même retrouvé le chef à Allanche, au relais des Remparts, souriant, pour déguster le fameux Pounti, plat emblématique de l’auvergne et de l’aveyron, tout proche. Pruneaux, lard, viande de porc, feuilles de blettes, oignon, thym, persil, farine, lait, oeufs, beurre… Ça valait bien 2 h de route en rab, hein, Pierre ! Puis, pour digérer, le pas-depeyrol nous attend plus au sud. « C’est le col routier le plus haut de toute l’auvergne, 1 589 m » nous dit Alexis, qui trouverait, même en baie de Somme ou sur les plaines de la Beauce, un plus haut sommet de quelque chose… On taquine, mais, une fois de plus, c’est magnifique. Un cinéma en 3D, écran à 360°, diffusion en odorama. Difficile de se concentrer sur la route avec les yeux qui se promènent sur ces crêtes sauvages. C’est pourtant simple : « La bonne trajectoire, c’est la bande grise au milieu des deux bandes vertes » disait avec justesse Joey Dunlop, défunt multiple vainqueur du Tourist Trophy. Et ce n’est pas toujours simple d’y rester… Je ne donnerai pas de nom (pas même le mien !). Faut reconnaitre que si les routes auvergnates sont généralement en excellent état, y compris les petites, c’est qu’elles sont entretenues, souvent à grandes pelletées de gravillons, parfois au bitume liquide, comme à Manzat… (lire ci-dessous). Rouler, angler, frotter, se faire les freins ou se promener truffe au vent, ça va un moment. Mais nos
estomacs n’ont pas l’autonomie de nos motos. Toutes les 4 à 5 h maxi, il faut qu’on ravitaille, qu’on pose les coudes à table. Le point d’orgue de notre virée, c’est bien sûr l’auberge des Montagnes, à Pailherols, à la pointe sud du Cantal. Certains y ont leur rond de serviette et tutoient le maître d’hôtel, Vincent Fages, qui roule en R1, incollable sur la cuisson des tripoux ou la préparation de la truffade, sur l’assemblage pinot noir-gamay ou encore sur les passes d’armes Rossi-zarco. Assurément un homme de goût, qui prend un malin plaisir à recevoir des motards crasseux dans son établissement chic. On s’y sent bien, au point de passer une partie de la nuit en terrasse à la découverte des alcools locaux, à comparer les vertus des chartreuses vertes et jaunes, puis de goûter aux charmes de chambres avec ronfleurs. On pensait avoir tout vu de l’auvergne, mais la découverte est infinie. Alexis nous guide même – et sans visa – jusque dans l’aveyron tout proche, histoire de faire le plein de charcutaille chez Chabbert. Et déjà, il faut mettre cap au nord, prendre le chemin de retour. Celui des écoliers, par Pont-la-vieille, la vallée de Brezon, le col de
Quand on roule au mileu des prairies, dans les bois épais de conifères ou sur les sommets dégarnis, le sentiment de liberté est total
la Griffoul puis Prat de Bouc, une station de ski sur l’autre versant du Lioran. Au pied du Plomb du Cantal, on s’offre un dernier repas au soleil à 1 392 m d’altitude. « C’est le plus haut sommet de… » Oui, oui, on sait ! L’air y est frais alors que, plus bas dans la vallée, vers Clermont, on étouffe avec un thermomètre à 38°. Alexis nous abandonne sous le casque de Vercingétorix, au plateau de Gergovie et au-dessus de nos têtes, la patrouille de France vient sceller la fin de cette virée en lâchant son panache bleu-blanc-rouge. On n’ose pas croire au hasard, plutôt à l’art de recevoir en Auvergne. C’est sûr, on reviendra.