DÉFI AÉRIEN
MJ part en vrille
Quand je commence à sentir la peau de mon visage s'étirer vers le bas, et que le bout de mes doigts s'endolorit de picotements, je me demande ce que je fous dans ce cockpit d'avion, à me faire secouer de haut en bas, de droite à gauche, avec une pression jamais ressentie auparavant dans mon corps. Rentrer dans Signes, la courbe la plus rapide du Castellet, à plus de 200 km/h, sur une BMW S 1000 RR bourrée de watts, s'apparente à jouer à la marelle dans une cour de récré. Le bassin verrouillé, dans le spartiate baquet, par une ceinture serrée grâce à un cliquet de sangle de camion qui me plaque les fesses sur le parachute de secours, alors que les figures s'enchaînent, je n'ai pas la nausée, mais je sens que mon corps ne suit plus. Il est au bout de sa résistance. Et lorsqu'une sorte de voile blanc passe devant mes yeux, je stoppe Robert, mon pilote du jour, dans sa folle lancée. Il ne m'a pas laissé trop de répit, l'animal, en enchaînant les figures les plus spectaculaires à une cadence effrénée. J'ai eu l'impression d'être essoré au régime maximum de la machine pendant près de dix minutes. Mais bizarrement, si les accélérations
Le sol, le ciel, les nuages… On ne sait plus où donner de la tête lors des figures, avec des accélérations de 4 g
sont violentes pour le corps, il n'y a pas de chocs comme dans un manège à sensations. Tout est doux, mais extrêmement puissant, avec des accélérations de 4 g, alors que le moteur ronronne tranquillement à 2500 tr/mn, quand celui de la S 1000 RR flirte avec les 14000 tr/mn.
240 KG SUR LA BALANCE
De ma vie, je n'ai jamais pesé aussi lourd! Environ 240 kg, c'est mon poids durant les quelques secondes où l'accéléromètre a enregistré 4 g. Autant vous dire que je n'ai ni le temps, ni l'envie de regarder les instruments, pourtant placés juste devant mon nez. Pour vous donner un ordre d'idées, au guidon d'une hypersport, lors d'un freinage d'urgence, on encaisse au maximum 1 g de décélération. Et c'est bien là qu'on comprend le professionnalisme et l'habitude de Robert, instructeur de voltige, pilote d'avion de ligne, d'hélicoptère et de tout ce qui vole. Il est d'une décontraction impressionnante, quelle que soit la figure accomplie. Cela dit, lorsque je roule à moto, même à un rythme soutenu je peux regarder une partie du paysage, le compteur, ou chantonner sous mon casque. Mais ici, dans cet exigu cockpit assez chaud, autant vous dire que je suis davantage concentré
sur l'extérieur, pour éviter d'être malade.
8800 CM3 ET 270 CH
Les premières paroles de Robert, lorsqu'il m'installe dans l'avion, sont peu rassurantes: « Je vais d’abord te sangler au parachute (euh, pourquoi ?) et en cas de souci, j’éjecte la verrière, tu sautes dans le vide comme à la piscine, avant de tirer sur la poignée du parachute; sinon, tu tombes avec l’avion. » Non, sans blague! Très rassurant, avant même d'être dans les airs. Dès le départ, on sent que ce Pitts S2-B n'est pas là pour amuser le terrain. 500 kg de carlingue composée de bois, d'aluminium, de fine tôle et de toile, le tout propulsé par un 6-cylindres en ligne de 270 ch pour une cylindrée de 8,8 litres. Tout le poids doit être sur le moteur. Cette forte cylindrée s'explique par le fait qu'un moteur d'avion, directement relié à l'hélice, doit tourner à des vitesses peu élevées pour éviter une rotation trop rapide de l'hélice (le bout de la pale atteindrait alors mach 1, avec tous les problèmes que cela créerait). Ici, le Lycoming à six cylindres à plat tourne à 2500 tr/mn pour une vitesse maximale de 350 km/h. Certes, la moto dégomme l'avion au départ arrêté avec un 0 à 100 km/h abattu en 2”9, et un 0 à 200 km/h expédié en 7”7, soit le temps qu'il faut à l'avion pour atteindre 130 km/h. Mais ensuite, les accélérations en virage n'ont rien à voir avec celles vécues guidon en main. La pression ressentie par le pilote pourrait se comparer à la sensation de vitesse et d'accélération sur la moto. Même avec un peu d'habitude, lorsqu'on essore la poignée d'une top hypersport, on passe de 90 km/h à plus de 200 km/h en un temps record. Par exemple, en quatrième, la S 1000 RR passe de 130 km/h
à 250 km/h en 7”4. C'est d'ailleurs déroutant au début, on a l'impression de regarder à travers une lunette au fur et à mesure que la vitesse augmente. Dans l'avion, la sensation de vitesse n'est pas impressionnante, étant donné le manque de repères. En revanche, quand Robert plonge le nez de son Pitts en piqué vers le sol en faisant du rasemottes avant de tirer sur le manche pour remonter à la verticale, croyezmoi, la vitesse, y'en a. A ce moment-là, un peu dans les vapes, je me demandais s'il tentait un atterrissage viril ou si on allait s'écraser dans la forêt qui se dessinait juste
Les 4 g d'accélération encaissés dans le cockpit du Pitts vous compriment dans le siège avec une force incroyable
devant moi… En fait, c'était juste pour frôler la moustache de Mathias (qu'il n'a jamais eue), le photographe.
SANS REPÈRES
Sous la verrière du minuscule Pitts, les repères sont moindres qu'à moto. Je me rappelle voir le ciel, la verdure au sol, le ciel, l'horizon, de temps en temps le soleil, et surtout me demander dans quel sens volait l'avion. Et lorsque vous êtes face au ciel, avec la sensation que l'avion perd de la vitesse et vire sur le côté pour plonger plein gaz, puis que vous reprenez une bonne dose d'accélération positive dans tout le corps, ça vous déménage le cerveau. Il n'aura fallu que deux sessions de cinq ou six minutes intensives pour me faire rendre les armes, et me dire qu'en comparaison, la moto, c'est finalement tranquille! Mon corps ne supporte plus la pression, qu'elle soit positive ou négative. Mais il est temps de remonter sur la S 1000, la tête encore dans les nuages et l'équilibre approximatif.