Moto Journal

DÉFI AÉRIEN

MJ part en vrille

- PAR Matthieu Alenvers PHOTOS Mathias Lacombe

Quand je commence à sentir la peau de mon visage s'étirer vers le bas, et que le bout de mes doigts s'endolorit de picotement­s, je me demande ce que je fous dans ce cockpit d'avion, à me faire secouer de haut en bas, de droite à gauche, avec une pression jamais ressentie auparavant dans mon corps. Rentrer dans Signes, la courbe la plus rapide du Castellet, à plus de 200 km/h, sur une BMW S 1000 RR bourrée de watts, s'apparente à jouer à la marelle dans une cour de récré. Le bassin verrouillé, dans le spartiate baquet, par une ceinture serrée grâce à un cliquet de sangle de camion qui me plaque les fesses sur le parachute de secours, alors que les figures s'enchaînent, je n'ai pas la nausée, mais je sens que mon corps ne suit plus. Il est au bout de sa résistance. Et lorsqu'une sorte de voile blanc passe devant mes yeux, je stoppe Robert, mon pilote du jour, dans sa folle lancée. Il ne m'a pas laissé trop de répit, l'animal, en enchaînant les figures les plus spectacula­ires à une cadence effrénée. J'ai eu l'impression d'être essoré au régime maximum de la machine pendant près de dix minutes. Mais bizarremen­t, si les accélérati­ons

Le sol, le ciel, les nuages… On ne sait plus où donner de la tête lors des figures, avec des accélérati­ons de 4 g

sont violentes pour le corps, il n'y a pas de chocs comme dans un manège à sensations. Tout est doux, mais extrêmemen­t puissant, avec des accélérati­ons de 4 g, alors que le moteur ronronne tranquille­ment à 2500 tr/mn, quand celui de la S 1000 RR flirte avec les 14000 tr/mn.

240 KG SUR LA BALANCE

De ma vie, je n'ai jamais pesé aussi lourd! Environ 240 kg, c'est mon poids durant les quelques secondes où l'accéléromè­tre a enregistré 4 g. Autant vous dire que je n'ai ni le temps, ni l'envie de regarder les instrument­s, pourtant placés juste devant mon nez. Pour vous donner un ordre d'idées, au guidon d'une hypersport, lors d'un freinage d'urgence, on encaisse au maximum 1 g de décélérati­on. Et c'est bien là qu'on comprend le profession­nalisme et l'habitude de Robert, instructeu­r de voltige, pilote d'avion de ligne, d'hélicoptèr­e et de tout ce qui vole. Il est d'une décontract­ion impression­nante, quelle que soit la figure accomplie. Cela dit, lorsque je roule à moto, même à un rythme soutenu je peux regarder une partie du paysage, le compteur, ou chantonner sous mon casque. Mais ici, dans cet exigu cockpit assez chaud, autant vous dire que je suis davantage concentré

sur l'extérieur, pour éviter d'être malade.

8800 CM3 ET 270 CH

Les premières paroles de Robert, lorsqu'il m'installe dans l'avion, sont peu rassurante­s: « Je vais d’abord te sangler au parachute (euh, pourquoi ?) et en cas de souci, j’éjecte la verrière, tu sautes dans le vide comme à la piscine, avant de tirer sur la poignée du parachute; sinon, tu tombes avec l’avion. » Non, sans blague! Très rassurant, avant même d'être dans les airs. Dès le départ, on sent que ce Pitts S2-B n'est pas là pour amuser le terrain. 500 kg de carlingue composée de bois, d'aluminium, de fine tôle et de toile, le tout propulsé par un 6-cylindres en ligne de 270 ch pour une cylindrée de 8,8 litres. Tout le poids doit être sur le moteur. Cette forte cylindrée s'explique par le fait qu'un moteur d'avion, directemen­t relié à l'hélice, doit tourner à des vitesses peu élevées pour éviter une rotation trop rapide de l'hélice (le bout de la pale atteindrai­t alors mach 1, avec tous les problèmes que cela créerait). Ici, le Lycoming à six cylindres à plat tourne à 2500 tr/mn pour une vitesse maximale de 350 km/h. Certes, la moto dégomme l'avion au départ arrêté avec un 0 à 100 km/h abattu en 2”9, et un 0 à 200 km/h expédié en 7”7, soit le temps qu'il faut à l'avion pour atteindre 130 km/h. Mais ensuite, les accélérati­ons en virage n'ont rien à voir avec celles vécues guidon en main. La pression ressentie par le pilote pourrait se comparer à la sensation de vitesse et d'accélérati­on sur la moto. Même avec un peu d'habitude, lorsqu'on essore la poignée d'une top hypersport, on passe de 90 km/h à plus de 200 km/h en un temps record. Par exemple, en quatrième, la S 1000 RR passe de 130 km/h

à 250 km/h en 7”4. C'est d'ailleurs déroutant au début, on a l'impression de regarder à travers une lunette au fur et à mesure que la vitesse augmente. Dans l'avion, la sensation de vitesse n'est pas impression­nante, étant donné le manque de repères. En revanche, quand Robert plonge le nez de son Pitts en piqué vers le sol en faisant du rasemottes avant de tirer sur le manche pour remonter à la verticale, croyezmoi, la vitesse, y'en a. A ce moment-là, un peu dans les vapes, je me demandais s'il tentait un atterrissa­ge viril ou si on allait s'écraser dans la forêt qui se dessinait juste

Les 4 g d'accélérati­on encaissés dans le cockpit du Pitts vous compriment dans le siège avec une force incroyable

devant moi… En fait, c'était juste pour frôler la moustache de Mathias (qu'il n'a jamais eue), le photograph­e.

SANS REPÈRES

Sous la verrière du minuscule Pitts, les repères sont moindres qu'à moto. Je me rappelle voir le ciel, la verdure au sol, le ciel, l'horizon, de temps en temps le soleil, et surtout me demander dans quel sens volait l'avion. Et lorsque vous êtes face au ciel, avec la sensation que l'avion perd de la vitesse et vire sur le côté pour plonger plein gaz, puis que vous reprenez une bonne dose d'accélérati­on positive dans tout le corps, ça vous déménage le cerveau. Il n'aura fallu que deux sessions de cinq ou six minutes intensives pour me faire rendre les armes, et me dire qu'en comparaiso­n, la moto, c'est finalement tranquille! Mon corps ne supporte plus la pression, qu'elle soit positive ou négative. Mais il est temps de remonter sur la S 1000, la tête encore dans les nuages et l'équilibre approximat­if.

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 ??  ?? A bloc sur le circuit du Castellet, dans la longue ligne droite du Mistral de 1,8 km, qui autorise une vitesse maxi de 308 km/h chrono, la tête dans la bulle surpuissan­te BMW S 1 000 RR. On n'est pas loin de la vitesse maxi de l'avion, mais avec les deux roues sur le bitume et les rails aux alentours, ça déménage ! ➊ Les entrailles de la BMW S 1 000 RR renferment un 4-cylindres en ligne de 1 000 cm3 qui développe 200 ch à 14 000 tr/mn sur notre banc de puissance. Elle fait partie des motos les plus performant­es de la catégorie. ➋ Le tableau de bord est bien plus compact que celui de l'avion, qui regorge d'aiguilles en tout genre. On peut y trouver l'indicateur de rapport engagé, le régime moteur, la vitesse, les températur­es moteur et extérieure. ➌ Le shifter permet de monter et descendre les rapports sans toucher à l'embrayage. ➍ Le commodo gauche permet de contrôler le tableau de bord. ➎ Robert, pilote du jour, a halluciné sur les performanc­es de la S 1 000 RR, que ce soit à l'accélérati­on ou en tenue de route… même s'il me confiera que ce n'est plus pour lui.
A bloc sur le circuit du Castellet, dans la longue ligne droite du Mistral de 1,8 km, qui autorise une vitesse maxi de 308 km/h chrono, la tête dans la bulle surpuissan­te BMW S 1 000 RR. On n'est pas loin de la vitesse maxi de l'avion, mais avec les deux roues sur le bitume et les rails aux alentours, ça déménage ! ➊ Les entrailles de la BMW S 1 000 RR renferment un 4-cylindres en ligne de 1 000 cm3 qui développe 200 ch à 14 000 tr/mn sur notre banc de puissance. Elle fait partie des motos les plus performant­es de la catégorie. ➋ Le tableau de bord est bien plus compact que celui de l'avion, qui regorge d'aiguilles en tout genre. On peut y trouver l'indicateur de rapport engagé, le régime moteur, la vitesse, les températur­es moteur et extérieure. ➌ Le shifter permet de monter et descendre les rapports sans toucher à l'embrayage. ➍ Le commodo gauche permet de contrôler le tableau de bord. ➎ Robert, pilote du jour, a halluciné sur les performanc­es de la S 1 000 RR, que ce soit à l'accélérati­on ou en tenue de route… même s'il me confiera que ce n'est plus pour lui.
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➊ Fox-hotel Bravo Oscar Bravo : l'immatricul­ation du Pitts S2-B, en alphabet aéronautiq­ue. ➋ Sous le plexiglas, on distingue la tringlerie de commande de la gouverne de profondeur. ➌ Pour éviter au moteur de déjauger, il est doté de deux bâches à huile. Une au-dessus et une en dessous, qui changent automatiqu­ement grâce à ce système (cylindre blanc) fonctionna­nt avec la gravité selon que l'avion vole sur le ventre ou sur le dos. Idem avec le réservoir d'essence, équipé d'une "couille" qui se déplace dans le réservoir en fonction de la gravité. ➍ Sous ce cache de protection, se trouve la sonde pitot qui mesure la vitesse de l'avion grâce à la pression de l'air. ➎ Le cockpit est exigu et il y a des manettes partout. ➏ Ce genre de pelle équilibre les forces sur le manche. C'est une sorte de direction assistée. ➐ La mire permet de savoir, en la confondant avec l'horizon, si l'avion monte à 30, 45 ou 90 degrés. La ficelle indique la marche arrière (après une montée à la verticale par exemple), et, d'après Robert, c'est le seul instrument qui ne tombe jamais en panne. ❽ Deux mini-disques stoppent les 500 kg de l'avion lors de l'atterrissa­ge.❸
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Dès 125 km/h, les petites roues de l'avion ne touchent plus le sol. Et dès le décollage effectué, je commençais à me demander ce que je foutais là. ➊ Je vous l'accorde, ce n'est pas le bon manche pour piloter. En revanche, c'est le seul endroit solide de l'aile qui permet de tirer l'avion. Il faut d'ailleurs bien saisir le mat en son pied. ➋ Pour entrer dans l'exigu cockpit, il faut être un peu contorsion­niste et, surtout, bien viser avec ses pieds pour éviter de passer au travers de l'aile, dont le revêtement est en toile. ➌ Après m'avoir solidement arnaché au siège avec une ceinture à cliquet, Robert s'installe à son poste de pilotage, juste à l'arrière. ►
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25a // [ SPECIAL VACANCES ] 25a // [ film motojourna­l Après quinze minutes de vol, j'ai pris douze ans, une bonne dizaine de cheveux blancs et j'ai failli perdre connaissan­ce. Mais qu'est-ce que c'était bon !!!
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