Le vélo passe plus vite au point de corde en virage, mais la moto l'atomise à l'accélération en sortie de courbe
Souvent, un sujet à la con transpire d'une banale discussion. Il a suffi d'un seul repas à la cantine du journal, et pas mal de mauvaise foi cycliste, pour éveiller nos sens et nous chauffer à blanc. Frédéric Pondevie, du magazine le Cycle, situé au bout du couloir de la rédaction de Moto Journal, nous affirme, de l'entrée au dessert, qu'un vélo descend plus vite qu'une moto dans un col. Si Fred en connaît un rayon niveau vélo, il n'imagine pas comment il va avoir un coup de pompe dans la descente, quel qu'en soit le pourcentage. Enfin, pas lui finalement. Il a préféré chuter lors d'une course de vélo le week-end précédent notre défi, et s'abîmer l'épaule, pour éviter une cuisante défaite. Sous ses conseils, on s'est tournés vers Frédéric Moncassin, ex-coureur professionnel et maillot jaune sur le Tour de France, entre autres, actuellement prof sur des stages de cyclocross. Lui aussi a eu peur de perdre les pédales en prétextant, à la dernière minute, une surcharge de travail, bizarrement le jour prévu pour notre défi. On ne peut pas dire qu'ils supportent la pression, ces cyclistes… Il a préféré envoyé au charbon son fils Maxence, qui a terminé 14e des Jeux Olympiques de la jeunesse, 6e de la coupe du monde en Hollande, et actuellement en espoir deuxième année. Du haut de ses vingt ans et de son 1,91 m, Maxence s'est senti obligé de venir écraser les pédales pour défendre les couleurs du royaume de la pédale.
50 SECONDES DE GRIS
Autant vous le dire de suite, même si Maxence a mouillé le maillot, il n'y a pas eu match. Cinquante, c'est, en secondes, le temps que j'ai eu pour écouter le chant des oiseaux après avoir dévoré les 2,27 km de descente en 1'49. Une valise ! Mais voir dévaler Maxence à plus de 80 km/h avec sa combinaison en Lycra et coiffé de son demi-casque est impressionnant. Ses puissantes relances en sortie d'épingle, rasant les barrières de sécurité de son mollet (épilé) pour optimiser les trajectoires, ont fait rougir les 11 dents de la cassette. Même si la comparaison entre la moto et le vélo s'arrête dès le départ grâce à l'accélération des 125 ch de la Triumph Street Triple RS, la puissance des cuisses de Maxence semble tordre le vélo. Durant la descente, il a développé jusqu'à 1 426 watts… Soit 2 ch, la puissance d'un bon aspirateur !
En plus d'avoir les cuisses pour relancer, Maxence a aussi le sens de la trajectoire et de la prise d'angle. Dans les épingles, on se demande comment il arrive à pencher autant son vélo, avec un si petit pneu, pour garder un maximum d'élan durant tout le virage. C'est d'ailleurs la phase de pilotage où le vélo va plus vite que la moto : la vitesse de passage en courbe. Le vélo étant plus léger, Maxence n'a aucun problème pour le faire virer dans les virages serrés. Et même si j'ai opté pour l'une des meilleures motos pour ce genre d'exercice, la Street et ses 166 kg à sec ne peuvent tourner aussi vite. En revanche, que ce soit en entrée ou en sortie de courbe, la moto prend les devants, et de loin. Le gros double disque pincé par des étriers Brembo au top niveau permet de stopper la Street en un rien de temps. Le train avant offrant un bon retour d'information incite le pilote à rentrer fort dans les virages, même les plus serrés. Il faut dire que les pneumatiques Pirelli Supercorsa SP montés de série collent à la route. On retrouve aussi un top feeling en sortie de virage, avec une poignée de gaz qui permet de sentir le niveau de grip disponible sous le pneu arrière pour des sorties de virage éclair. Et, contrairement au vélo, la Street est équipée d'un contrôle de motricité rattrapant toute dérobade du train arrière, même lors des fortes charges.
85 KM/H LA TÊTE DANS LE GUIDON
Quand Maxence parle bicyclette, il semble avoir été vacciné avec un rayon de vélo. En 2016, il a parcouru plus de 25 000 km et
en était à 600 km la semaine précédant l'essai, avant de se faire le Paris-roubaix espoir. Une machine ! Mais même avec un tel pedigree, impossible de rivaliser avec une moto. C'est sûr, les gars du Cycle ont en tête les motos du Tour de France, qui font près de 300 kg chargées à bloc avec un cameraman debout à l'arrière. Rien à voir avec le poids plume de la Street de 125 ch, qui ne demande qu'à virevolter entre les virages. Cela fait un rapport poids/puissance (pilote compris) de 1 cheval pour 2 kg contre 1 cheval pour 45 kg pour le cycliste (7 kg de vélo, 3 kg d'équipement et 80 kg de bonhomme). Avec une fréquence cardiaque maxi de 174 pulsations et une vitesse maxi de 85 km/h dans la partie la plus rapide de la descente, Maxence a tout donné, mais n'a pu rivaliser. D'un côté, il nous avoue qu'à partir de 70 km/h, ça ne sert à rien de pédaler, même en mettant “tout à droite” (comprendre : le plus petit pignon et le plus grand plateau) ; mieux vaut se concentrer sur les trajectoires. La moto a flirté avec les 150 km/h pour une vitesse moyenne de 75 km/h sur les 2,27 km de la descente, quand le vélo est crédité de 50 km/h de moyenne, ce qui est déjà énorme.
ROUE LIBRE
Pour donner à Maxence une chance de redorer le blason de la pédale, on a refait la descente en roue libre. Une idée vite qualifiée d'idiote quand j'ai vu le vélo prendre 30 m d'avance dès le départ. Les larges pneumatiques de la Street Triple RS sont ici un vrai frein quand il s'agit de s'élancer sans le moteur, alors que Maxence
En courbe, l'angle pris par Maxence sur de si petits pneus est impressionnant, tout comme les relances qui tordent le vélo
semble glisser comme un skieur sur une piste verglacée. Même en optimisant au mieux les trajectoires pour éviter de perdre trop de temps entre les virages, Maxence n'a pas besoin de me fermer la porte, je suis déjà trop loin. Je l'ai pourtant en point de mire, à quelques secondes devant moi, mais impossible de faire la soudure. Et le fait de ne pas avoir de frein moteur pour ralentir dans les virages, donne l'étrange sensation de perdre le train avant au moment d'inscrire la Street dans les virages serrés.
Sans compter le fait d'avoir toujours en tête de freiner le moins possible, afin d'optimiser la trajectoire, pour favoriser la vitesse de passage en courbe. Rien à voir avec l'option moteur, où il faut freiner fort, faire tourner la moto le plus court possible, et accélérer en grand le plus droit possible pour optimiser la sortie de courbe. Au bout de 2,27 km, je n'ai finalement pas trop perdu les pédales et réussi à limiter la casse à 13 secondes. Mais au cumul des temps, la moto est toujours devant. L'honneur est sauf !