Moto Journal

La rencontre

-

Bonjour Hervé. Mon chef, Pierre-orluc-àl’appareil, me charge de la mission suivante : une interview en quatre points sur Johann. Le premier : la découverte de l’oiseau. J'ai toujours trouvé que le concept de la Rookie's Cup était fabuleux. Pour donner l'opportunit­é à des jeunes de rouler dans des conditions optimales. Pour avoir une équité de matériel et de performanc­e. Rouler sur des vrais circuits de Grand Prix. Cette formule, je l'ai toujours adorée et on l'a toujours suivie. On continue à la suivre. Mais ce qui nous intéresse surtout, c'est de voir les jeunes Français qui sont présents. Et cette année-là [2007], il y avait un certain Johann Zarco, qui a gagné. Mais il était très timide. Donc on allait le voir, on le félicitait, on le serrait dans les bras. On lui disait : « Passe boire un verre à l’hospitalit­y. » Tu sentais que ça s'arrêtait là, mais on a vibré toute la saison. Toute l'équipe Tech 3, pas seulement Hervé Poncharal. Et depuis, on a suivi sa carrière de très près. Cette première rencontre était un peu tronquée, parce qu'il était très jeune et, sans être prétentieu­x, peut-être que je l'impression­nais un peu. On s'est pourtant vus plusieurs fois cette année-là, car j'allais le féliciter à chaque fois qu'il gagnait. Je me rappelle notamment une superbe course en République tchèque. On était au pied du petit podium, qui est vachement proche des spectateur­s. C'était une rencontre sans en être une. On s'est rencontrés physiqueme­nt, mais il n'y a pas eu d'échange fort, parce qu'après, il est reparti direct avec le staff de la Red Bull Cup.

Quand la “vraie” première rencontre a-t-elle eu lieu ? Aux essais Motogp post-valence, fin 2016. En préambule, pour moi, Johann est quelqu'un d'incroyable­ment fascinant. D'abord par ses performanc­es sur la piste, puis par ses qualités. Et c'est quelqu'un qui, malgré le fait qu'on le suit depuis plusieurs saisons, reste très secret. Je n'avais jamais trouvé la clé pour entrer en contact avec lui. En dehors d'échanges comme : « Super ce que tu as fait, félicitati­ons, etc. » Et ça, je le lui ai dit un paquet de fois, surtout ces deux dernières années. Mais tu sentais que ça en restait à ce niveau-là. Et, sincèremen­t, c'est quelqu'un d'important pour moi. Car, à un moment donné, j'avais eu l'occasion de discuter longtemps avec lui. C'était à Indianapol­is, en 2015. Il m'avait parlé avec des mots forts du relationne­l qu'il avait avec le team Ajo, avec qui il était à l'époque. Et tu sentais qu'il y avait vraiment une osmose. Il y avait vraiment une unité dans ce groupe.

Que t’avait-il dit alors ? « Je vis les plus beaux moments de ma carrière. Et j’ai envie que ça continue. » C'est pour ça qu'il m'avait parlé de son idée de redoubler le Moto2 quoi qu'il arrive. Parce qu'à l'époque, il était en tête, mais pas encore champion du monde. Voilà, j'avais pris acte, et j'avais découvert quelqu'un de profondéme­nt humain. De très intéressan­t, différent du profil type des pilotes. Je m'étais dit: « Waouh, il m’a tellement décrit en termes élogieux le relationne­l qu’il avait avec Ajo que, si un jour on travaille ensemble, ça va être une sacrée mission de recréer cette osmose. » Et quand il est arrivé chez nous, après la dernière course de 2016 – qu'il a gagnée magistrale­ment –, je n'avais pas peur du niveau technique de mon équipe. Je n'avais pas peur qu'il n'apprécie pas la M1 qu'on allait lui mettre à dispositio­n, mais qu'il ne se sente pas aussi bien sur le plan humain que ce qu'il avait vécu ces deux dernières années chez Ajo. C'était vraiment ma peur, et ma mission. En fin de compte, j'ai été très discret. Je n'ai pas voulu m'imposer, l'inonder de tout un tas de choses. Donc, c'était un peu compliqué.

Pour quelle raison ? Parce que je sentais bien que c'était froid. Mais ce n'est pas non plus quelqu'un d'excessivem­ent chaleureux.

Il veut garder une certaine distance avant de connaître. J'ai assez de facilités dans les relations humaines, mais c'est quelqu'un qui m'impression­nait.

De quelle manière ? Son comporteme­nt, son flegme, son humour, sa distance par rapport à certaines personnes… Pour moi, ça été une super-mission. Et j'avais briefé toute l'équipe dans cette optique : « Respectez son intimité, respectez ce fait au départ. On a peut-être une certaine distance, mais c’est très important qu’on se comprenne mutuelleme­nt. » Et aujourd'hui, franchemen­t, je suis très fier de ce qu'on a atteint, parce que, dès le deuxième soir et, surtout, après la première séance en Malaisie au mois de janvier, j'ai vraiment senti qu'il était bien. J'ai vu combien de temps il passe avec l'équipe avant que les motos roulent le matin, le soir après la séance d'essais, au restaurant, à l'hospitalit­y… Comme il plaisante. Et ça s'est accentué au fur et à mesure des GP. Je suis fier d'avoir su recréer la famille qu'il avait autour de lui chez Ajo. Aujourd'hui, il est bien. Ils ont un groupe Motogp sur Whatsapp. Toute la journée, toute la semaine, et même entre les courses, ça communique, ça vanne, ça rigole. On s'informe les uns les autres de ce qu'on fait… Il est venu au team alors qu'on tournait des vidéos promotionn­elles pour le groupe Black & Decker, et il est resté avec nous le lendemain. On a fait du vélo, du bateau, on est allés dîner. Voilà. C'était hyper-important pour moi, et je suis très heureux que toute l'équipe y ait contribué. Laurent [Fellon, son coach], qui est très important pour lui, lui a dit : « On a l’équipe, et c’est une famille. »

La rencontre, c’est donc ça. Oui. J'avais envie d'avoir cette relation avec Johann, alors qu'avec d'autres pilotes, je n'en ai pas envie. Parce qu'ils ont une personnali­té qui m'attire peutêtre moins, ou alors parce qu'il n'y a pas de besoin. Ils ont déjà leur copine, leur manager, une structure qui gère. Ils se comportent en tant que pilotes : ils font leur séance, puis on les aperçoit le midi et le soir à l'hospitalit­y. Avec Johann, c'est beaucoup plus fort.

Ça vient peut-être de l’histoire de Johann avec sa famille. Je ne l’ai jamais rencontrée sur les courses. Donc, peut-être que sa famille est maintenant sur les GP ? Je ne crois pas. Johann a dit des choses très belles sur sa famille. Il voit beaucoup ses parents. On n'est pas une famille de substituti­on! Mais notre équipe a un fonctionne­ment familial, c'est important pour nous. Entre Johann et nous, ça a été la rencontre de deux éléments qui étaient faits pour se rencontrer. Avec lui, ça se passe mieux qu'on aurait pu l'imaginer dans nos rêves les plus fous.

On suit Johann depuis la Rookies Cup qu'il a gagnée en 2007. Au départ, il était extrêmemen­t timide

 ??  ?? Non, Hervé ne mendie pas une queue de budget à son pilote. Il est même le premier artisan de l'éclosion de son champion au plus haut niveau. En réunissant la meilleure moto du plateau avec un staff compétent mais relax, le druide Poncharal n'est pas...
Non, Hervé ne mendie pas une queue de budget à son pilote. Il est même le premier artisan de l'éclosion de son champion au plus haut niveau. En réunissant la meilleure moto du plateau avec un staff compétent mais relax, le druide Poncharal n'est pas...
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France