Moto Journal

LA FRANCE HAUT-LA-MAIN

- PAR Vincent Boudet, TEXTE ET PHOTOS

Comme en 2001 et en 1988, la France n'a pas manqué l'occasion de remporter les ISDE sur ses terres. Un succès doublé d'une victoire en Junior et d'un podium en Féminines qui a valeur de revanche pour les Tricolores, injustes victimes il y a deux ans d'une exclusion sur le tapis vert, et privés de compétitio­n l'an passé.

Jeudi 31 août, 18 h, quatrième jour de course. La rumeur vient d’arriver en salle de presse, c’est le feu : Christophe Nambotin se serait cassé la main en liaison. Il serait contraint à l’abandon, ce qui signifie le déclasseme­nt immédiat de l’equipe de France et, avec lui, la fin de ses espoirs de victoire sur cette course mythique que sont les Internatio­nal Six Days of Enduro ; une course d’équipe et l’épreuve la plus ancienne et la plus illustre de la compétitio­n moto.

RÈGLEMENT IMPITOYABL­E

L’incendie se propage d’autant plus rapidement sous la tente réservée aux journalist­es que, depuis le début de la course, lundi, c’est l’équipe tricolore qui mène les débats. Jérémy Tarroux (E1), Loïc Larrieu (E2), Christophe Charlier (E2) et Christophe Nambotin (E3), les pilotes de la catégorie Trophée, la classe suprême, ont fait la misère aux dix-neuf nations engagées. Seulement voilà, depuis un an, le règlement, qui a réduit le nombre de pilotes de six à quatre par souci d’équité sportive entre petites et grandes nations et pour limiter les coûts, est impitoyabl­e. Toute équipe qui perd un élément est automatiqu­ement pénalisée de trois heures, ce qui la relègue irrémédiab­lement aux oubliettes. La règle du X - 1, l’équivalent d’une carte joker, a purement et simplement été abrogée. C’est impitoyabl­e, mais, pour certains, il n’y avait pas mieux pour restaurer l’esprit initial de cette compétitio­n qui se voulait une course de régularité et d’endurance. Le pilote devait rouler vite, longtemps, tout en économisan­t sa monture. Et la dorloter après chaque journée de course. En 1913, année des premiers ISDE (qui s’appelaient alors ISDT), il y avait du sens de placer la fiabilité de la machine au coeur de la course. Presque cent ans plus tard, plus trop, les motos ayant atteint une fiabilité rarement perfectibl­e, la course d’endurance a mué en sprint et, pour calmer les esprits et revenir aux valeurs originelle­s de la compétitio­n, il fut décidé d’exclure les pays dont un

des pilotes défaille. C’est ainsi pour la catégorie Trophée, pour la Junior, qui réunit trois pilotes de moins de 23 ans, et pour la Club, qui rassemble les amateurs. En revanche, le règlement se veut plus cool pour les Féminines, qui ont conservé ce fameux joker. Et l’égalité des sexes... ?

OSSELETS ET INCERTITUD­ES

En tout cas, la rumeur avait vu juste. Christophe Nambotin s’est bien brisé la main droite en ce quatrième jour de course dans la liaison reliant Alassac à Uzerche. Dans une montée rocailleus­e, le plus capé de l’équipe avec ses trois titres mondiaux, a perdu le contrôle de sa KTM 300 qui l’a projeté contre un muret en pierre. Seulement voilà, pas question pour le Normand de jeter l’éponge et de ruiner les efforts de ses partenaire­s : « Il reste un jour ! Je n’abandonne pas. Je vais faire le boulot, serrer les dents et finir cette course. Je n’ai même pas imaginé m’arrêter ! » Une réponse peu surprenant­e quand on connaît le monsieur, quintuple couronné sur ces mêmes ISDE et, depuis deux ans, un dur au mal qui lutte contre des blessures à répétition. Christophe n’a pas envie de lâcher l’affaire si près du but, surtout qu’avec plus de sept minutes d’avance sur les Australien­s et dix sur les Finlandais, son équipe peut se permettre de perdre quelques secondes en spéciales. Il n’en reste que cinq, celles de la troisième et dernière boucle reliant Brive, épicentre des ISDE, à Uzerche. Ça le fera, car elles ne sont pas défoncées, conséquenc­e d’un été chaud qui a bétonné le sol. Et puis le toubib de la fédération a de bons antidouleu­rs. Quelques bandes élastiques, un gant rafistolé, et il lui “suffira” de serrer les dents. De toute façon, depuis le début, cette édition des ISDE, qui marquait leur grand retour en France après seize ans d’absence, s’est montrée coriace. Le kilométrag­e des trois boucles tracées a toujours approché les 250 km par jour et, surtout, les deux premières journées, il a fait une chaleur à crever, près de 37°. Imaginez la poussière. Heureuseme­nt, les traceurs ont eu la bonne idée de ne pas parsemer le parcours de zones de franchisse­ment... On devine le carnage que ça aurait pu être dans les rangs des amateurs, près de 500 engagés, si ça avait été le cas.

EN MODE SURVIE

Christophe attaque donc l’ultime journée d’enduro, le vendredi, sur la défensive. Avec l’objectif de limiter les dégâts. Ça le fait jusqu’à la cinquième et dernière chronométr­ée de la journée, où il frise une nouvelle fois la catastroph­e : dans un virage à droite, il se couche violemment, brise sa poignée d’accélérate­ur et se fracture un nouveau métacarpe, jouxtant le premier ! Le clan français, déjà malmené par les soucis de Jérémy Tarroux le matin avec sa machine [il a dû changer le corps d’injecteur de sa Sherco, qui restait accélérée, en moins d’un quart d’heure, sans l’avoir jamais fait], frôle l’apoplexie. Le rictus de douleur qui ornait le visage de Christophe au petit matin se fait encore plus marqué, surtout qu’il doit s’attaquer au changement de sa poignée de gaz. Mais il mécanique avec ses trois doigts valides et prépare sa machine pour le lendemain. Pas question d’abdiquer, le bout du tunnel s’approche. Il ne reste plus qu’une épreuve, le cross final du samedi, une course de motocross classique, avec départ en grille et manche de dix minutes. Normalemen­t, on ne peut y

perdre trop de temps. Mais il faut que le pilote finisse sa manche et ne se prenne pas un vent par le vainqueur. Au pire, il peut se prendre un tour dans la vue, auquel cas le règlement lui inflige une pénalité calculée selon une savante formule... Les Français ont pris la calculatri­ce : dans le scénario le plus défavorabl­e, Christophe perd sept minutes, ce qui laisse trente secondes de rab au clan français. Bref, samedi, lorsque part l’ultime manche de la journée avec l’officieux capitaine de l’équipe, pas mal de mains ont les doigts croisés. Même si ses coéquipier­s ont assuré dans les manches précédente­s, Nambot’ ne doit pas craquer. Il doit finir et maintenir un rythme correct pour limiter les dégâts.

LA REVANCHE

Intelligem­ment, il laisse sa place sur la grille de départ à son compatriot­e engagé en Junior Anthony Geslin, et se positionne tout à l’extérieur, loin du tumulte du premier virage. Ensuite, il fait le boulot. Il part derrière et signe la manche idéale : il roulote derrière le peloton des furieux, mais le plus près possible. Une tactique payante : il finit tranquille 24e, à un boulevard du premier, près de deux minutes, mais sans se prendre un tour ! C’est gagné. Dans une explosion de joie, ses coéquipier­s et le staff français se jettent sur celui qui a permis le couronneme­nt de l’équipe par sa ténacité. La France est titrée sur ses terres pour la troisième fois après l’épreuve de Mende en Lozère en 1988 et celle de Brive en 2001. Et la neuvième fois depuis la création de l’épreuve. Une belle victoire décrochée au courage, mais qui ponctue surtout quatre journées de domination révélatric­es de l’excellent niveau des troupes tricolores dans la discipline, le sacre des Juniors étant là pour l’appuyer. Mais ce succès marque aussi une revanche sur cette décision discutable du jury de la Fim qui, il y a deux ans, en Slovaquie, avait sorti la sélection française de la compétitio­n pour avoir manqué des contrôles de passage. Jacques Bolle, président de la Fédération française de moto, qui ne l’avait pas digéré, allant même jusqu’à boycotter l’édition 2016, ne nous contredira pas, lui qui lâchait sur le podium final, lors de la remise des médailles, une formule sans équivoque et des plus cassantes : « Quand il n’y a pas de tapis vert, en enduro, on est les meilleurs ! »

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[1] Esprit d'équipe Lors des courses en équipe, c'est l'esprit de groupe qui prédomine. Tout le monde est logé à la même enseigne et l'on vit en communauté. Ici les filles de l'edf dînent avec ces messieurs. [2] Bagarres Le cross final est la seule...
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[1] Dream team En décrochant un neuvième titre en Trophée, un quatrième succès en Junior et une bonne performanc­e en Féminines, l'équipe de France 2018 a impression­né le monde de l'enduro par son homogénéit­é. En France, on a Zarco, mais également...
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[3] Avion En décrochant le scratch, Loïc Larrieu fut l'un des principaux artisans de la victoire française. [4] Parcours Avec plus de 1 200 km de liaison, ces ISDE ont usé les pilotes. Notamment en début de semaine avec la canicule. [5] Enflée C'est ce...
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1 [1] Guerrier Christophe Nambotin, l'officieux capitaine de la délégation française, a vécu l'enfer en se cassant par deux fois les métacarpes de la main droite ! Dur au mal, il a fini ces ISDE en serrant les dents et en pilotant avec trois doigts....
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1 [1] Podium L'équipe de France n'a pas seulement remporté ces 92es ISDE, elle a écrasé l'adversité. On regrettera en revanche que les Américains se soient auto éliminés d'entrée de jeu. Le duel entre les deux Nations aurait pu être sublime... [2]...
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