HIVERNALES
Les concentrations hivernales ne sont plus un obscur concept marginal prisé par seulement quelques masochistes. 334 manifestations de ce type existent aujourd’hui en Europe. Témoins d’une pratique “authentique”, elles attirent de plus en plus de participa
Les motards fiers d’être givrès
Personne n’est obligé de venir. Si tu viens, tu auras froid, de la neige et du verglas. Si tu souffres, c’est de ta faute. Tu n’avais qu’à rester chez toi. Mais si tu viens, tu te réchaufferas avec la chaleur de l’amitié. Pas de coupes ni de médailles, mais beaucoup de sentiments. » Ainsi parlait Ernst Leverkust, ancien rédacteur en chef du magazine allemand Das Motorrad et créateur des Elefantentreffen, la fameuse concentration des Eléphants, en 1956. Alors que la démocratisation de l’automobile menaçait l’industrie moto européenne, il s’agissait de démontrer qu’une moto pouvait être utilisée toute l’année, quelles que soient les conditions météo.
PLUS DE 330 EN EUROPE !
Ce qui était à l’origine un acte militant est peu à peu devenu un phénomène de société. « A partir des années 60, la multiplication des hivernales s’est inscrite dans l’esprit contestataire que développait la jeunesse de l’époque vis-à-vis d’un modèle social jugé sclérosé. Chez les motards, cette remise en cause s’est traduite par le rejet des cadres officiels (fédérations…) et des pratiques motocyclistes traditionnelles au profit de nouvelles organisations (moto-clubs indépendants…) et de nouveaux rassemblements telles les concentrations hivernales », raconte Yannis Scol. Ce géographe à l’université de Lille s’est penché sur ce qu’il appelle « une pratique touristique originale des motocyclistes européens à la recherche du froid et de la neige. » Sur un total de 3 400* concentrations motardes recensées chaque année en Europe (dont 1 100 se déroulent en Allemagne, 300 en Italie, 250 en Espagne et 200 en France), l’enseignant-
La neige, le froid et le verglas font le succès d’une hivernale. Les conditions extrêmes déterminent même la valeur de l’événement
chercheur en a dénombré 334 organisées en hiver, soit entre novembre et mars, dans 21 pays européens. L’allemagne se distingue avec 69 hivernales, dont l’elefantentreffen à Loh-thurmansbang-solla (en Bavière) et sa petite soeur l’altes-elefantentreffen, au Nürburgring (Rheinland-pfalz). La France se classe en deuxième position avec 47 hivernales, dont les plus connues sont les Millevaches (en Corrèze), l’hivernale des Cimes (à Sallanches, en Haute-savoie) et les Marmottes (à Saint-véran, dans les Hautes-alpes). Elle est à égalité avec l’espagne, terre d’accueil des Pingüinos (à Valladolid, en Castille) et de l’invernal Villa de Rota (en Andalousie). Mais beaucoup d’autres rendez-vous ont lieu en Autriche (la Tauerntreffen à Edeiraute, en Styrie) ou encore en Norvège (le Krystall Rally, à Ringebu, dans le Oppland). Les hivernales sont aujourd’hui à la mode à l’échelle du Vieux Continent. En témoigne la création récente
de grands rendez-vous comme la Winter Jamboree, en Biélorussie, ou encore de la Samovar Treffen, en Russie.
TOUJOURS PLUS
Chaque année se créent de nouvelles manifestations, toujours plus au nord pour promettre des conditions climatiques de plus en plus difficiles. C’est notamment le cas des hivernales norvégiennes qui se déroulent au-delà du 60e parallèle, et même à proximité du cercle polaire en ce qui concerne la First Run, organisée à Roros (62°34’27’’N). Les hivernales organisées à des latitudes plus méridionales compensent par des altitudes plus importantes, comme c’est le cas pour les Marmottes, qui accueillent les participants à plus de 2 000 mètres, et la Tauerntreffen en Autriche (1 700 m). « Il y a presque une sorte de rivalité entre les hivernales. C’est un peu à celle qui proposera les conditions les plus extrêmes dans le but d’opérer une
“sélection naturelle”, explique Yannis Scol. Seuls les plus motivés, les plus expérimentés, ceux pour qui la moto constitue un mode de vie, parviennent à bon port. C’est pourquoi les hivernales les plus difficiles ne sont pas les plus fréquentées, mais assurément les plus célèbres. Elles constituent pour l’amateur du genre une forme de Graal, un but ultime. » Pour maintenir cette confidentialité élitiste (mais aussi parfois en raison des pratiques d’organisation ou de d’exiguïté du site d’accueil), l’accès à ces hivernales est souvent limité à quelques centaines de participants invités. Givrés et fiers de l’être.