DIRT-TRACK
Après deux ans d’absence, Johann Zarco remettait le couvert au Superprestigio. Pas de superfinale pour le numéro 6 Motogp, mais soyez tranquilles : il a un plan.
Johann Zarco, le retour au Superprestigio
Départ de la finale numéro 3. Pour Johann Zarco, il s’agit de ne pas se rater car, après deux scores relativement moyens, un bon résultat est impératif pour accéder à la superfinale, le main event, comme disent les Ricains. L’unique course qui permet de viser la victoire. Clac, la grille tombe. Johann, tout à l’exter, part moyennement, se fait percuter dans le premier gauche et chute. C’est mort. Dès la fin de la finale suivante, longue de huit tours, soit une 1’36 (!), je bondis de la cabine commentateurs nichée au sommet du Palau Sant Jordi, et dévale les marches quatre à quatre en direction du parc coureurs. J’ai exactement cinq minutes pour prendre des nouvelles de Johann et remonter à mon poste de guet avant le départ de la superfinale. L’avignonnais est là, dans son minibox de deux mètres sur trois, délimité par une paire de barrières métalliques, façon enduriste de ligue. « Ça va, Johann, tu ne t’es pas fait mal ? – Non, ça va », sourit-il un rien désabusé. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? – Après mes deux premières finales moyennes, toutes les places sur la grille étaient prises, et il ne restait plus que l’exter [la position la plus dangereuse, car on est à la merci d’un accrochage]. Dans le premier virage, je me suis fait arracher le guidon, et c’était fini. – C’est quand même mieux que ta précédente participation en 2014, où tu n’avais pas atteint la superfinale, non ? – Oui, mais en 2013, j’y étais parvenu, donc on doit bosser. »
DANS LA GUEULE DU LOUP ?
A ce moment-là de la soirée, il est légitime de se poser la question : Johann, qui était la plus grande star présente en l’absence de Marquez et du duo américain Mees-baker, n’est-il pas venu se jeter dans la gueule du loup ? Avec une poignée de séances d’entraînement sur la terre au retour des essais privés Yamaha de Sepang, fin novembre, et une moto préparée par son manager Laurent Fellon (lire l’encadré ci-contre), là où Marquez recevait ses monos 450 usine directement du HRC au Japon. On le sent un peu juste, le Zarco. Sans parler de la piste quasi-privée dont dispose Marc pour s’entraîner à deux pas de chez lui, à Rufea, ce que ne possède pas Johann. Avant le début de l’épreuve, le fait que Marquez ait déclaré forfait après 27 taules lors de la saison 2017 laisse planer comme une angoisse. D’accord, Johann ne s’est pas mis la moitié des gadins du world champ, mais, ce 16 décembre, disputerait-il la course de trop ? « Je serai soulagé lorsque Johann m’appellera lundi pour me dire qu’il est entier et qu’il va prendre un peu de repos », explique Hervé Poncharal la veille des essais libres. C’est qu’on ne veut pas qu’il se retourne un ongle avant le Qatar, notre numéro 1 français ! Des soucis balayés par un haussement d’épaules du coach Laurent Fellon : « Le dirt-track, c’est déjà moins dangereux
Angle de fou et glisse de l’avant : le style du double champion d’espagne de dirt Ferran Cardus est flamboyant
que le cross. » OK, mais il y a les départs qui sont chauds. « Au départ, tu fais comme Secrétin au ping pong : tu vises les yeux ! » Et puis c’est vrai, à la fin, un pilote de course, il faut que ça roule ! Dès vendredi 15, le record des essais libres établi par Marc Marquez en 2016 est battu par Ferran Cardus, le double champion d’espagne en titre. Marc Marquez avait raison : chaque année, le niveau de la course augmente, et viser la victoire face à des spécialistes du dirt qui s’entraînent toute l’année réclame plus que jamais un investissement. 11”968 pour parcourir 200 m tout en travers, ça fait peu. Surtout que Ferran ponctue sa démonstration par une vitesse de déplacement de chat sur sa 450 Suz et un style de fou. Dans le parc coureurs, le décuple champion du monde d’endurance Vincent Philippe, qui dispose pourtant d’une année d’expérience, confirme en grimaçant : « Venir rouler en dirt, c’est bon pour le cerveau, parce que ça me sort de ma zone de confort et m’oblige à tout repenser. Je peux te dire que je ne glisse jamais autant d’habitude. Pour autant, après quelques séries d’essais, j’ai la confirmation d’une chose : j’ai le niveau pour rouler à l’entraînement, mais pas en compétition face à ces mecs-là ! » Belle humilité quand on dispose d’un tel palmarès, mais le fait est que Vincent Philippe ne dépassera pas le stade des séries (lire l’encadré Equipe de France, page 93).
GROS GAZ
Car devant, ça met du (très) gros gaz. Même si Brad Baker et Jared Mees, les deux tops US, ont dû tous les deux déclarer forfait, respectivement sur blessure et obligations familiales, le contingent américain reste de qualité. A ma gauche, Briar Baumann, 21 ans, sixième du championnat de dirt-track US 2017 et meilleur newcomer. A ma droite, JD Beach, 26 ans, champion 600 en titre, mais dirt-tracker depuis sa plus tendre enfance. Dès leur entrée en piste, les deux impressionnent. Beach par la
radicalité de son style : sa Yam n’est jamais en ligne, il met un angle de fou et provoque des glisses de l’avant très tôt dans le virage, qu’il corrige par des mouvements hyperrapides au guidon. Cette glisse le freine, tout en lui permettant de remettre la moto en position d’accélérer avant le point de corde. Il n’y a plus qu’à ouvrir en grand et repeindre la concurrence. Avec son gabarit d’ablette et sa longue chevelure bouclée, on dirait un funambule possédé. Qui produit un spectacle envoûtant. « Tu sais, pour moi, c’est naturel, explique le Californien. J’ai 26 ans et ça fait 23 ans que je roule en dirt. Je n’ai même pas besoin de penser, c’est un pilotage réflexe, qui me sert aussi en vitesse, même si je ne mets pas ma R6 autant à l’équerre ! »
« J’AI MAL INTERPRÉTÉ LES TROUS ! »
Bauman, lui, est tout en sobriété, sur la moto comme au micro : « Aux USA, même en short-track [sur les pistes courtes], on roule avec des roues de 19, alors qu’ici, c’est du 17, ce qui change l’assiette et les réglages de la moto. Mais on a eu la semaine pour s’entraîner et le feeling est correct. » Ce qui donne des chronos de 12”1 dès la première série. Et Johann, comment s’en sort-il ? Au niveau du style, ce n’est pas aussi impressionnant que Cardus et Beach, mais il met direct son YZF à l’équerre, bien en appui sur sa hotshoe côté gauche, cette semelle métallique qui permet de glisser pied au sol sans à-coup. Il est même un de ceux qui semblent prendre le plus d’appui sur leur guitare. Au chrono, ce n’est pas mal non plus : 12”3. « Même si, comme d’habitude, il n’est pas content », explique Laurent Fellon. « Ça fait comme il y a trois ans, il y a un trou qui se forme au virage 1 », peste Zarco, mano en main, contrôlant lui-même la pression des gommards pluie, qui tourne autour du kilo pour aller chercher la motricité. Mais, lors de la seconde série, Johann ne parvient pas à améliorer et s’énerve : « J’ai mal interprété les trous ! – Relax, Jojo, on est là pour apprendre ! », lui répond Laurent. Un vrai vieux couple.
PATINAGE
Samedi matin, les essais reprennent à 11 h. Johann reste concentré sur l’objectif et roule plus propre. « Regarde, tu vas déjà plus vite que Ribalta, qui fait ça depuis toujours », encourage Laurent. « Vends pneu neuf côté droit », rigole Johann, avec son sens de l’humour affûté. « Faut pas trop patiner en sortie, car ces pneus sont conçus pour être refroidis par l’eau ; leur température idéale est basse, dans les 90° Fahrenheit [32° Celsius] et il ne faut surtout pas qu’ils surchauffent, sinon ça ne motrice plus », explique la légende du dirt US Chris Carr, qui assure les commentaires télé. « Bien mieux, ton style », déclare-t-il à Johann. Mais en tentant de passer un arrière neuf, Johann n’améliore pas et s’en colle même une petite. « Comme sur circuit, les pneus pluie sont souvent plus efficaces une fois rodés », confirme Carr. 12 h 39, début des essais chronos, et Tom Chareyre, voisin de Zarco, revient tout frétillant : « 11”8 ! Ils venaient d’arroser et il y avait un grip de fou, mais ça ne dure pas. » Johann jette un oeil à son cardiofréquencemètre : « Je suis à 160 pulsations/ minute en moyenne, mais, en mettant de l’intensité en me concentrant avant de partir, je monte à 175/178, comme en course Motogp. Je suis vraiment content de ça et, à ce niveau, le dirt-track est un excellent exercice. Cet hiver, j’attaque la diététique, en plus de l’entraînement physique et de la récupération que je pratiquais déjà. Avec toujours ce but de rester plus longtemps à bloc en course. C’est ce qui fait la différence. Jusqu’ici, je tenais 12 à 15 minutes maxi en supermot’ avant l’apparition de crampes. C’est là-dessus qu’il faut qu’on bosse. »
Toni Elias, second du Superprestigio 2016, était l’un des favoris, mais il termine 4e de la superfinale.
Briar Bauman : « Beach est avant tout un pilote de vitesse aujourd’hui. Mais quand il vient rouler en dirt, il nous corrige ! »
En seconde séance chrono, sur une piste redevenue glissante, Johann améliore, mais ne peut faire mieux que 12”4 : « Je patine et j’avance pas ! » De toute évidence, les finesses du dirt ne s’assimilent pas en cinq minutes – comme pour n’importe quelle discipline de la course moto. Après un break de quatre heures et une sieste au soleil, le départ de la première manche qualif est donné à 18 h. En cabine commentateurs, Chris Carr, pilote pro de dirttrack jusqu’à 44 ans, explique : « Ce qui est déterminant, c’est la première ligne droite. Avec des courses de six à huit tours [de 1’12 à 1’30] et des finales de 14 à 16 tours [3’ maxi], il n’y a pas de droit à l’erreur. Tu vas même jusqu’à examiner le mécanisme de déclenchement de la grille pour anticiper le départ. »
CHER DU KILOMÈTRE
Le format de l’épreuve est relativement simple : trois groupes (A, B et C), sept ou huit pilotes par groupes, deux manches chacun. Les deux premiers de chaque groupe sont qualifiés direct pour les finales, les autres vont en repêchage, où seul le gagnant sauve sa tête. Autant dire qu’il n’y a quasiment aucun droit à l’erreur. Au bout de six minutes, on arrive déjà au groupe C, dans lequel roule Johann. Mais celui-ci se rate au départ et ne peut faire mieux que de remonter quatrième derrière les pilotes de Moto3 Fabio Di Giannantonio et Arenas et le rookie du Moto2 Fabio Quartararo. Damned ! Cinq manches plus tard, deuxième tour, et Zarco claque une bougie au départ. Il ne peut qu’admirer la victoire d’arenas qui se qualifie pour les finales tandis que Johann échoue en repêchage. C’est raide. Six minutes pour changer de bougie, et revoici le Français en lice, ce coup-ci pour sauver sa tête : il part mieux, se maintient troisième juste derrière Javier Pinsach et Marcos Ramirez qui se battent pour la gagne. Je serre les miches, car on est déjà au cinquième tour, et ça ne va pas être suffisant. Mais Pinsach et Ramirez s’accrochent et Zarco gagne. Explosion de joie dans la cabine commentateurs : le n° 1 français est qualifié pour les finales. Mais l’euphorie est
de courte durée. Après une septième place suite à une chute lors de la première finale, sa deuxième place en finale 2 derrière Arenas n’est pas suffisante. Car une nouvelle chute sur accrochage élimine définitivement le Français de la superfinale. Qui reste néanmoins lucide : « Cette année, avec cinq jours d’entraînement seulement, je savais que ce serait compliqué. Durant la saison, je
n’ai pas le temps de faire 1 400 bornes en camion pour venir m’entraîner en Catalogne. A douze secondes le tour de piste, ça fait cher du kilomètre. La solution, ce sera de construire une piste d’entraînement en dirt chez nous ; on pourra s’entraîner chaque semaine. Et en décembre prochain, à l’u Arena, le but sera de me sentir chez moi à Paris. » On a hâte d’y être.