COMPARATIF
Bousculer l’icône GS, le trail le plus vendu au monde, est devenu une raison d’être pour la concurrence. Pour 2018, Ducati et Triumph s’y emploient avec les nouvelles évolutions des Multistrada et Tiger. Après 2 200 km dans toutes les conditions, on sent
BMW R 1200 GS Rallye, Ducati Multistrada 1260 S, Triumph Tiger 1200 XCA
BMW R 1200 GS Rallye Sur la route ou en chemins, la GS parvient toujours à vous bluffer. Mer...kel efficacité !
Ah, vous descendez dans le Sud ? Alors vous allez pouvoir vérifier ce que donne la Tiger sur routes sèches », lance Julien, notre pote maquettiste qui a essayé deux semaines plus tôt la Triumph en Espagne sous des trombes d’eau. Ouais… Sauf qu’il faut y descendre, dans le Sud, et que ça commence mal. Une mini-tempête s’abat sur la région parisienne à 7 h du mat’, rendant très périlleuse la circulation en deux-roues. Entre les rafales de vent d’une rare violence et la pluie soutenue, les 60 bornes qui me séparent du point de rendez-vous avec mes deux compères ressemblent à un parcours du combattant. A 90 km/h sur la voie de droite, à prier pour que le vent se calme, je m’étonne d’avoir encore un poil sec. Ajoutez l’écran fumé et les rideaux de flotte soulevés par les poids lourds à chaque dépassement, et vous avez une idée du tableau. Dans ma piètre condition, j’ai la chance d’être sur une moto super équipée, la nouvelle Tiger XCA. Poignées et selle réglées sur le premier niveau de chauffage, bien abrité derrière la bulle à réglage électrique haute et large (la plus haute des différentes versions de Tiger), la rétrovision parfaite, je limite les dégâts. Sous mes yeux, le très bel écran TFT affiche toutes les infos nécessaires. Cette prise en mains dantesque a au moins le mérite de révéler une Tiger franchement agréable, très naturelle, emmenée par un moteur élastique à souhait servi par un shifter remarquable. Il n’y a que son gabarit de déménageur qui dérange lorsqu’on la déplace ou qu’on s’installe à son guidon. Cette dernière évolution reste volumineuse, haute, et mieux vaut atteindre 175 cm pour être à l’aise, même en réglage de selle bas. De plus,
elle a beau revendiquer la perte de 10 kg, elle affiche sur notre bascule un 272 kg à plein pas très flatteur. Surtout face à la Multistrada qui stagne à 246 kg débarrassée de ses 9 kg de valises. La GS se situe pile au milieu. Ne manque dans ce comparo de ténors que la 1290 Super Adventure T ou S (vainqueur face à la GS et à la Multi Enduro dans MJ 2208), indisponible chez KTM France. Dommage...
FULL OPTIONS…
Le Colonel et Fifèvre sont à l’heure. C’est ça, les vieux… complices, on peut compter sur eux et ils ne rechignent pas à la tâche, même s’il faut braver les éléments. Fif’ me refile la Ducati. D’emblée, la différence de position de conduite saute aux yeux : la distance selle-repose-pieds est beaucoup plus courte, le guidon est plus proche du corps, la bulle rapprochée du casque, l’assise plus basse. L’environnement change radicalement des deux autres. Quand on met le twin en route et qu’on lâche l’embrayage, on sent L’ADN Ducati du fauve prêt à bondir. Car derrière le grondement des deux grosses gamelles, les 158 ch promettent qu’on ne va pas s’endormir au guidon. Bonne nouvelle, la 1260 introduit de nouveaux commodos bien plus intuitifs que ceux de la 1200. C’est tant mieux, car le nombre de possibilités de réglages est quasi sans fin au fur et à mesure qu’on navigue dans les menus. A-t-on vraiment besoin de tous ces paramètres pour tailler la route avec madame et les valises pleines ? Pas sûr. On sourit devant la fonction lap piquée à la Panigale, qui permet de chronométrer… sa session de circuit ! Qui peut le plus peut le moins, me direz-vous, et, à ce titre, la Multistrada n’oublie rien, à l’instar de ses concurrentes qui rivalisent d’équipements. Un vrai concours de celle qui en offrira le plus. Car, sur nos trois motos, on a droit au grand jeu : démarrage sans clé, suspensions pilotées, aide au démarrage en côte, écran TFT multifonctions, régulateur de vitesse, poignées chauffantes, modes de conduite, ABS de virages, shifter up&down, feux à leds, prise 12 V et/ou USB, selles réglables ; on a désormais atteint le niveau des meilleures GT. Il ne manque même pas la musique sur deux d’entre elles : GS et Multistrada disposent en effet d’une connexion Bluetooth pour écouter les playlists de son smartphone. Ces deux-là affichent par ailleurs la pression des pneus en plus. La Multi, encore elle, et la Tiger offrent un bonus avec leur éclairage adaptatif en virage. L’anglaise pousse même le “vice” à intégrer, dans cette finition full options XCA, le chauffage des deux sièges, le réglage électrique de la bulle, les commodos rétro-éclairés et une kyrielle de styles d’affichage du tableau de bord en fonction du mode moteur choisi. C’est dire si on tutoie les sommets. La Triumph
donnerait presque la leçon à une GS très optionnée qui ne possède pas toutes ces fonctionnalités. En revanche, le nouvel écran TFT de l’allemande (615 € en option) est un modèle du genre par sa taille généreuse (6,5”), sa clarté, son ergonomie et sa possibilité de connexion avec votre téléphone, votre casque (BMW, bien sûr, et certaines marques de systèmes Bluetooth), le tout commandé par une appli dédiée. Elle peut aussi vous donner des indications de navigation visuelles et sonores à partir de cartes téléchargées. Cool !
LA GUERRE DES BOUTONS
La Ducati a donc fait des efforts louables au niveau de l’ergonomie de ses commodos. La GS et la Tiger ne posent pas trop de problème non plus. Ça nous va bien car, avec trois motos bardées de boutons partout à découvrir, le temps qui nous est imparti pour remettre un partiel à zéro, modifier une précharge à l’arrière ou changer de mode moteur nous est compté. Ce qui n’est pas le cas du proprio qui aura tout le temps de se familiariser avec sa machine. Bref, après nous avoir copieusement arrosés jusqu’à Lyon (le temps de constater que la Tiger offre la meilleure protection de la tête et du buste et un confort général irréprochable), le ciel se dégage enfin. Sortie de l’a6 direction Vaison-la-romaine. Enfin sur des routes sèches, notre moral remonte en flèche. Chacun a conscience de roule sur la crème des gros trails. Sur la GS, on retrouve l’agrément du Boxer, toujours copieusement rempli, à la fois souple à bas régime et vif à la reprise. Le flattwin ne souffre pas de son déficit de puissance par rapport à ses rivales. Il le compense largement par son caractère bien vivant qui donne à la conduite un relief des plus agréables. Des griefs malgré tout ? Oui. Son aboiement à l’échappement (ici l’akrapovic) qui peut finir par lasser et une boîte-shifter au fonctionnement parfois rugueux si vous n’êtes pas dans le bon régime. Calé sur le mode road, la GS propose déjà un excellent compromis confort-tenue de route avec une réponse du ride by wire bien calibrée et des suspensions rarement prises en défaut. Ce mode intermédiaire convient la plupart du temps, que l’on musarde gentiment ou qu’on enroule de façon plus décidée. Même topo sur la Ducati concernant le shifter. Outre le fait que la
transmission fasse entendre quelques claquements, le passage des rapports se fait parfois en force. De plus, la commande d’embrayage est ferme et manque de progressivité au lâcher. La Bologne touch ! Comme dit le Colonel, « tu peux pas demander à la Multi d’être civilisée, sinon c’est plus une Ducat’. » Le sage a parlé. Car la Multi 1260, même en progrès en matière de souplesse moteur, reste une machine au caractère bien trempé. Evoluer aux alentours de 2 000 tr/mn dans un rond-point, elle le tolère tout juste. Après, en revanche, la bête se réveille et piaffe de vous montrer de quel bois elle se chauffe. Le twin Testastretta DVT piqué à la X-diavel a la gouache et fait preuve d’un meilleur remplissage à moyen régime que la 1200. Avec des cartographies adaptées au châssis de la Multi, il fait des étincelles. Pour jouer, débranchez ou mettez
Ducati Multistrada 1260 S Passée en 1260, la Multi devient plus conciliante. Mais son ADN reste sportif
l’antiwheeling sur 1 et à vous les levages de pattes sans arrière-pensée ! C’est pas trop dans l’esprit trail, c’est vrai, mais ça détend ! Nos mesures de performances l’attestent : en accélération et en reprises à 90 km/h, il laisse ses copains dans les rétros. Toutefois, le Boxer, plus tonique en bas, fait mieux en reprises à 50, même sur le 4e rapport. Derrière ces deux blocs très expressifs, le 3-cylindres joue une autre partition. Le 1200 est une force tranquille, un subtil mélange, de souplesse et de vigueur dès les mirégimes. S’il incite moins que les autres à lâcher la bride, c’est pour mieux vous charmer par son onctuosité omniprésente. On se régale ainsi à jouer du shifter, tout passe comme dans du beurre, même au rétrogradage. C’est de loin le meilleur des trois. Depuis le petit joystick au pouce gauche, on choisit le mode suivant son humeur ou le profil du parcours, enduro compris ! Le mode route garantit un vrai confort, permettant de rouler l’esprit serein. Certains pourront trouver un peu timide la réponse du ride by wire et, de façon plus générale, le caractère du tricylindre. Au guidon de la Tiger règne en tout cas une grande sérénité. Le poids se fait plus discret en roulant et le feeling du train avant (capital) est excellent, d’autant que la XCA profite des très bons Metzeler Tourance Next. Alors les kilomètres défilent, le plaisir s’installe, confirmant tout le bien qu’on pense de cette Tiger décidément très homogène.
INSOLENTE DE FACILITÉ
Puisqu’on parle de pneus, précisons que les Michelin Anakee 3 desservent plutôt la GS, en vivacité comme en feeling. Pour autant, la BMW épate toujours par le ressenti qu’elle dégage. Elle est presque insolente de facilité. Avec elle, on ne pose pas la moindre question dans le sinueux. Une légère impulsion, on se cale sur la trajectoire, on en ressort avec une motricité optimale, c’est bluffant, quel que soit le revêtement. Le confort de suspensions et la protection sont de premier plan, avec une restriction sur
Triumph Tiger 1200 XCA Avec un tel package, la Tiger vise une clientèle exigeante… ou allergique au Boxer !
l’accueil de la selle Rallye installée ici ; une option à réserver au baroudeur qui part en solo. Un baroudeur qui, au passage, doit faire avec seulement 20 litres d’essence dans le réservoir, exactement comme les deux autres. Soit le plein à refaire à moins de 300 km, vu qu’on n’aime pas bien rouler avec le voyant de réserve allumé, même s’il reste environ 80 km d’autonomie.
LE RETOUR D'ICARE
Le lendemain, les séances photo s’enchaînent. Passages seul ou à trois devant l’objectif d’alex, dans les deux sens, demis-tours, il faut en passer par là. Ce coin du Vaucluse, avec le Ventoux en fond, baigné de lumière et tempéré à 16°, nous donne des fourmis dans les pattes. On en profite donc pour percer un peu plus la personnalité de nos machines. Celle de la Multistrada est plus sportive que les autres, en témoigne sa roue de 17” – 19 sur les autres – et ses 170 mm de débattement. Assez sous-vireuse en mode touring si on augmente un poil la cadence, poussée par son gros gommard arrière de 190, grosse freineuse grâce à son matériel Brembo haut de gamme, la Ducati requiert de raffermir ses suspensions pour se montrer plus sereine. L’efficacité y gagne mais, globalement, l’italienne est une machine qu’il faut dompter quand les deux autres se laissent mener sans résistance. Entre les vibrations, le bruit de superbike et les petits mouvements de châssis sur mauvais revêtement, il faut y mettre de l’application, assimiler le mode d’emploi. Tout le contraire de la Tiger. Le Tigre, sûr de lui, sait faire patte de velours dans l’optique du voyage. Hormis son encombrement qu’il convient d’appréhender avec circonspection et qui va de pair avec un centre de gravité élevé, l’anglaise ne prête pas le flanc à la critique. Elle choye ses occupants, qu’elle rassure par la neutralité de son châssis et une tenue de route saine en tout point. On finit même par s’étonner qu’une machine de ce gabarit soit aussi à l’aise en virage. Alors oui, elle est moins intuitive que la GS et plus soft que la Multistrada. Mais son équilibre, son homogénéité et la douceur générale de son fonctionnement font mouche. Avec la Trophy, Triumph s’était brûlé les ailes en voulant se rapprocher trop près du soleil (la GS). Cette fois, l’approche est différente. Et le résultat tout à fait convaincant.