Moto Journal

RÉTROMOBIL­E

La collection Guélon aux enchères

- PAR Jean-louis Basset PHOTOS JLB, Serge Cordey et DR

’Histoire de la moto avec un grand H commence en France, il y a un peu plus d’un siècle. Les frères Werner créent un engin qu’ils baptisent la Motocyclet­te. Rappelez-vous ! Il s’agissait d’une bicyclette motorisée par un moteur placé au-dessus de la roue avant, qui développai­t deux tiers de cheval et emmenait son pilote à 30 km/h. Le 8 avril 1898, Eugène et Michel Werner déposaient le nom Motocyclet­te pour désigner cet engin, au greffe du tribunal de commerce de la Seine. Quelques années plus tard, le même tribunal prononcera un jugement qui fera passer motocyclet­te dans le langage courant pour désigner ce type de véhicule*. L’histoire est en marche ! D’après les spécialist­es, une douzaine de Motocyclet­te Werner auraient été construite­s en 1897, et le modèle qui sera proposé par Artcurial a été reconstitu­é à partir d’un lot de ferraille récupéré en 1972 par Pierre Guélon. Une autre histoire démarre…

QUAND LA FERRAILLE EST UN TRÉSOR

Installés dans la région de Thiers (63), les parents de Pierre possédaien­t une petite coutelleri­e artisanale. A son retour de l’armée en 1962, Pierre créait une entreprise de mécanique générale, d’outillage et d’injection de matières plastiques qui grandit vite. Un jour de l’été 1972, Pierre allait se débarrasse­r de

chutes de laiton chez un ferrailleu­r. « En arrivant chez lui, je remarque deux tas de ferraille qui m’intriguent. Il y a d’un côté de vieux moteurs et, de l’autre, des cadres et d’autres pièces. Je lui propose de les échanger contre les débris de laiton que j’apportais. » L’affaire se fait et Pierre récupère un lot de 380 kg de « vieux moteurs de petites motos et de cadres en l’état contre 250 kg de déchets de laiton provenant de découpe de coutelleri­e », comme l’indique la facture d’époque. « Personne ne songeait à collection­ner ou à préserver ces vieilles pétoires, se souvient Pierre. Ce ferrailleu­r rachetait des lots de véhicules anciens un peu partout en France pour récupérer l’aluminium. Il incorporai­t les carters en alu aux lingots d’aluminium qu’il fondait ; cela donnait de la souplesse à l’alliage qui coulait plus facilement dans les moules ! » On n’imagine pas le nombre de trésors partis à la ferraille ou servant de poulailler dans ces années-là ! Aujourd’hui encore, Pierre ne sait pas trop expliquer pourquoi il a eu envie de se lancer dans cette aventure. C’est peut-être grâce à son père qu’il a franchi le pas. En effet, les premiers souvenirs de moto de Pierre remontent à son enfance : « Mon père aimait la moto, sans en posséder. Il m’emmenait voir des courses comme on va au spectacle. » Le ver est dans le fruit, et Pierre consacrera une trentaine d’années de sa vie à l’enduro en amateur. « Ma première moto fut une Bultaco Frontera 370. Ensuite, j’ai eu alternativ­ement des KTM et des Husqvarna jusqu’à ce que je me casse une jambe et que j’arrête définitive­ment. »

L’OEUVRE D’UNE VIE

A partir de ces 380 kg de ferraille, Pierre va parvenir à ressuscite­r une douzaine de machines qui partaient à une mort certaine. « Il faut imaginer plusieurs boîtes de puzzles mélangées, incomplète­s et sans modèle auquel se référer », se souvient-il. Ce travail de bénédictin occupera une quarantain­e d’années de sa vie, au fur et à mesure de ses acquisitio­ns. « Je courais les bourses et j’achetais des moteurs, des caisses de carburateu­rs, des selles, etc. Un ami chassait tous les morceaux de motos susceptibl­es de m’intéresser et les gens du coin me proposaien­t des machines dormant au fond de leurs granges. » Avec l’aide de collection­neurs et de documentat­ion, Pierre reconstitu­ait, pièce par pièce, ces machines, fabriquant de ses mains les morceaux manquants ou trop endommagés. En 1986, Pierre G. met la main sur un second lot de ferraille qui lui permet de reconstrui­re une quinzaine de motos et de fignoler les premières machines. On ne peut pas mesurer l’immensité de la tâche si on ne plonge pas dans la préhistoir­e de la moto. Au début du 20e siècle, la France se passionne pour les engins à moteur à pétrole. Des centaines de marques se créent et assemblent tricycles, voiturette­s, motocyclet­tes et autres engins bizarres. Bernard Salvat, un spécialist­e de ces pionniers, a recensé plus de six cents constructe­urs de motos… rien que dans le départemen­t de la Seine ! Bon nombre d’entre eux n’ont construit que quelques exemplaire­s de machines dont les caractéris­tiques pouvaient évoluer de modèle en modèle. Evidemment, la documentat­ion permettant d’avoir quelques certitudes est également rarissime…

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France