24 HEURES MOTOS
F.C.C. TSR, premier team nippon victorieux au Mans
Le team F.C.C. TSR, sponsorisé par Honda France, a remporté pour la première fois les 24 Heures du Mans. Un team japonais sur la plus haute marche du podium dans la Sarthe, cela n’était encore jamais arrivé.
Le vent peut vite tourner en Endurance. Une chute, un problème technique, et la mécanique s’enraye. S’il roule sa bosse dans les paddocks du championnat du monde depuis seulement trois saisons, Fuji San, le patron du team F.C.C. TSR Honda, a déjà assimilé les bases du métier. Son comportement à quelques minutes de l’arrivée est là pour l’attester. Isolé dans son coin avec un autre Japonais, Fuji scrute avec attention les écrans de contrôle. Son visage ne laisse rien trahir, aucun signe pouvant montrer une éventuelle émotion. Pourtant, son team est sur le point de remporter pour la première fois les 24 Heures du Mans. Ce qui n’est jamais arrivé à une équipe nippone.
EXPLOSION
À quelques mètres de lui, Alan Techer est assis sur sa chaise. Fébrile. Son regard est intense. Il souffle. « Mais qu’elles sont longues, ces minutes ! », s’exclame le Français. Son coéquipier Josh Hook, lui, est plus tranquille. En tongs, avec des chaussettes, l’australien touille dans sa tasse de café. Il sourit avant de partir dans le fond du stand pour enfiler son cuir en vue des futures célébrations. L’arrivée approche en effet à grands pas. Fuji San le sait. Il commence à se détendre et esquisse quelques sourires à ses compagnons. Une minute avant le gong de 15 heures, les mécaniciens se précipitent sur le muret longeant la ligne droite des stands. Il ne met pas longtemps à les rejoindre. Soixante et quelques secondes plus tard, Freddy Foray passe la ligne d’arrivée en vainqueur. L’explosion de joie ne se fait pas attendre. Les yeux un peu rouges, Fuji embrasse, congratule, câline ses troupes. Le Japonais sait ce que cette victoire représente. Elle est historique. Elle permet en effet à Honda de renouer avec le succès au Mans pour la première fois depuis 2006 et la victoire de National Motos. « C’est le retour en grâce, avance Fabrice Recoque, le directeur de la division moto de la marque en France, puisque, depuis le Bol, le team F.C.C. est sponsorisé par Honda France. En plus, nous ne pouvions pas mieux rêver pour le quarantième anniversaire des 24 Heures du Mans. En 1978, c’était en effet une Honda qui s’imposait pour la première édition de la classique mancelle dans sa version deux-roues, avec Jean-claude Chemarin et Christian Léon. » Ajoutant un deuxième succès au Mans dans sa besace, Freddy Foray
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savoure. Le natif de Sèvres se refait aussi le film de la course. Il pense également au Bol d’or 2017 où la F.C.C. s’était battue pour la victoire jusqu’au petit matin avant la chute d’alan Techer. Il se remémore cette erreur, due à la pression exercée par le GMT 94. Il se rappelle aussi son hiver où il pressentait qu’au Mans, il pouvait se passer quelque chose.
LE GMT 94 PART À LA FAUTE
Sur le circuit Bugatti, c’était en effet au tour de la formation de Christophe Guyot de partir à la faute. Rapidement en tête en début de course, la R1 parisienne semblait filer tout droit vers un deuxième succès cette saison. Elle engrangeait d’ailleurs encore des points importants dans l’optique du championnat, en passant en tête à la huitième et à la seizième heure de course. Puis, peu avant 9 h, c’est le coup de froid. Machine salement abîmée après une sortie de piste au niveau du Chemin aux Boeufs, David Checa pousse. Pendant plusieurs centaines de mètres. Quand il rejoint l’entrée de la voie des stands, l’espagnol bénéficie du soutien de deux de ses mécaniciens ; l’effort a été rude. Celui de l’équipe technique, dans le stand, aussi. Mais si la moto est rapidement remise en état pour reprendre la course, les copains, sur la piste, n’ont pas attendu. Notamment la F.C.C., qui s’emparait là de la tête. Parvenant à repartir, le GMT connaîtra une nouvelle sortie de piste dans la matinée avec la chute de Mike di Meglio au Garage Vert. Les espoirs de victoire remisés au placard
jusqu’à la prochaine course, le trio du GMT termine à la dixième place. Une position qui pourrait, à l’avenir, être importante au moment de faire le décompte au championnat. En attendant, c’est bien le F.C.C. qui pointe en tête au général avec quatre petits points d’avance sur le GMT. « C’est marrant, car, finalement, sur ces deux premières courses, nous nous sommes renvoyé la balle », constate Foray. Et à l’écouter, il se pourrait bien que la musique continue à être jouée à ce tempo. Au Mans, la CBR ancien modèle a cependant sans doute livré sa dernière partition. Dès la prochaine course, en Slovaquie, la nouvelle génération de la Fireblade devrait faire son apparition dans le box F.C.C.. Si des essais avec ce nouveau modèle ont déjà eu lieu cet hiver au Japon, décision a été prise de conserver l’ancienne monture pour cette deuxième endurance de 24 heures. « Le HRC a développé des motos pour huit heures et le team n’a pas eu le temps de plancher sur la version pour les 24 Heures car, l’an dernier, ils sont restés totalement concentrés sur la 2016. En tout cas, mes premiers essais avec le dernier modèle au Japon ont révélé une machine très performante », promet Freddy. A 34 ans, et après seulement deux courses dans cette équipe, le Parisien semble avoir endossé avec facilité le costume de leader. Ses deux coéquipiers, plus jeunes – Alan Techer n’a que vingt-trois ans – profitent à plein de ses conseils. Serein, détendu et sûr de lui, Foray se sent bien. Pour cela, il n’a pas hésité à aller consulter un psychologue du côté de chez lui, à Aix-en-provence. Il raconte : « Il y a quelque temps, je me suis rendu compte que, mentalement, je me bridais. Je me suis donc dit que c’était peut-être le moment pour que quelqu’un m’ouvre une voie car, personnellement, je n’arrivais pas à la trouver. C’est quelque chose que je n’ose pas dire à chaque fois, car ça m’a tellement changé la vie que je n’ai pas envie de le dire aux autres ! » Son environnement, avec son arrivée chez F.C.C., a peut-être eu aussi un rôle. Freddy ne prétend d’ailleurs pas le contraire. Dans cette équipe, il se sent en confiance et s’épanouit. Avec ses coéquipiers, ils ont pourtant dû s’adapter à une nouvelle méthode de travail. Bosser avec des ingénieurs japonais est en effet totalement différent de ce qui se pratique en Europe ou ailleurs. Presque un autre monde, même. Après un débriefing, un ingénieur nippon hoche la tête et dit que c’est OK. Mais cela ne veut pas dire qu’il a compris les ressentis et les besoins de ses pilotes. C’est uniquement de la politesse. « Il faut donc s’assurer qu’ils comprennent bien nos besoins », confirme Foray.
HONDA, LE RETOUR
Au moment de faire le bilan des résultats sportifs du week-end, les patrons de Honda pourront en tout cas se frotter les mains. Outre la victoire de la F.C.C., la CBR du Honda Endurance Racing a terminé à la deuxième place de cette 41e édition des 24 Heures du Mans, assurant ainsi à la marque un doublé auquel elle n’avait
pas pu prétendre depuis bien des années. Grégory Leblanc, Sébastien Gimbert et Erwan Nigon n’ont pourtant pas eu la partie facile. Retardés en début de course par des petites avaries, ils ont cependant été en mesure de rattraper, petit à petit, leur retard. Gimbert résume d’ailleurs très bien ce qu’ils ont vécu : « C’était une nuit à la Joe Bar Team ! » Le résultat est cependant là. Et avec cette deuxième place, conjuguée à la troisième position acquise au Bol d’or, le Honda Endurance Racing est également dans la course au titre puisqu’il pointe à treize points de la première place du général. Quelques
minutes après la course, malgré la satisfaction du résultat, une petite déception se faisait tout de même sentir. « Par rapport à la F.C.C., nous avons passé dix minutes de plus dans la voie des stands, explique Grégory Leblanc. Et nous finissons à un tour. C’est sûr, ils n’ont pas poussé en fin de course, mais la course aurait pu être différente. Mais quand nous ne pouvons pas gagner, il faut être en mesure de se contenter d’une deuxième place. » La Honda n’est pas la seule machine de pointe à avoir rencontré des problèmes. La Yamaha du Yart a, par exemple, dû se résoudre à l’abandon après une chute impressionnante de Marvin Fritz dans la courbe Dunlop. La BMW NRT 48, victime de problèmes au niveau de l’électronique, a elle aussi dû abandonner. La Kawasaki SRC a limité la casse. Partis à la faute dans la deuxième heure de course, les Verts n’ont pas lâché le morceau. Le couteau entre les dents, Randy de Puniet, Jérémy Guarnoni et Mathieu Ginès ont redoublé d’efforts. Cela a payé, puisque la formation de Gilles Stafler termine à la cinquième place au général. Et puis il y a le Suzuki Endurance Racing Team. Dans le premier garage de la voie des stands, les protagonistes et les amoureux de l’endurance ont retrouvé une tête bien connue, celle de Dominique Méliand. La combinaison ignifugée un peu ouverte sur le haut, le Chef, comme tout le monde le surnomme, a toujours l’oeil affûté. Après un an loin des circuits consécutif à un problème aux artères, Dominique a rapidement retrouvé ses habitudes. Comme si, finalement, il n’avait jamais vraiment quitté ses partenaires de jeu. « C’est le bonheur de revenir, quand même, assure le Manceau. Le plaisir de retremper
dans la chose, c’est quand même difficile à définir. Que c’est bon de revenir au coeur de la discipline, au coeur du stand. » En début de semaine, Dominique confiait qu’il n’était pas encore certain d’être en mesure de pouvoir tenir les rênes de son vaisseau pendant toute la durée de la course. À quelques heures de l’arrivée, son bras doit, celui qui l’a remplacé pendant son absence la saison dernière, Dominique Hébrard, donnait la réponse : oui, le chef a veillé et est resté sur le qui-vive tout au long de la course. Et il aura encore des choses à disséquer dans les prochains jours.
LE SERT 24E
Tout n’a en effet pas été rose pour le Sert. Peu après minuit, des soucis de freins sont venus perturber ses plans. Dans les dernières minutes, c’est une pédale de sélecteur qui a posé problème. A peine la moto sortie du stand, l’analyse commençait avec l’ingénieur japonais dépêché sur place. « C’est un problème de jeunesse, raconte Hébrard. Après, pour les freins, nous devons faire le point. C’est quand même un organe de sécurité essentiel. On savait ici que, contrairement au Bol, les freins seraient plus mis en contrainte. Maintenant, il va falloir être réactif pour la Slovaquie. » Deux choix sont pour le moment étudiés par les techniciens du Sert pour la prochaine manche du championnat : soit partir avec de nouvelles pièces, soit modifier les items existants en changeant certaines choses comme le montage ou les renforts. Avec ces problèmes, Etienne Masson, Vincent Philippe et Gregg Black ont donc dû se contenter de la 24e place. La GSX-R sera-t-elle en mesure de se retrouver à la lutte pour la victoire en Slovaquie ? L’année dernière, l’ancien modèle avait signé son seul podium en 2017 en prenant la troisième place. Pour essayer de se glisser sur la plus haute marche, il devra également se dépatouiller de la Fireblade du F.C.C.. Mais, pour le moment, l’équipage victorieux des 24 Heures du Mans préfère profiter. Et réaliser. « Peut-être que je commencerai à y croire ce soir, dans mon lit », se marre Alan Techer. Il devrait en tout cas bien dormir…