3 maxi-gt : BMW K 1600 GTL, Honda 1800 Gold Wing Touring, Indian 1800 Roadmaster (guest-star : l’ancienne Gold Wing !)
Trois motos, 1 151 kg, 370 ch, 93 926 € : notre comparatif maxi-gt a tout du convoi exceptionnel ! Surtout lorsqu'il est emmené par la toute récente Honda Gold Wing Touring. La nouvelle référence ? A voir…
Mon majordome m'apporte de mauvaises nouvelles. Mon yacht restera bloqué au chantier naval pour quelques semaines encore, mettant à mal mes projets de détente entre amis, à voguer sur les flots méditerranéens entre apéros et pêche au gros. L'hélico est lui aussi en révision annuelle et je ne me vois guère proposer à mes vieux camarades de L'ENA et de HEC – désormais tous stars du CAC 40 une virée à Maubeuge en minibus de location ou encore un week-end en caravane au camping des Flots Bleus. En revanche, pourquoi pas un tour à moto ? J'ai justement l'argument phare pour les décider ! Mon concessionnaire Honda – auprès de qui j'acquiers chaque année une bonne partie la gamme – me prête la nouvelle Gold Wing 2018 pour quelques jours. Hélas pas la version à boîte DCT automatique (elle n'arrivera qu'un peu plus tard), mais la version “de base”. Trentetrois mille euros à un billet près, une broutille. Un vaisseau amiral avec son flat-six 1 800 cm3, une chignole à même de faire baver les copains malgré la noblesse de leurs propres destriers. Bruno roule en BMW K 1600 GTL, Jean-marie en Indian Roadmaster. Soit pas loin de 100 000 € sur les routes pour un convoi… exceptionnel !
100 000 BOULES AU SOLEIL
Le départ est donné du Fouquet's, sur les Champs-élysées, et, même dans ce temple du luxe où le café-croissant est au prix d'un plein d'essence, nos motos ne passent pas inaperçues. Surtout la Gold, avec sa ligne futuriste, plus fine que la précédente, plus “technologique” avec son grand écran digital, ses phares à leds effilés et la mélodie suave de son flat-six. L'indian Roadmaster en jette aussi, avec ses chromes généreux, ses garde-boue enveloppants, son carénage massif et son imposant V-twin de 1 800 cm3. A côté, la BMW K 1600 GTL semble presque banale. C'est pourtant la plus puissante avec son 6-cylindres en ligne de 160 ch, mais aussi la plus classique dans sa présentation : le luxe rime souvent avec discrétion. Mes amis s'étonnent que les GPS ne les guident pas vers Deauville, comme c'est généralement notre habitude après notre partie de golf dominicale dans un club sélect de la banlieue ouest parisienne. En chef de meute, je les dirige plutôt vers le sud-est, traversant des no go zones peu habituelles
à leurs références géographiques. Dans la circulation, c'est la Gold Wing qui s'impose, la plus douce à piloter. L'onctuosité de son moteur allégé, le freinage couplé aussi puissant que progressif, la boîte précise font merveille pour rouler sans à-coup entre les files de voitures. Avec ses valises plus étroites, elle se faufile aisément malgré son côté imposant. Les rétros restent exposés, mais se replient en cas de choc pour éviter une ridicule facture de 276 € (le prix de deux beaux cigares) à chaque impact. Les 374 kg mesurés par nos soins s'oublient rapidement tant le centre de gravité est placé bas. Nul besoin de bras de déménageur pour la relever de sa béquille latérale ou pour la déplacer avec sa marche arrière électrique, d'autant que sa selle à 745 mm du sol permet même aux plus petits d'avoir les pieds bien en appui. Ce n'est plus tout à fait la Gold Wing qu'on a connue (voir page 36), mais les premières
impressions sont encourageantes pour la suite de notre virée. L'autre bonne surprise nous vient des USA avec cette Indian Roadmaster. “Une Harley” au regard des non-spécialistes ; c'est vrai qu'elle en reprend les codes esthétiques, les chromes opulents, l'architecture moteur avec l'énorme bicylindre en V, mais le châssis est tout autre. Indian trace sa propre voie avec un cadre coque en aluminium, plus proche d'une moto sportive que d'un brave custom ! Et le V2 n'a rien d'un poumon de fumeur de Gitanes (ou de havane). Le Thunderstroke 111 dépote généreusement, avec du couple plus qu'il n'en faut, du caractère et une mélodie qui, parfaitement homologuée, charme néanmoins les oreilles. C'est la toute dernière version de ce moteur désormais Euro 4, avec 84 ch pour 1 811 cm3. Bien sûr, la boîte n'est pas des plus discrètes, l'embrayage
(à câble) un rien costaud, mais la Roadmaster se sort assez bien de la circulation urbaine. En revanche, c'est celle qui dégage le plus de chaleur en évoluant à basse vitesse avec son gros moulbif refroidi par air et huile. L'avant est un peu flou sur les premiers mètres de conduite, la moto délicate à manoeuvrer à l'arrêt (pas de marche arrière !), mais ensuite, le poids, 419 kg sur notre bascule, se fait rapidement oublier et la moto s'équilibre. Ce qui prédomine à son bord, c'est le confort, la souplesse du moteur et son caractère à chaque chatouille des gaz. Evidemment, la moindre rayure sur les valises ou le carénage galbé blanc nacré serait vécue comme une véritable blessure, alors, on fait attention. Puis on la voit arriver dans les rétros avec sa rangée de trois phares : l'indian impose naturellement le respect, dès lors que l'on assume son exubérance. A côté, la K 1600 GTL paraît bien plus conventionnelle, presque une moto comme une autre dans la circulation, si ce n'est la largeur aux rétros et aux valises, très proche des deux autres motos. L'atout de la BMW, c'est son agilité. C'est d'ailleurs elle qui braque le mieux, devant la Gold et l'indian. Difficile de croire que l'on pilote un supertanker sur le rail d'ouessant tant la K 1600 se manie comme une planche à voile, virevolte à la moindre sollicitation du guidon, voire du croupion. Mais ce qui agace – et ça ne fait que commencer -, c'est cette poignée de gaz électronique ride by wire calibrée de façon bien trop sensible, ce régime aussi instable que celui de la Libye ou de l'irak : « Comme l’impression que ce n’est pas toi qui conduit », dira Bruno et, cette boîte
de vitesses rêche, bruyante, même si le shifter optionnel qui équipe notre moto en gomme partiellement les défauts. Le 6-en-ligne BMW est pourtant extrêmement souple, parfait pour piloter sur un filet de gaz, mais bien trop desservi par cette transmission. Une critique que l'on fait depuis la sortie de cette moto en 2011 et que BMW n'a toujours pas corrigée autrement que par des évolutions mineures… en attendant – nous l'espérons ! – l'arrivée d'une version à transmission automatique.
ROCK'N'ROULE
Alors, celle qui devrait logiquement être la plus apte à la circulation urbaine avec son agilité, sa souplesse et son gabarit mesuré, devient ici la plus “pénible” à l'usage. Son moteur taillé comme un bloc de course n'a aucune inertie. C'est très sympa lorsqu'on chatouille la poignée de gaz en jouant des grandes orgues façon F1 sur la grille de départ, mais on cale aussi assez souvent dès qu'on abuse un peu trop de sa souplesse. Pas simple de redémarrer en seconde à moins de jouer de l'embrayage comme sur un 2-temps de course des années 80 ! Pas étonnant que les motos-taxis parisiens la boudent au profit de la Gold Wing, l'ancienne. Mes amis ne sont pas venus pour souffrir et s'encrasser le filtre à air dans les embouteillages franciliens, ils le font suffisamment en semaine entre Neuilly et leurs bureaux de La Défense. Aussi, le petit bout d'autoroute pour rejoindre la Bourgogne est le bienvenu pour aller au plus vite capter un peu d'air frais dans les vertes vallées. Ce qui est souvent vécu comme une punition à moto devient presque ici un plaisir sur ce tronçon d'a6. Régulateur de vitesse (les trois motos en disposent de série) calé aux vitesses légales, on se laisse porter par le confort et la protection de ces mastodontes de la route, le tout en musique, encore que mes amis préfèrent suivre l'actu financière sur Bfm-business entre deux tranches de rock'n'roll. Difficile d'établir une hiérarchie tant on nage dans le luxe : pare-brise réglables électriquement, sièges et poignées chauffantes au besoin, déflecteurs d'air, connectivité Bluetooth du téléphone – sauf sur la BMW -, navigateur GPS (en option sur la BMW)… On est bien, très bien. Mais, là encore, la K 1600 GTL déçoit un peu par sa propension à vous pousser dans le dos lorsqu'on monte la bulle au maxi. A protection égale, le phénomène est moins marqué sur la Gold Wing ou sur l'indian.
A 130 km/h, la Gold ronronne à 2 800 tr/mn sur son 6e rapport overdrive – une surmultipliée qui permet d'abaisser la consommation. C'est 3 100 tr/mn pour l'indian, dont le V2 vibre assez peu, 3 800 tr/mn pour la BMW, la plus “sportive” de la bande. En vitesse de pointe, c'est l'allemande qui vous emmène direct en zonzon. La Gold Wing, bridée par le constructeur, plafonne à 180 km/h en 5e comme en 6e et l'indian n'est pas vraiment taillée pour rivaliser avec les hypersportives sur autoroute. Si l'on atteint 180 km/h, le plaisir est ailleurs avec un gros V2 de 905 cm3 de cylindrée unitaire ! La plus stable sur autoroute, c'est là encore et incontestablement la Gold Wing. Cela s'explique par son empattement généreux de 1 695 mm (presque 8 cm de plus que la BMW), mais autant aller vérifier tout ça sur de vraies routes à moto. Bye-bye l'autor', on enclenche le GPS en mode routes sinueuses et on se laisser bercer par la technologie en direction du Jura. Col de la Faucille, col de Menthières, puis, plus à l'est, les Alpes, enfin. Oh, pas Gstaad ou Courchevel, là où mes amis ont leurs habitudes hivernales, planches aux pieds, mais plutôt les routes encore peu fréquentées en cette saison, parfois en cours de déneigement. On se prend un pied magistral dans l'ascension du col des Aravis en limant du reposepied, un oeil sur le mont Blanc et ses 4 810 m. L'indian Roadmaster nous surprend par sa relative aisance sur ces petites routes, pas si lourdingue
que ça à piloter et à même de prendre bien plus d'angle qu'on ne l'imagine avant de faire des étincelles. C'est une grosse mémère, certes, mais plutôt joueuse, et son moteur vous file la banane à chaque accélération. Ce ne sont pas les performances qui causent, mais les sensations. Celle d'un bon gros V-twin volontaire qui vous charme les oreilles mais aussi l'estomac avec son couple camionesque. De 3 000 à 4 000 tr/mn, c'est un régal ! Ce n'est pas le genre de moto qu'il faut violenter. Le mode d'emploi est plutôt dans l'accompagnement pour enrouler efficacement. Et quel confort ! La suspension arrière repose sur un mono-amortisseur à air Foxshox (les amateurs de VTT apprécieront) qui gomme parfaitement les irrégularités de la route. Avec la généreuse selle en cuir, on est sur un tapis volant. Dommage que la fourche ne soit pas aussi réussie et s'écrase un peu trop facilement au freinage, par manque de progressivité. Pas de réglages électroniques des suspensions (une pompe haute pression est fournie pour ajuster la précharge d'air à l'arrière), d'antipatinage ou de mapping moteur : on roule à l'ancienne, avec bonheur et simplicité. A noter tout de même que la moto a tendance à se relever si l'on freine un peu trop violemment en courbe. Il faut dire qu'elle freine plutôt bien, cette Indian, la meilleure des trois d'après nos mesures, même si, au feeling, on l'aurait plutôt placée derrière.
TRIANGLE D'OR
La Gold Wing n'est pas en reste et bluffe encore par sa stabilité sur ces routes de montagne, même lorsqu'elles
sont défoncées. La suspension avant à double triangle et mono-amortisseur procure un guidage très précis, l'ensemble est imperturbable. « On a l’impression qu’elle a une quille ! », nous dira Michel, motard savoyard venu nous filer un coup de main pour une séance photo au col de la Joux Plane. La métaphore nautique est parfaite. La Gold Wing peut prendre de la gîte et virer de bord comme si elle était maintenue par un lest sous sa coque. Le flat-six place le centre de gravité très bas et procure cet équilibre magique malgré le poids de la moto. Alors on roule et on enroule en pleine confiance, en regrettant juste ce gros pneu arrière de 200 qui grève un peu l'agilité et les repose-pieds qui se relèvent trop brutalement lorsque les tétons accrochent le sol en virage. Le freinage, lui, est parfait avec ce système couplé D-CBS qui répartit l'effort entre l'avant et l'arrière. Il n'y a aucun déséquilibre, aucune plongée avec cette suspension avant inspirée du Duolever de BMW. D'ailleurs, c'est assez amusant de voir, juste sous le tableau de bord, l'important travail qu'effectue l'amortisseur au travers des biellettes de direction qui oscillent au rythme des irrégularités de la route. Un vrai sismographe ! Etonnamment, c'est le moteur qui déçoit le plus sur la Gold Wing Touring. 126,4 ch, 170 Nm, ce n'est pas rien, mais la puissance est délivrée de façon très (trop) linéaire. Les reprises sont assez molles sur le 6e rapport dont on a tendance à abuser tant le moteur est souple, mais correctes sur les rapports inférieurs. OK, il y a la musique du flat-six pour vous charmer avec ses envolées lyriques dans les tours, son onctuosité, son coffre, son allonge, mais pas le coup de pied au cul d'une
911 GT3 - les amateurs de flat-six teutons comprendront. Comme sur la BMW, les réglages de suspensions sont asservis aux modes moteur de la Honda et au type de charge sélectionnée : solo, duo, avec ou sans bagages. Idem pour la répartition du freinage. Pourtant, le mode Sport n'est pas le plus agréable. L'ouverture des gaz devient alors plus directe, sans que le comportement de la moto n'en soit réellement transformé. D'ailleurs, les quatre modes proposés par la Gold Wing (Sport, Tour, Rain, Eco) sont peu différenciés et c'est sur le mode Tour que se déroule l'essentiel de notre virée. Sauf quand le voyant d'essence s'allume plus tôt qu'escompté et qu'à l'idée de pousser une moto de près de 360 kg à sec sur une route de montagne, on préfère jouer l'économie pour rejoindre la première station. Un peu juste, d'ailleurs, l'autonomie de la Gold Wing : avec 6 litres/100 km de moyenne sur cet essai et un réservoir de 21 litres, ça fait au mieux 350 km, ce qui n'est pas énorme sur une moto qui donne aussi peu envie de s'arrêter. Et l'on peut faire le même reproche à l'indian, plus gourmande, qui n'offre qu'à peine 300 km de plaisir entre deux pleins. La BMW est plus généreuse avec 420 km d'autonomie moyenne grâce à ses 26,5 litres. Elle consomme un peu plus que la Honda, mais ses performances sont tout autres. Avec sur le papier 34 ch de mieux (soit 160 ch) et un moteur racé, elle procure de sacrées sensations ! La notoriété de motoriste du constructeur allemand n'est pas un vain mot, mais ici aussi, sur ces petites routes alpines ou les virages s'enfilent comme des perles, la boîte devient vite
insupportable si l'on ne change pas le rapport pile au régime optimal. Ce frein avant qui grince généreusement à chaque freinage appuyé est tout aussi agaçant sur une moto tout juste rodée. Bien sûr, c'est de loin la plus agile, un jouet (de 350 kg, hein !) dans les enfilades, une catapulte dès qu'on ouvre les gaz, mais, à ce prix et dans cette catégorie exigeante, le confort mécanique compte tout autant que celui de l'assise ou de la protection.
TRANSPORT DE FONDS
La perfection n'est pas de ce monde, mais mes amis semblent enfin heureux. Au point de ne même plus se jeter sur leurs smartphones à chaque arrêt pour consulter leurs mails, messageries, les cours boursiers ou leur agenda surchargé. Rouler à moto, c'est aussi savoir profiter de ces moments rares, sur les plus belles routes du monde et ne penser a rien d'autre qu'au plaisir. Carpe Diem ! Difficile de trouver un vilain petit canard dans la meute, chacune de nos motos procure des sensations différentes, avec chacune leur manière d'interpréter la partition du Grand Tourisme. Si le prix n'est pas le souci pour mes copains de virée, tout le monde ne peut poser un billet de trente et quelques mille sur le comptoir comme on le ferait avec quelques pièces pour s'offrir un café. Au prix “de base”, la BMW K 1600 GTL est la plus abordable (25 650 €), mais avec les inévitables packs et options, notre modèle d'essai grimpe à 30 327 €, soit quasiment le prix de l'indian qui, elle, est déjà toute équipée, même si sa dotation technologique et électronique reste plus modeste. Honda place la barre encore plus haut, avec une Gold Wing à 32 999 € dans cette version Touring, 35 999 € pour le modèle avec transmission DCT et airbag… C'est le prix d'une moto totalement repensée, qui s'éloigne un peu du mythe Gold Wing au profit d'une autre idée de la GT. « La bonne nouvelle, c’est que désormais la Pan-european existe aussi avec un 6-cylindres 1 800 cm3 », conclut Bruno, un rien perfide…