Moto Journal

GRAND PRIX D’ESPAGNE

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Demolition derby à Jerez

Je ne sais pas pourquoi j’ai du mal à Jerez, explique Marc Marquez à Moto Journal en conférence de presse d’avant GP. J’aime cette piste, je m’y amuse beaucoup, mais ce n’est pas une des pistes où je suis le plus performant. J’ai gagné une fois en 2014, mais, les autres années, même quand j’ai eu des problèmes, j’ai fini à chaque fois sur le podium. Ces années-là, on avait des soucis avec la moto, mais, cette année, on est mieux. En plus, on a pu y faire deux jours de tests entre le Qatar et l’argentine, du coup, on a bien progressé en mise au point. Si on a une petite chance de gagner, on la saisira. » Une petite chance, c’est le cas de le dire, puisque en arrivant au passage du drapeau à damiers trois jours plus tard, Marquez comptait pas moins de 7”5 d’avance. De quoi s’offrir une petite chorégraph­ie avant de franchir la ligne. MJ poursuit l’enquête : « Une petite danse brésilienn­e à Austin, une floss dance à Jerez. Tu prévois quoi pour le Mans ? » Rire de Marquez, qui, les yeux brillants, répond : « Franchemen­t, je ne sais pas. Je ne pense pas que j’aurai d’autres opportunit­és d’avoir autant d’avance cette saison. »

LE CHAT

Ça, ça reste à démontrer. Si Marquez n’avait pas calé sur la grille en Argentine, il avait 95 chances sur 100 de coller une fessée à l’ensemble du plateau. Lors des trois autres courses, il a gagné deux fois et fini deuxième au Qatar, à 27 millièmes de la victoire, sur une piste qui, elle aussi, pose des soucis à sa Honda. En d’autres termes, Marquez domine ce début de championna­t de la tête et des épaules. Exactement comme en 2014, soit la dernière fois que Honda lui avait mis une RCV compétitiv­e entre les pattes. Takeo Yokoyama, patron de la technique au HRC, interviewé en exclusivit­é par MJ : « On a travaillé tout l’hiver sur le moteur pour le rendre moins agressif, car il est plombé avant la première course et on ne peut ensuite plus y toucher. [C’est-à-dire que des scellés sont apposés sur le moteur, puis contrôlés à chaque GP par les commissair­es techniques pour éviter que les teams les ouvrent]. Ensuite, on bosse sur le châssis, mais, dès le début de la saison, on a pu constater que de disposer d’un moteur mieux rempli nous facilitait la mise au point de la partie-cycle. » Le meilleur pilote du monde sur la machine la plus compétitiv­e du plateau – pole de Crutchlow, record du tour de Marquez, 3 victoires en 4 GP pour la RCV – devient alors un vrai casse-tête pour la concurrenc­e. Surtout quand il est capable de se sortir de situations impossible­s. « Lorsque Lüthi s’est bourré au 13e tour dans le virage 12, il a ramené plein de graviers sur la piste. A cet endroit, tu es plein angle à 170 km/h, c’est le pire endroit du circuit pour avoir un souci, explique Randy de Puniet, plusieurs fois sur le podium en Motogp, devenu commentate­ur sur Eurosport. Le sauvetage de Marquez à cet endroit-là, il le doit à ses réflexes hors norme. A sa capacité de s’adapter en une fraction de seconde. » Si vous ajoutez la chance, avec Pedrosa, Lorenzo et Dovizioso qui se percutent au 18e tour (heureuseme­nt sans se blesser) pour marquer zéro point, il y a de quoi faire des cauchemars.

« Là encore, c’est un incident de course, analyse Randy. Dovi passe au freinage, mais s’élargit, Lorenzo recoupe à l’intérieur et percute Pedrosa qui ne pouvait pas le voir puisqu’il était plein angle. Si je dois faire une remarque, c’est qu’en voyant Dovi qui élargit, Lorenzo replonge à l’inter sans regarder sur sa droite afin de perdre le moins de temps possible. Juste avant, il avait la possibilit­é de tourner la tête à droite pour éviter l’accrochage. » Malgré cette insolente réussite, Marquez ne possède que douze points d’avance sur son nouveau dauphin, un certain Johann Zarco. « J’avais dit avant le début de la saison que Johann serait un candidat au titre. Je ne me suis pas trompé. »

LE CHOIX OSÉ DE ZARCO

Jeudi, 11 h 02, en salle de presse du circuit de Jerez. Le communiqué de presse KTM tombe : Johann Zarco signe pour deux ans dans le team officiel. Direction les deux semi-remorques orange situés à dix mètres de là. Sebastian Risse, l’ingénieur en chef du service course autrichien, me rend mon sourire lorsqu’il m’aperçoit. Il termine une discussion avec l’un de ses technicien­s puis vient me serrer la main. « Super nouvelle ! Bravo d’avoir réussi à avoir signé un tel pilote ! Mais c’est un juste retour des choses, puisque c’est avec une KTM qu’il a gagné la Red Bull Cup en 2007. – Merci, sourit Sebastian, qui a oublié d’être bête, vu qu’il chapeaute les cent ingénieurs du service course Motogp à seulement 34 ans. Je pense que Johann peut nous aider à faire progresser notre RC16. – Je suis d’accord. Guy Coulon, son chef mécano chez Tech3, m’explique que Johann n’essaie

jamais de se mêler de détails techniques. Qu’il donne simplement son feeling, bon ou mauvais, ce qui aide le travail de l’équipe technique. Pour moi, c’est une marque d’intelligen­ce et de respect. – Complèteme­nt, et cela ne me surprend pas d’un pilote comme Johann. Il a été à l’école d’aki Ajo [le Finlandais, patron de l’équipe avec laquelle Johann fut vice-champion du monde 125, puis a glané ses deux titres mondiaux en Moto2]. – Toutefois, il y a une chose qui m’inquiète. En discutant avec le technicien suspension­s Kayaba Stefan Kurfiss, qui s’est occupé de Johann en 125 comme en Moto2, il semblerait qu’il soit compliqué d’obtenir le flex d’un châssis alu avec un treillis tubulaire. Ce qui est crucial quand tu as 60° d’angle, que les suspension­s sont gelées par la gîte et que c’est l’élasticité du châssis qui permet d’absorber les bosses et de tourner. Qu’en penses-tu ? – Tout ce que tu dis est

exact, mais il ne faut pas oublier que lorsqu’on a commencé en GP de vitesse, on a bossé avec des cadres alu, sur la 125 de Stoner par exemple [et la 250 de Kallio]. Cela nous a permis de collecter des données sur la rigidité nécessaire en vitesse. Nous sommes confiants qu’un cadre treillis tubulaire en alu puisse répliquer cette rigidité, et c’est d’ailleurs l’un des principaux points sur lesquels on travaille. » En sortant de chez KTM, je tombe sur Laurent Fellon, le manager de Johann, qui me regarde, amusé : « Si je te disais depuis combien de temps on a signé, tu serais surpris ! [lire son interview page 14]. Tout ce que tu dois retenir, c’est que battre Marc Marquez à moto égale, c’est très compliqué. Il vaut mieux choisir une autre stratégie. »

QUEL DÉFI !

Dans le paddock, tout le monde est loin de partager l’optimisme de Laurent Fellon. Un observateu­r averti qui préfère garder l’anonymat : « Il avait le choix de prendre une bonne moto, il a pris la mauvaise. » Alberto Puig, manager du team Repsol Honda et, accessoire­ment, tout premier vainqueur espagnol du GP 500 à Jerez : « On avait expliqué à Laurent qu’on souhaitait le rencontrer à Jerez. Le problème, c’est qu’en arrivant ici, sa décision était déjà prise. Je préfère ne pas en parler. Je pense qu’il s’est trompé, mais ça, il s’en apercevra après. » Est-ce une décision que Laurent a prise seul : « Non, explique Johann. On en a discuté tous les deux et ce n’est pas lui qui a le dernier mot. Mais j’ai confiance en lui. » Pour Moto Journal, le choix est sans aucun doute osé, mais argumenté. A moto égale, il est aujourd’hui quasi impossible de battre Marc Marquez. Surtout sur une Honda construite pour lui. Mais tourner le dos au premier constructe­ur mondial ne se fait pas sans

conséquenc­e. Honda a toujours préféré ses machines aux hommes, ce qui a provoqué le départ d’un certain Valentino Rossi fin 2003. Donc refuser de négocier avec le HRC, c’est se griller avec lui à vie. Cependant, toujours selon la même philosophi­e, Honda utilise la compétitio­n pour mettre à l’épreuve ses ingénieurs, renouvelan­t très régulièrem­ent les équipes. Et celles-ci accouchent de protos certes très performant­s, mais souvent difficiles à maîtriser, même pour un extraterre­stre comme Marquez. Depuis son arrivée en Motogp en 2013, il n’y a que deux années pendant lesquelles il s’est senti à l’aise sur la RCV : en 2014 (dix victoires de rang) et en 2018. Son talent hors norme et son intelligen­ce de course lui ont permis d’empiler quatre titres en cinq ans, mais, pour tous les autres pilotes Honda, cela a été très compliqué. Si KTM parvient à exploiter le talent de Johann pour repousser les limites de sa RC16, de belles choses peuvent se produire. Chez KTM comme chez Johann, la motivation et la force de travail sont là. En faisant le choix le plus audacieux, Johann prouve son courage et la volonté de suivre la trajectoir­e qu’il a choisie, quoi qu’en pensent les autres. Rien que pour ça, respect. Même si son chef ingénieur actuel ne fera pas partie de l’aventure (« C’est impossible d’enlever Guy Coulon de Tech3 ! », explique Johann), le fait que le team français passe chez KTM l’an prochain participer­a à la synergie. « A quatre pilotes, on pourra tester plus de choses et cela ne peut que nous aider », conclut Johann.

50 MINUTES DE STRESS

Dimanche, 13 h 58. Johann Zarco est sur la grille, sa seconde moto en chauffe devant le box, les pneus sous

couverture, au cas où... Malgré le bruit assourdiss­ant d’une meute de 24 motogp prêtes à être lâchées, une forme de “silence” s’installe dans le box. Un silence à 150 db… Départ, le premier virage est avalé en apnée par l’équipe. Ça passe pour Johann, il sort troisième derrière Lorenzo et Pedrosa. Maria, l’attachée de presse dédiée aux réseaux sociaux, tweete déjà frénétique­ment sur son smartphone. Au deuxième tour, Marquez passe Zarco, puis s’attaque à Pedrosa. Laurent Fellon commence alors son show assis sur un tabouret, devant l’écran TV du box, avec son accent chantant d’avignon : « Hé, c’est la Moto2, là ?! » Quelques tours plus tard (au 5e) il saute de son tabouret : « Oh putaing ! » Zarco vient de se rater au

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[2] Mika la menace Dixième devant les deux officiels KTM, Kallio testait avec succès un nouveau V4 plus doux à l’accèl’. Assemblé à la main, il devrait être dispo pour les officiels au GP d’autriche le 12 août.
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[3] Dèg’ Comme vous pouvez le constater, Danilo Petrucci avait bien la haine de finir 4e à 0”6 du podium. En Italie, on appelle ça la médaille de bois.
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 ??  ?? [3] Loi des séries Huitième première ligne d’affilée (photo) et quatrième podium en six courses pour Johann Zarco, qui tient la forme avant son GP national. Pas de pression !
[3] Loi des séries Huitième première ligne d’affilée (photo) et quatrième podium en six courses pour Johann Zarco, qui tient la forme avant son GP national. Pas de pression !
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[2] Bloody hell ! Après avoir décroché la pole et le record de la piste en 1’37”653, Crutchlow a chuté au 8e tour en course : « J'ai forcé aux freins, le pneu avant a surchauffé et j'ai chuté. »
2 [2] Bloody hell ! Après avoir décroché la pole et le record de la piste en 1’37”653, Crutchlow a chuté au 8e tour en course : « J'ai forcé aux freins, le pneu avant a surchauffé et j'ai chuté. »
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Après un début de course difficile, Johann réalise une belle course, sanctionné­e par la deuxième place :
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[1] Ocho Belle 8e place du régional de l’étape Alvaro Bautista, qui , jusqu’ici avait eu toutes les peines du monde à maîtriser sa nouvelle GP17. 1
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18e tour, 6e virage : Dovi, qui trépigne derrière un Lorenzo qui le bloque, tente de lui faire les freins mais s’élargit. Lorenzo repique à l’inter pour le bloquer à l’accèl et percute Pedro. Dani s’envole, sa Honda désarçonne Jorge, qui dégage à son...
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3 Dix ans que Suzuki n’avait pas enchaîné deux podiums en catégorie reine. Iannone a certes bénéficié du carnage devant, mais il est resté sur ses roues, lui !
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