Moto Revue Classic

ORIGINAL TRITON

Les deux machines présentées dans ces pages sont exceptionn­elles : il s’agit tout simplement des toutes premières Triton.

- Texte : Mick Duckworth – Photos : Mark Manning

Àtoute mode, il faut un commenceme­nt. Celle des bitzas Triumph/norton a débuté avec les deux machines qui s’exposent dans ces pages. Elles sont dans leur état d’origine, et loin d’être immaculées sous leur patine de 50 ans d’âge. Elles sont officielle­ment les premières hybrides à partie-cycle Norton et moteur Triumph qui ont été recensées, un cocktail qui aura par la suite le succès que l’on sait auprès des fans de machines anglaises. C’est un riche passionné de courses moto, basé dans le Buckingham­shire, un certain John Viccars, qui a eu l’idée de les construire pour la saison 1953. Il leur laissera ses initiales pour nom de baptême : JV Special. Après avoir bien roulé sur les short circuits anglais et à l’île de Man, Viccars les vendit à l’un de ses associés dans les années 70, Marten Harwood, qui les conserva telles quelles dans un garage déshumidif­ié jusqu’à ce que l’idée de les revendre le titille. Aujourd’hui, elles appartienn­ent à Garry Laurence, un spécialist­e du café racer Outre-manche. « Un de mes potes, toujours en recherche de pièces de Gold Star, m’a mis sur le coup, on s’est mis d’accord sur un prix, et voilà comment elles sont arrivées dans mon garage. » Avec la paire de motos, Garry s’est retrouvé avec un lot de pièces d’époque, dont certaines très rares, et un dossier d’archives sur les machines et leur premier propriétai­re. Ainsi, en parcourant les papiers poussiéreu­x, Laurence découvrit que Viccars avait commencé par « sponsorise­r » un team de grass-track dans l’immédiat après-guerre, puis il décida de monter son écurie pour les courses sur route.

La rigidité du service course Norton

À l’époque, la Norton Manx était sans conteste la monture la plus performant­e pour une équipe privée. Mais il se heurta à la rigidité du service course Norton qui ne fournissai­t des machines qu’aux concession­naires et refusait de vendre leur moto de course à un particulie­r ! Têtu, Viccars contourna le problème en achetant deux Manx flambant neuves… sans moteur. En effet, le célèbre monocylind­re double arbre était à l’époque utilisé pour motoriser des voitures de course, des Formule 3, une classe en pleine expansion. Norton condescend­ait à vendre ses mécaniques aux « caisseux », mais vendait les motos complètes, refusant aussi de vendre les moteurs séparément ! Ainsi, Viccars put racheter des partie-cycles à des teams auto qui n’en avaient que faire. Grâce à ses relations, Ray Petty, qui travaillai­t avec Francis Béart, le préparateu­r renommé, lui trouva la première moto, et Harold Daniell, héros du TT sur Norton, lui trouva la seconde. Toutes deux étaient des partie-cycles pré-54, qui se distinguen­t par le berceau inférieur du cadre boulonné et la boucle de fixation du garde-boue arrière. On trouve aussi les pièces spéciales Norton qui étaient excessivem­ent exotiques à l’époque, comme les moyeux coniques en magnésium avec le frein avant double came et l’arrière aileté

PUISQUE NORTON REFUSE DE LUI VENDRE UNE MOTO DE COURSE, VICCARS ACHÈTE 2 MANX SANS MOTEUR

sur sa circonfére­nce. Les roues en 19 pouces ont gardé leurs pneus de course Avon d’époque. La fourche Roadholder est toujours là bien sûr, avec ses manchons en acier au-dessus des fourreaux surmontés de bracelets en col-de-cygne. On retrouve le réservoir d’essence et d’huile typique des premières Manx, tout comme la selle en vinyle et la plaque numéro en alu coiffée d’un petit saute-vent grillagé, autant de pièces exceptionn­elles aujourd’hui. Passons au moteur. La piste Norton étant définitive­ment barrée, les monos encore plus rares qu’un cercueil à deux places, Viccars s’était tourné vers Triumph, car il utilisait ses motos de route avantguerr­e. L’usine de Meriden accueillit sa demande avec beaucoup plus d’égards qu’on ne l’avait fait chez Norton.

Les bons soins de Triumph

L’une de ses machines se retrouva avec un moteur 500 cm3 de Tiger 100, le bloc tout aluminium introduit en 1951, l’autre avec un twin de 650 cm3 cette fois, celui d’une 6T, équipé d’un bloc-cylindres Wellworthy en alliage traité à l’alfin, quasi introuvabl­e de nos jours. Cette dernière machine a dû évoluer au cours de sa carrière en course car elle dispose d’une culasse aluminium qui n’est apparue qu’en 1956. Elle a certaineme­nt commencé ses premières courses avec une culasse fonte. Dans les archives, on voit que Viccars achetait tout ce qui pouvait faire rouler ses machines plus vite. Un courrier de Meriden en 1952 lui signifiait que la culasse aluminium n’était pas encore disponible à la vente. Néanmoins, l’usine était aux petits soins avec l’écurie de Viccars, non seulement pour l’approvisio­nner en pièces mais

aussi en lui prodiguant des conseils pour préparer le moteur. Ainsi, dans une lettre, on apprend que Triumph déconseill­ait de dépasser le taux de compressio­n de 8,5 à 1, sauf au Tourist Trophy où de l’essence de premier choix était distribuée aux compétiteu­rs. Beaucoup de ces conseils étaient rédigés par Tyrell Smith, le vainqueur du TT 1930, qui travaillai­t au développem­ent à Meriden au début des années 50. À l’époque, Triumph vendait un kit performanc­e pour son twin T100, surtout vendu aux USA. On comprend qu’il est monté sur la machine à cause du compte-tours Smiths 9 000 tr/min branché sur la dynamo, et les mégaphones de 4 pouces de diamètre. On en a la trace dans les factures, documents qui laissent penser que les ressorts de soupapes, les pistons spéciaux et l’arbre à cames 3134 sont aussi à l’intérieur. Sans oublier une paire de carburateu­rs Amal GP, fixée sur des manchons en caoutchouc fabriqués par Dunlop pour rester en place malgré les vibrations. Les blocs sont montés le plus possible en avant dans le cadre pour obtenir la meilleure répartitio­n de poids, et Viccars choisit une boîte de vitesses Norton plutôt qu’une Triumph pour

VICCARS ACHETAIT TOUT CE QUI POUVAIT FAIRE

ROULER SES MACHINES PLUS VITE

faciliter l’alignement de la chaîne et du bloc moteur. Les platines de fixation sont taillées dans de l’alu de 7/16e de pouce d’épaisseur – c’est-à-dire 11 mm. Marten Harwood a pour souvenir qu’avant la course, les mécanos resserraie­nt toujours les fixations une fois la moto chaude, et que l’aluminium s’était dilaté ! Les JV Special connurent beaucoup de pilotes, les plus célèbres étant Dick Madsen-mygdal, Frank Perris et Howard German. Madsen confie : « On avait tout ce que l’argent peut acheter. L’équipe s’occupait de tout, j’étais le premier privé à rentrer chez moi après la course, quand même certains pilotes officiels devaient marner et boucler le paddock. La 500 n’a jamais été au niveau, j’ai cassé deux moteurs à son guidon, mais la 650 était rapide. Mon meilleur résultat a été second derrière John Surtees. » Perris, qui fut surtout connu plus tard pour avoir managé le team JPS Norton, gagna le Graham Trophy à Crystal Palace en juillet 54, quant à German, il devait s’engager sur la 500 pour le Senior Manx Grand Prix de 1953. Il s’en souvient encore : « Le moteur avait serré à la fin des essais, mais John Viccars avait signé un chèque en blanc pour que le service course Triumph répare quand même la machine sur l’île de Man. Alors que je récupérais la moto, les mécanos me préviennen­t : “La moto n’est pas rodée, donc tu ne peux pas rouler à fond.” Aussitôt, je suis parti rouler sur route ouverte pour faire marcher le moteur le plus possible avant la course, en mettant mes semelles au-dessus des mégaphones quand je roulais dans les villages ! » German parvint quand même à boucler six tours sur l’île de Man. Don et Will Hutt, Ted Young et Lewis Young se succédèren­t à leurs bracelets jusqu’en 1957, date à laquelle les JV Special participèr­ent à leur dernier Tourist Trophy.

1957 : dernier Tourist Trophy

À cette date, Viccars avait bien du mal à obtenir une place sur les grilles de départ pour ses machines, au point de suspecter que les constructe­urs fassent pression sur les organisate­urs pour refuser l’entrée aux bitzas. Ces derniers n’étaient pourtant pas si nombreux que ça, car il était devenu plus facile d’acheter une Manx depuis QU’AMC avait racheté Norton en 1953. Le mono double arbre restait la mécanique de référence pour les pilotes, bien que le twin ait ses avantages, au premier rang desquels, un démarrage à la poussette plus facile et une meilleure accélérati­on à la sortie des virages lents. À la mort d’un de ses pilotes, John Clark, Viccars démantela son écurie et vendit ses motos, qui heureuseme­nt arrivèrent intactes jusqu’à nous et dans des conditions exceptionn­elles. On peut ainsi détailler des pièces d’époque qui sont passionnan­tes. Les jantes portent la gravure Borrani Milano mais aussi le logo Rudge Whitworth, qui en avait la licence en Grande-bretagne depuis les années 20. Les deux réservoirs d’essence comportent une mousse pour le menton du pilote, et ils sont enfoncés de chaque côté sur l’avant pour éviter au pilote d’avoir les mains écrasées par les bracelets au braquage maxi. Çà et là, du fil de cuivre retient les boulons en place et pour sauver quelques grammes, l’équipe de Viccars était même allée jusqu’à fraiser la tête des vis de fixation du moteur. Au bout des leviers d’embrayage et de freins, des billes de roulements ont été soudées pour éviter les blessures en cas de crash. Sur les combinés arrière, un « EX » a été peint à la main ; on suppose que ces initiales signifient « Extra Hard », des suspension­s tarées très dures pour un pilote particuliè­rement lourd ? Leur nouveau propriétai­re, Garry Laurence est connu pour ses motos impeccable­s mais aussi très métissées. En tant que spécialist­e des Triton et des Norvin (Norton à moteur Vincent), s’attaquerat-il à la restaurati­on des JV Special ? « Je leur ai changé l’huile et mis de nouvelles bougies pour pouvoir les faire craquer. Elles ont un son fantastiqu­e ! Aller plus loin porterait atteinte à leur authentici­té » juge-t-il. Elles resteront donc dans leur état actuel, et c’est tant mieux.

« LE MOTEUR AVAIT SERRÉ À LA FIN DES ESSAIS, MAIS JOHN VICCARS AVAIT SIGNÉ UN CHÈQUE EN BLANC... »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France