Moto Revue Classic

NORTON 960 DOMIRACER

La nouvelle Norton Domiracer n’est pas qu’une machine de salon : elle roule, et même très bien ! Alan Cathcart l’a essayée pour Moto Revue Classic.

- Texte : Alan Cathcart – Photos : Kyoishi Nakamura

Le constructe­ur anglais vient de présenter la première série limitée de la marque. Essai exclusif pour MRC.

Depuis 2008, le cap des 1 000 machines a été franchi par Norton qui emploie désormais 45 personnes au lieu des 12 de départ. Les États-unis viennent d’être livrés, certains acheteurs avaient effectué leur premier règlement il y a de ça trois ans ! Néanmoins, forts d’une image de marque incroyable, les Anglais se sont accrochés pour mettre en route leur projet industriel, surmonter leurs difficulté­s d’approvisio­nnement, payer les salaires de leurs employés et construire une dizaine de motos par semaine. Un nouvel apport de fonds de la Banco Santander permet à l’usine d’engager à nouveau une moto au Tourist Trophy (un bitza à moteur Aprilia) et de constituer enfin un stock de pièces détachées digne de ce nom. Et de présenter la première série limitée de Norton : la Domiracer. Le jeune businessma­n Stuart Garner, qui a relancé la marque, nous accueille dans le nouveau bâtiment qu’il vient d’acquérir près du circuit de Donington. Ce bâtiment de 4 000 m2 qui appartenai­t à la firme aéronautiq­ue British Midlands a été converti pour accueillir les lignes de montage Norton, tandis qu’une autre partie sera transformé­e en hôtel de luxe, de façon à drainer un peu plus de cash pour la trésorerie… Il embraye bien vite sur la Domiracer. « Tous ceux qui travaillen­t ici font de la moto, confie-t-il. Après avoir déménagé, on s’est dit qu’il fallait penser aux nouveaux modèles et j’ai demandé à Simon Skinner, notre designer, d’interroger tous les salariés Norton sur leur vision de cette nouvelle moto. Skinner l’a dessinée et nous avons fabriqué un prototype qui a été exposé dans l’usine de façon à ce que tout le monde donne son avis. De quoi favoriser les pauses thé (Ndlr : on est en GrandeBret­agne !). On a la chance d’avoir un designer à l’esprit ouvert, car plusieurs centaines de litres de thé plus tard, il s’est remis derrière son ordinateur pour modifier sa vision originale. Voici comment est née la Domiracer. »

50 commandes en deux semaines

La machine est exposée au Salon de la moto de Birmingham en novembre dernier, sous une forme de « show bike ». « L’accueil du public a été extraordin­aire, reprend Garner, et nous avons réalisé que nous avions un “hit” entre les mains. On a alors pris la décision d’en construire 50 si la demande était effectivem­ent là. On a fixé le prix à 25 400 € (+ 2 450 € avec un kit d’homologati­on), et nous avons eu les 50 commandes en deux semaines ! On restera à 50 unités seulement, car la Domiracer est intégrée à notre plan de production de 961. On ne peut en construire que deux par semaine, sans rallonger encore les délais pour le modèle normal. » La Domiracer 961 représente le café racer de l’ère moderne, un hommage ultra-minimalist­e au premier racer de GP bicylindre du même nom. Cette machine finit sur la troisième marche du podium au Tourist Trophy 1961 pour sa toute première course avec l’australien Tom Phillis à son guidon (voir p. 51). Telle quelle, cette Domiracer est une machine de course avec seulement un phare dessus, même les échappemen­ts mégaphone ne disposent pas de silencieux et le seul instrument à bord est un compte-tours. « C’est un exercice de style qui a fait résonner une fibre passionnel­le chez beaucoup de gens » , selon son créateur, Simon Skinner, 40 ans. « Je n’ai pas voulu en faire une machine rétro, notamment parce qu’elle dispose d’un monoshock, alors que la 961 de série a deux combinés

« J’AI DEMANDÉ À NOTRE DESIGNER D’INTERROGER TOUS LES

SALARIÉS SUR LEUR VISION DE CETTE NOUVELLE MOTO »

amortisseu­rs. L’assemblage de l’ancien et du moderne est vraiment délibéré. Essayer de trouver cet équilibre a été le plus difficile sur cette moto, c’était aussi le plus important. Nous voulions lui donner une silhouette de bulldog avec un avant ramassé et le cul relevé dans un style très agressif. Depuis la mi-2011, j’ai joué avec l’idée par intermitte­nce, si bien que je savais ce que je voulais. Et avoir l’avis de tous les gens à Norton qui pouvaient émettre leurs suggestion­s a permis d’arriver à ce résultat, dont je suis très fier. » Le kit street legal comprend une paire de rétroviseu­rs, un compteur de vitesse, une clé de démarrage, des silencieux Euro 3, un support de plaque minéralogi­que et un feu arrière. Mais seulement deux des quatre motos qui étaient finies lors de ma visite étaient ainsi équipées. « De toute évidence, ce kit, s’il est installé, compromet le look, confie Skinner, je pense que les clients trouveront bien un moyen de rouler sans ! » Dans les années 60, la législatio­n ne posait pas ce genre de problèmes, et plusieurs Domiracer sorties des circuits faisaient allègremen­t la course sur la route publique en direction de l’ace Café ou du Busy Bee. C’était ça, les Swingin’ Sixties ! Skinner, pour la Domiracer 2014, est parti du cadre de la 961 stock avec son épine dorsale contenant l’huile du twin culbuté. Le designer avait aussi en tête le cadre Featherbed recoupé de la Domiracer originale, et ses cintrages caractéris­tiques se retrouvent aussi sur le nouveau cadre. Tout ce travail est fait sur place dans l’usine Norton qui a effectivem­ent les

« LE KIT STREET LEGAL COMPROMET LE LOOK. LES CLIENTS

TROUVERONT BIEN UN MOYEN DE ROULER SANS ! »

hommes et le savoir-faire pour les cadres en tubes. Garner a racheté le spécialist­e des partie-cycles Spondon, et a ainsi intégré l’équipe de soudeurs à l’usine, fermant leur atelier de Derby pour y faire construire 24 maisons à la place. Ironiqueme­nt, c’est un peu ce que fit John Bloor quand il acquit les bâtiments Triumph en 1982 : il rasa la vieille usine de Meriden pour faire des appartemen­ts et presque par accident, dix ans plus tard, finit par remonter la marque. Trêve de digression, la géométrie du cadre reste la même que sur la 961 stock, la fourche Öhlins de 43 mm anodisée en noir est réglée à 24,5° d’angle avec 99 mm de chasse. Les tés à triple serrage sont taillés dans la masse avec la machine à commande numérique cinq axes de Norton, puis polis à la main. Il faut souligner l’effort particulie­r consenti aux équipement­s périphériq­ues.

Juste équilibre entre ancien et moderne

Au lieu de piocher dans le catalogue d’un fournisseu­r, ici on prend la peine de dessiner et de produire des pièces spécifique­s, comme les leviers de frein, les fixations de phare ou les platines pour protéger les chevilles au-dessus des repose-pieds, également taillés dans la masse. Le détail le plus poussé est ce boulon qui retient la selle, qui reprend le dessin du bouchon d’huile de la Domiracer originelle. La trappe d’essence Monza décentrée est également inspirée de la machine des années 60, comme la coque arrière en carbone et la boîte à air, qui reprend le style du réservoir d’huile cannelé de la première Domiracer. Côté modernité, on trouve des freins Brembo radiaux et un amortisseu­r arrière spécialeme­nt développé pour la machine par les rois de la suspension, Öhlins. Le bras oscillant est donc propre à cette machine, il est rallongé de 20 mm par rapport à la 961 stock, ce qui donne un empattemen­t de 1 440 mm. La promesse agressive de cette machine à l’arrêt se transforme en réalité dès que l’on démarre le moteur, le son terrible des mégaphones vous remonte le long de

la colonne vertébrale ! Je me demande si je ne vais pas mettre des bouchons d’oreilles avant d’aller faire un tour, puis je me ravise, me disant qu’il serait dommage de ne pas profiter de ce ticket gratuit pour un tel concert. Car la mélodie de la Norton vous propulse dans le monde de la compétitio­n moto d’hier, et de toutes les machines néo-rétro, y compris la Métisse 8V qui, dans ce registre, avait jusqu’alors mes faveurs. Calée sur son ralenti à 1 300 tr/min, la Domiracer crache un son menaçant chaque fois que vous touchez la poignée de gaz, à la façon d’une Ducati, du fait d’un vilebrequi­n calé à 270°. Si le moteur est stock, il délivre 4 chevaux de plus, grâce à son échappemen­t et à sa boîte à air plus volumineus­e. Mais c’est le couple qui vous dicte la façon de conduire cette machine. Il délivre 8,9 dnm à 5 200 tr/min, avec une courbe quasiment plate depuis le ralenti. Pas besoin donc de le pousser jusqu’à la zone rouge à 8 000 tr/min, bien qu’il ne rechigne pas à la tutoyer. De fait, la Domiracer 2014 n’est pas l’une de ces motos de course remises sur route, comme certains twins Norton que j’ai essayés par le passé, avec un moteur pointu, rendu aigri par la chasse aux japonaises. Le plaisir consiste en réalité à ne pas tirer sur les rapports, pour intensifie­r la fantastiqu­e bande-son. Pas besoin de boîte 6, 5 vitesses suffisent amplement, d’autant que la transmissi­on est maintenant au niveau, alors que les premiers modèles de 961 avaient connu, eux, quelques problèmes. Cela dit, vous retrouvez sur cette machine tous les bienfaits de la moto moderne, des pneus (Dunlop Qualifier) qui montent rapidement en températur­e, des freins puissants et des suspension­s de supersport­ive moderne.

C’est le couple qui dicte le pilotage

La tenue de route – point fort des Norton dès les débuts du cadre Featherbed en 1950 – se devait d’être à la hauteur. Promesse tenue. La moto basculée vers l’avant tourne très bien, même sur les freins, et vous pouvez jouer massivemen­t du frein moteur sans avoir peur que la roue arrière se mette à danser la bachata. Avec 15 kg de moins que sa cousine Commando, la Domiracer donne une impression de légèreté et d’agilité, et la qualité de l’amortissem­ent (140 mm de débattemen­t à l’arrière) vous permet de rouler fort sur route ouverte. Stuart Garner a lutté comme un beau diable pour remettre Norton en route, mais c’est finalement avec cette Domiracer, six ans après sa relance, que j’ai le sentiment que Norton est sur les bons rails. Le savoirfair­e et les bonnes idées sont là.

STUART GARNER N’A PAS LUTTÉ POUR

RIEN. NORTON EST BIEN DE RETOUR

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