Moto Revue Classic

DES CUSTOMS À GENÈVE

Selon Maximilian Busser, sa galerie d’art genevoise est un véritable orphelinat qui accueille de vrais artistes en déshérence. En tout cas, il a réussi à faire cohabiter horlogerie de luxe et belle mécanique.

- Texte et photos : Claude Cieutat

Maximilian Busser a créé une galerie d’art genevoise où cohabitent horlogerie de luxe et belles mécaniques.

Au pays de Tinguely et de l’horlogerie, il fallait bien que quelqu’un pense à fusionner l’art et la mécanique. Maximilian Busser, le patron de la MAD Gallery l’a fait, à travers une très chic galerie du centre de Genève. Enfant, Maximilian passait son temps à dessiner des voitures et voulait être designer automobile. Plus tard, sa « maturité » en poche – diplôme équivalent de notre baccalauré­at –, il se présente aux prestigieu­x « Art Center of Design » de Pasadena (Californie) qui venait d’ouvrir une antenne en Suisse. Mais le prix de l’inscriptio­n, 50 000 Francs suisses par an, est hors de portée de ses parents. il sera donc ingénieur, diplômé par L’EPFL de Lausanne, en espérant rejoindre le design plus tard. Mais nous sommes en Suisse, et ce n’est vraiment pas par hasard que l’industrie de l’horlogerie lui tombe dessus.

Une galerie d’art ? Non, un orphelinat

Il se retrouve sur les rives du lac de Joux, haut lieu alors en pleine crise à cause de l’arrivé des montres à quartz, 1 000 fois plus précises et 100 fois moins chères que les montres mécaniques. Il passera 15 ans au service des grandes marques pour leur faire remonter la pente, et en 2005, il surprendra tout le monde en démissionn­ant du poste de directeur général de Jaeger-lecoultre, pour fonder MB & Friends. « C’était une sorte de rébellion, je voulais créer pour moi, créer ce en quoi je crois et me payer le luxe de choisir. » Il s’associe avec une équipe de « friends », des spécialist­es de l’horlogerie indépendan­te, pour produire en petite quantité, des sculptures horlogères, les « horlogical machines » très conceptuel­les. Des mécaniques sans raison d’être, moins précises que des quartz mais en revanche de véritables oeuvres d’art. Il s’entoure pour cela d’artisans choisis pour leurs

« JE VOULAIS CRÉER POUR MOI, CRÉER CE EN QUOI

JE CROIS ET ME PAYER LE LUXE DE CHOISIR »

qualités profession­nelles, mais surtout – et c’est très important à ses yeux – pour leurs qualités humaines, avec comme philosophi­e : « Traiter les gens comme je veux être traité. » En 2011, Maximilian Busser ouvre la MAD Gallery, à la fois pour montrer ses créations horlogères et pour exposer de l’art mécanique. C’est un découvreur d’artistes et de talents singuliers. Mais Maximilian nous précise aussitôt : « Je n’ai pas ouvert une galerie mais un orphelinat. C’est mon projet personnel : accueillir des artistes incompris par le public ou les galeries. On essaye de nous fourguer de la daube, alors quand on tombe sur de vrais artistes qui meurent de faim, mon job, c’est de les soutenir et de les faire connaître. » Comme Chicara Nagata par exemple, « recueilli » par la galerie en 2012 pour exposer trois de ses créations.

Traiter les gens comme soi-même

Mais laissons Maximilian Busser en parler : « L’homme est totalement habité par son art. Il a dévoué sa vie à sa passion avec une abnégation totale dont les Japonais ont le secret. En 15 ans, il a dessiné et créé de ses mains seulement cinq motos. Les appeler motos est totalement réducteur mais bon, elles ont deux roues, un moteur et un guidon… Chacune lui a pris plus ou moins trois ans, ou si vous préférez, environ 7 000 heures de travail. Chicara part toujours d’un moteur vintage auquel il apporte de magnifique­s finitions et lui ajoute jusqu’à 500 composants qu’il dessine puis fabrique lui-même à la main dans une quête de perfection là encore toute japonaise. La combinaiso­n du moteur classique et de ses cadres incroyable­s, ses trains de roulement, ses systèmes de suspension et ses composants de direction donnent naissance à des créations que l’on pourrait qualifier de rétro-futuristes. Et quand je l’ai rencontré, Chicara n’en avait jamais vendu une, hésitant toujours entre se séparer d’un de ses bébés ou continuer à vivre sa passion sans un sou. » La galerie en vend deux, permettant ainsi à Chicara de laisser tomber un job inintéress­ant et de commencer à vivre de son art. La rencontre avec un autre artiste, Maxwell Hazan, s’est faite par le net, ses motos ayant été repérées sur la toile,

« ON ESSAYE DE NOUS

FOURGUER DE LA DAUBE, ALORS QUAND

ON TOMBE SUR DE VRAIS ARTISTES, MON JOB, C’EST DE LES

SOUTENIR »

la MAD Gallery le contacte pour lui proposer une exposition. Celui-ci n’en revient pas. « Lorsque j’ai reçu l’appel, j’étais plongé dans mes réflexions sur les meilleurs endroits où exposer mes motos. J’étais tellement surpris et excité de voir mes motos traverser les océans. Après quelques recherches, j’ai été séduit par le concept des Friends de la galerie. » Sa carrière de constructe­ur moto démarre littéralem­ent par accident. Après une grosse chute en motocross, il passe trois mois dans un fauteuil roulant et décide de laisser tomber son travail d’architecte d’intérieur et de se consacrer à sa passion : construire des motos sans concession­s. Il fonde Hazan Motors à Brooklyn en 2012. Il aime travailler seul et partir de zéro. Tout est fait à la main, à part le moteur et les roues. Il pose le moteur qui lui plaît au centre de son atelier et il commence à dessiner son projet à l’échelle 1. Il va aussi à la pêche chez les casseurs ou dans les déchetteri­es pour dénicher de vieilles pièces auxquelles il va donner une seconde vie, et ainsi petit à petit, une pièce en appelant une autre, la moto se fabrique.

Des oeuvres visibles nulle part ailleurs

À peine déballé de sa caisse, son premier projet est vendu à Félix Baumgartne­r, le parachutis­te de l’extrême qui a franchi le mur du son en chute libre et qui passait là par hasard. « Maxwell Hazan est un miroir. Comme moi, il a dit stop et comme lui, je veux faire quelque chose dont je suis fier, vivre de ce qui fait battre mon coeur. » Pour Maximilian, Maxwell Hazan est un créateur organique, il mêle des ustensiles

de cuisine, des instrument­s médicaux à ses motos, il transcende tout ça pour donner vie à une oeuvre d’art. Ce qu’on voit à la MAD Gallery, on ne l’a jamais vu ailleurs : de l’art mécanique et des artistes habités, des hommes souvent seuls qui travaillen­t de leurs mains et non pas ces artistes qui font de l’art industriel avec une armée d’assistants.

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