Moto Revue Classic

40 ANS DE SUZUKI RG 500

La Suzuki qui a révolution­né les Grands Prix a quarante ans cette année. Alan Cathcart révèle la petite histoire qui a fait la grande : la genèse de ce fabuleux 4-cylindres 2-temps en carré.

- Texte : Alan Cathcart – Photos : Kyoichi Nakamura

La Suzuki qui a révolution­né les GP a 40 ans cette année. Alan Cathcart nous en retrace l’histoire.

En 1974, le prototype de la moto qui allait devenir la RG 500 fit ses premiers pas en compétitio­n. Une arrivée dans le championna­t du monde qui change complèteme­nt la donne, puisque Suzuki casse les codes d’alors en proposant son savoirfair­e à tous les privés qui en font la demande – et pas seulement à sa seule écurie d’usine. Avant l’avènement du 4 en carré nippon, la grille en 500 est particuliè­rement hétéroclit­e. Le gros de la troupe se compose d’antiques monos anglais qui ne veulent pas mourir, et de 2-temps japonais – Suzuki TR 500, Kawasaki H1R et Yamaha 350 – réalésés en tête. Quasiment des figurants comparés aux motos d’usine exotiques des pilotes stars de l’époque, montés sur les MV quatre-cylindres 4-temps ou la Yamaha YZR 500. Les reines et leur cour vont donc subir une véritable révolution quand la première RG 500 Mark I est livrée pour la saison 1976 : pas moins de 25 machines sont alors lâchées sur la piste ! Comme la Norton Manx pour les quatre-temps avant elle, la RG 500 va truster les Grands Prix de l’ère 2-temps. De 1976 à 1986, ce modèle fut, de fait, le plus représenté sur les grilles de départ. En 1976, pour satisfaire la forte demande dont elle fait l’objet, Suzuki doit doubler la production prévue (58 motos exactement). Pas moins de 12 pilotes RG rentrent dans les points au classement du championna­t

EN 1976, POUR SATISFAIRE LA DEMANDE, SUZUKI DOIT DOUBLER LA PRODUCTION PRÉVUE

du monde. Jusqu’en 1990 – dernière année où elle apparaît en course –, elle reste l’option la plus intéressan­te pour un pilote privé, en même temps qu’elle brille dans les écuries d’usine. Elle permet à Suzuki de remporter 7 titres de rang de champion du monde constructe­ur, de 1976 à 1982. Quatre titres pilote viennent s’y ajouter avec Barry Sheene en 76 et 77, Marco Lucchinell­i en 81, et Franco Uncini en 1982. C’est bien sûr Barry Sheene qui frappe les esprits en remportant, à son guidon, cinq des six Grands Prix auquel il participe en 1976 – à cette époque, seuls les 6 meilleurs résultats de la saison comptent pour le classement au championna­t. Une domination époustoufl­ante de rapidité. Mais comment la firme d’hamamatsu a-t-elle réussi ce coup de maître ?

La RG 500 truste les GP de l’ère 2-temps

La décade précédente, Suzuki s’était déjà fait un nom dans les petites cylindrées avec nombre de titres en 50 et 125 cm3. Ce n’est qu’en 1974 que la marque fait ses débuts dans la catégorie reine avec le prototype XR 14, un quatre-cylindres en carré à distributi­on rotative, à partir duquel sera développé le moteur de la RG 500. Cette architectu­re n’est pas nouvelle pour Suzuki, qui l’avait expériment­ée dix ans auparavant sur la 250 RZ 63, machine de Grands Prix aussi rapide que fragile. Sa propension à serrer lui valut d’ailleurs le sobriquet de « whispering death » (la mort qui chuchote). Pour la XR 14, l’ingénieur Makoto Hase – en charge du projet – doit faire face aux mêmes problèmes de fiabilité tout au long de la saison, bien qu’elle ait prouvé sa rapidité dès le début des hostilités. Sheene termine à 5 secondes de Phil Read, champion en fin d’année, lors du GP de France à Charade. Cette saison n’est pas la plus heureuse, à cause du moteur d’une part, mais aussi du fait de sa tenue de route perfectibl­e.

Peu importe, Suzuki poursuit son développem­ent. L’année 1975 apparaît enfin sous de meilleurs auspices. Quatre machines sont construite­s pour le championna­t : deux pour le team usine, Sheene et Tepi Lansivuori – débauché de Yamaha –, et deux autres pour les importateu­rs européens ! Ainsi, pour Heron Suzuki en Grande-bretagne, Stan Woods et John Newbold héritent d’une machine usine, comme Roberto Gallina et Armando Toracca pour Suzuki Italia. Pas bête pour motiver la « force de vente »… C’est cette année-là que le team Heron embauche le mécanicien Martin Ogbourne : il deviendra le chef mécanicien du team Suzuki pendant 15 ans. Ce dernier se souvient des soucis rencontrés avec la XR 14 : « Il y avait deux problèmes majeurs. Le premier, c’était que le moteur était bien plus en avance sur son temps que la partie-cycle. On avait beaucoup de puissance à transmettr­e au sol, trop pour le cadre, les pneus et les suspension­s de l’époque. Et puis les Japonais réglaient le moteur bien trop riche, par peur sans doute d’un serrage. De fait, le moteur s’encrassait, sauf quand les gaz étaient à fond ! Je me souviens à Hockenheim d’un Stan Woods impossible à suivre dans la ligne droite puis complèteme­nt amorphe dans les virages où les bougies se couvraient d’huile. On a passé les quatre premières courses comme ça et, après la pause du Tourist Trophy, on a commencé à trouver le bon réglage. C’est à partir de ce moment-là que la moto a commencé à gagner – quand un autre problème ne refaisait pas surface ! »

Quand Read et Ago passent au 2e plan

En mars 75 en effet, Barry Sheene subit un terrible accident à Daytona sur la Suzuki 750, quand son pneu explose à 270 km/h. Une volonté de fer lui permet toutefois de reprendre le guidon moins de huit semaines plus tard, avec une jambe, un poignet, une clavicule, six côtes brisées, et deux vertèbres fracturées… Qualifié en 6e position du Grand Prix d’autriche, il est finalement privé de départ par les officiels. Qu’à cela ne tienne, une semaine plus tard, il est à Hockenheim, pour prendre un nouveau départ dans sa carrière. Sur sa lancée, il obtient le titre de champion du monde avec Suzuki. Son coéquipier Lansivuori avait, lui, marqué les esprits en début de saison au GP de France 1975 au PaulRicard en se qualifiant en pole position devant Agostini. Mais de nombreux problèmes moteur émaillent la saison : Lansivuori casse la boîte de vitesses au Ricard, Gallina et Woods galèrent à Monza avec des ratés d’allumage, les problèmes de bougies persistent. Sheene n’est pas mieux loti en Italie où une fourchette cassée bloque sa sélection. Mais cinq semaines de repos avant le Grand Prix d’assen permettent à l’équipe de trouver les bons réglages. D’entrée de jeu, Barry fait fort en explosant le record de la piste aux essais détenu par Agostini et en lui ravissant la pole position. Puis les deux pilotes jouent au chat et à la souris pendant toute la course avant que l’anglais ne lui fasse l’extérieur dans le dernier virage. « Du point de vue des spectateur­s, ça devait paraître haletant et pas gagné du tout, explique Sheene. Mais moi, je savais que la Suzuki était meilleure que sa Yamaha, j’avais la situation sous contrôle. Par deux fois, j’ai intentionn­ellement doublé Ago dans l’intérieur du dernier virage pour lui laisser penser que je ferai ce dépassemen­t au dernier tour. Mais au lieu de ça, j’ai élargi la trajectoir­e. Il regardait à l’intérieur du virage quand je l’ai grillé et que je suis passé à sa hauteur... de l’autre côté ! Je n’avais plus qu’à accélérer jusqu’au drapeau à damier, ce fut une course fantastiqu­e. » Martin Ogbourne y va de son commentair­e : « C’est ce jour-là que Barry est devenu un vrai pilote de Grands Prix. Il aurait pu gagner avec une avance confortabl­e, mais il voulait

« AGO REGARDAIT À L’INTÉRIEUR DU VIRAGE QUAND JE SUIS PASSÉ À SA HAUTEUR... DE L’AUTRE CÔTÉ ! »

montrer au monde, mais aussi aux usines et aux autres pilotes, qu’il était plus malin qu’ago et qu’il avait pris le pas sur lui. La pression devait être énorme sur ses épaules pour laisser cette victoire se décider dans le dernier virage du dernier tour de la course. Mais il fit la manoeuvre parfaite et il avait réussi son coup : après ça, c’était lui qu’il fallait battre, Read ou Ago étaient passés au second plan dans l’esprit des pilotes de GP. » Une semaine plus tard, cette domination se confirme au GP de Spa, où Sheene est encore une fois en pole avec un nouveau record de la piste. Cinq secondes devant Read, suivi de Bonera et d’agostini, 4e. Read, piqué au vif, signe un départ canon mais bien vite, se trouve avec le jeune Barry aux basques. Tout le monde pense alors voir le scénario d’assen se répéter. Mais la Suzuki a un talon d’achille, comme le confirme Martin Ogbourne : « À cette époque, la transmissi­on primaire, c’était encore du bricolage et à deux tours de la fin, Barry sentit la moto vibrer énormément – c’était les boulons qui se desserraie­nt. Il rejoignit le stand juste avant que la transmissi­on ne se bloque complèteme­nt. Une décision très sage. » Sheene avait abandonné, Lansivuori avait serré, mais John Newbold avait fini second pour sa première course à Spa.

La transmissi­on : son talon d’achille

Un chiffre toutefois restera dans les annales de 75 : 218,5 km/h, soit le temps du meilleur tour réalisé par Sheene à Spa. Record qu’il améliorera en 77 avec un tour chronométr­é à 220,721 km/h. Il réalisera surtout cette même année la vitesse moyenne la plus rapide de tous les temps sur un Grand Prix : 217,370 km/h. Suzuki fut exemplaire pour résoudre le problème de transmissi­on car deux semaines plus tard au GP de Suède, Sheene récupère une transmissi­on primaire en une pièce taillée dans la masse et envoyée par avion du Japon. L’anglais réalise le week-end parfait avec la pole et la victoire en course, alors que Lansivuori chute. Le Finlandais se rattrapera sur son Grand Prix domestique la semaine suivante en finissant sur la deuxième marche du podium, tandis que Sheene fut contraint à l’abandon à cause d’un mauvais réglage de carburatio­n, peut-être dû à l’atmosphère humide de la forêt qui entourait le circuit. La finale se réglera à Brno en Tchécoslov­aquie, où Tepi prit cette fois la pole. Particular­ité cette année-là, les organisate­urs décident d’allonger la course à 185 km sur circuit routier. La Suzuki est coiffée pour l’occasion d’un énorme réservoir d’essence de 41 litres dont le poids remet en cause la base de réglages patiemment affinés tout au long de la saison. Pire, le jour de la course, suite à quelques gouttes de pluie, le jury interdit les pneus slicks à 8 heures du matin. Mais le soleil, revenu à 9 h, s’invite finalement sur toute la course ! Un avantage pour Phil Read – dont la MV 4-temps est moins gourmande en essence –, qui se bat avec Sheene pendant les premiers tours avant que la Suzuki n’abandonne, le moteur gargouilla­nt atrocement. Lansivuori reprend le flambeau pour abandonner

dans le dernier tour avec un embrayage cassé. L’année se finit en quenouille pour le team Suzuki, classé 3e constructe­ur, Lansivuori 4e pilote et Sheene 6e. Néanmoins, ce fut une saison décisive pour la marque, qui avait préparé l’avènement de la RG 500 Mark I quelques mois plus tard, une machine très proche de la XR 14 utilisée en 1975. Suzuki a également marqué les esprits en prenant la décision de ne plus avoir d’équipe en son nom, les machines officielle­s étant confiées au team anglais Heron Suzuki. Barry Sheene domine le championna­t 1976 avec la RG 500 A – pour la forme en A de la boucle de cadre sous la selle, avec de nouvelles cotes moteur de 54 x 54 mm. Par rapport à la XR 14 de 1975, elle dispose également de 7 transferts au lieu de 5. Les XR de l’année précédente avaient été confiées aux seconds couteaux du team, Williams et Newbold qui réussirent l’exploit de gagner chacun un Grand Prix, à Spa et à Brno respective­ment. Fort de son titre constructe­ur et pilote en 500, Suzuki, enthousias­mé, lance plusieurs projets à partir de la RG mais aucun d’eux ne posa ses roues sur circuit. La RG 350 fut dessinée mais pas construite. La RG 750 vit le jour sous la forme d’un prototype qui tourna sur le banc. Pourtant, elle avait largement de quoi rivaliser avec la Yamaha TZ 750 mais Suzuki ne trouva pas un manufactur­ier de pneumatiqu­es qui puisse, à l’époque, lui fournir une gomme permettant de transmettr­e une puissance de 150 chevaux au sol. Au lieu de ça, la XR 23, avec ses 652 cm3 et ses 135 chevaux, fut le bon compromis pour participer aux courses de 200 Miles, comme à Imola et au Paul-ricard. C’est à son guidon que Sheene remporta le titre de champion de Grande-bretagne Superbike en 1977. Une sacrée carrière, pour un quatre en carré mythique, commencée en 1975… lors de cette fameuse victoire de Sheene à Assen.

EN 1975 À SPA, SHEENE BOUCLE UN TOUR À 218,5 KM/H DE MOYENNE AU GUIDON DE LA SUZUKI

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