Moto Revue Classic

TÊTE DE MULE

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L’adresse donnée par Richard Pollock indique un quartier résidentie­l à Poway, en Californie. La soixantain­e bien passée, le créateur de Mule Motorcycle­s habite ici un pavillon anonyme avec sa femme et son chien. Est-ce bien là que sont fabriquées, depuis 1994, les streettrac­kers parmi les plus célèbres des USA, voire du monde ? Le doute semble légitime, mais lorsque s’ouvre la porte du garage, tout change. Telle Alice, le visiteur tombe dans un autre univers.

La 4e dimension du tracker

Le garage est de taille modeste, un simple « deux voitures » comme on dit ici. Mais chaque centimètre carré est organisé avec un tel génie que la somme de matériel entreposé est fantastiqu­e. L’ensemble est propre et ultra-fonctionne­l. L’homme n’est pourtant ni ingénieur, ni chirurgien. « Si j’ai commencé par être mordu de surf, au point de participer aux championna­ts du monde, j’ai attrapé le virus de la moto dans les années 70 quand le motocross s’est développé » , se souvientil. Au point de déménager de Floride pour la Californie, Mecque du cross US. Un premier emploi de mécanicien chez Kearny Mesa Yamaha lui enseigne les bases du métier. Mais trop doué pour rester dans un simple magasin, il est embauché chez Lockheed Martin, le célèbre fabricant d’avions et de drones : « J’ai appris à travailler avec une extrême précision dans l’aéronautiq­ue » , explique-t-il en formant une pièce d’alu au marteau sans laisser la moindre marque, « et je me sens confiant lorsque je dois intervenir sur une mécanique de moto. Contrairem­ent à la plupart des gens qui sont paralysés devant un moteur de Honda 450 CRF » , ajoute-t-il en riant. Fin pilote, il a aussi remporté une dizaine de titres de flat-track en Californie du Sud. Influencé par son activité aéronautiq­ue, Richard pense en termes de « fonctionna­lité, pas seulement d’aspect » . Mule Motorcycle­s métamorpho­se les motos qui lui sont confiées. Les dirt-bikes transformé­es en routières et les cruisers devenus scramblers ont en commun finition hallucinan­te et performanc­es de pointe. Sans rien perdre en fiabilité : « Une de mes Triumph Thruxton, allégée à 170 kilos et gonflée à 100 chevaux, a fait un voyage d’une traite jusqu’à Moscou ! » Reste que la course au poids et à la puissance doit savoir rester dans des limites raisonnabl­es : « Une Yamaha 1000 R1 que j’ai allégée est trop puissante désormais. J’ai donc remplacé l’injection par des carburateu­rs, pour adapter le moteur à ce nouveau cadre. » Moins radical, Richard travaille sur un projet autour d’un monocylind­re Buell Blast.

De l’ébauche à l’épure

Mais avant de modifier une moto, le projet prend forme sur des bouts de papier. Au fil des ébauches, on voit la moto se simplifier : « Un projet n’est pas terminé lorsqu’il n’y a plus de pièces à ajouter, mais plutôt lorsqu’il n’y en a plus à enlever ! » , résume Richard. Joignant

le geste à la parole, l’artisan montre avec le sourire un embrayage huit fois plus léger que celui monté d’origine, ou un moyeu quatre fois moins lourd ! Il ne suffit pas de dépenser sans compter pour des matériaux rares : « Le titane est 60 % plus lourd que l’alu, et il faut bien six cents dollars pour gagner un kilo ! », confirme Richard. « Il revient moins cher de mettre des disques plus fins, de redessiner des pièces utilisant moins de matière… » La Suzuki 250 RH de 1972 qu’il montre en photo sur l’un des calendrier­s Mule accrochés au mur ne pèse ainsi que 80 kilos, soit presque 30 % de moins qu’une moto de cross officielle de 2016 ! Pour gagner 18 kilos sur une simple roue arrière de Harley ou deux kilos sur la roue avant d’une Ducati, inutile de chercher dans le catalogue d’accessoire­s des marques. Il faut inventer des solutions, fabriquer de nouveaux moyeux, recouper les attaches de disques. Les tés redessinés sont plus esthétique­s et plus légers, les béquilles latérales sont fixées directemen­t sur les carters... Il faut aussi inventer et fabriquer de nouveaux outils.

Finition et prix haut de gamme

Toutes ces étapes prennent du temps et Richard n’hésite pas à faire de petites séries : « Ces radiateurs que j’ai créés pour Triumph sont plus petits, légers et performant­s. J’en ai prévu 10 pour anticiper de futures commandes. » Le coût des matériaux et de la maind’oeuvre ayant flambé, il est toutefois illusoire de vouloir faire des séries à prix compétitif : « Un réservoir alu qui me revenait à 350 dollars il y a vingt ans m’en coûte aujourd’hui 1 200. Je suis donc obligé de rester dans une niche haut de gamme » , s’excuse presque l’artiste. Avec un délai moyen de huit mois pour créer une moto et un budget qui tourne autour de trente mille dollars, les créations Mule Motorcycle­s ne s’adressent pas au grand public. Mais avec 250 machines vendues depuis 1994 et la première parution dans la presse US, à une époque où Internet n’existait pas, le succès ne s’est pas démenti. Au point que Mule se mette à vendre à l’internatio­nal avec un distribute­ur en France. C’est par son intermédia­ire que Stéphane Peterhanse­l a donc pu commander sa Yamaha XS 650. Preuve qu’il reste de la place, à cette époque de mondialisa­tion, pour un art de la mécanique loin des chaînes d’assemblage robotisées !

« L’UNE DE MES TRIUMPH THRUXTON A ÉTÉ ALLÉGÉE À 170 KILOS ET GONFLÉE À 100 CHEVAUX »

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