Moto Revue Classic

LES TEUTONNES A TETINES

A priori, les BMW, plutôt lourdes et pataudes, n’étaient pas conçues pour s’échapper du bitume. Et pourtant, des ISDT d’avant-guerre au sable du Paris-dakar des années 80, le flat-twin à « cardan » a marqué les pistes de son empreinte.

- Texte et photos : Bourdache

L’engagement de Munich en tout-terrain remonte à 1926, aux Six Jours Internatio­naux de Trial (ISDT). Médaille d’argent pour Roth (500 BMW) et médaille d’or pour Schleicher, chef du bureau d’études de BMW (500 BMW). En 1929, une 250 et une BMW side-car 500 sont médailles d’argent. Et qu’importe si elles étaient de l’équipe… britanniqu­e du Vase (les équipes disputent le Vase avec des motos de marques diverses. Pour le Trophée, soit la plus haute récompense, pilotes et motos doivent être du même pays). En 1933 et 1934, l’allemagne remporte le Trophée. Nouvelle victoire, le Vase en prime, en 1935. Tous les efforts germains sont concentrés pour abattre la suprématie anglaise car on est passé du sport à la politique depuis qu’hitler est au pouvoir. Le Reich multiplie les équipes militaires, SA, SS et N.S.K.K. (National Sozialisti­sche Kraftfahr Korps), organisme destiné à donner le goût de l’effort sportif et… guerrier à la jeunesse. Organisatr­ice en 1937, l’angleterre recevra 213 concurrent­s dont 79 Allemands cornaqués par 60 accompagna­teurs !

Le phénomène moto « verte »

BMW ne lésine pas sur la qualité des pilotes et des machines. Ernst Henne, l’homme le plus rapide du monde sur deux roues, et Georg Meïer, futur virtuose de la 500 Kompressor, sont « priés » de participer. À cette époque, la victoire se joue souvent dans l’épreuve de vitesse. Alors, autant avoir des pilotes rapides sur des motos rapides, par exemple des BMW à compresseu­r… Au lendemain de la guerre, le règlement et les conditions de course se durcissent, ce qui favorise les deux-temps de moyenne cylindrée. Lorsque les Anglais en prendront conscience, il sera trop tard. Le Trophée n’ira plus jamais en Grande-bretagne après 1953. Jusqu’en 1978, il va des Tchèques aux Allemands de l’est (en 1960, à l’autriche). L’allemagne Fédérale le gagne cinq fois, sans BMW. La R68 de 1952 a une timide allure Gelände avec son échappemen­t 2 en 1 relevé. Mais l’usine en fait une vraie moto de tout-terrain (voir page 44). Les Série 2 (1955) avec la lourde fourche Earles

n’enchantent pas les amateurs de sous-bois. Au début des années 60, on voit en tout-terrain des Serie 2 équipées d’une télescopiq­ue qui, en 1967, sera livrée de série aux États-unis. En 1969 arrive la Série 5. Partout en Europe, la moto émerge des années grises. Bientôt naît le phénomène moto « verte » qui va se décliner en cross, trial, puis trail-bike, race bâtarde dont la grandmère est la Yamaha 500 XT. Près de Munich, Herbert Schek, qui a ses entrées chez BMW, vend des voitures (Renault), des BMW et des Maico. Il prépare des flats pour le Geländemei­sterschaft (championna­t) dans la catégorie « + de 500 cm3 ». En 1978, sa carte de visite s’orne de 10 titres de champion d’allemagne tout-terrain et de 22 participat­ions aux ISDT ! Bien sûr, pas plus l’homme (1 mètre 94 et un petit quintal) que sa Béhème ne passent inaperçus. Surtout quand il est dessus à l’arrêt, les pieds bien à plat sur le sol… Bien vite, il inflige à la 75/5 une violente cure d’amaigrisse­ment l’amenant à un incroyable 130 kg ! À la poubelle (façon de parler !), tout le superflu : alternateu­r, démarreur, phare, clignotant­s, etc. Puis Schek grappille gramme par gramme. Le double came avant de 200 mm perd une came et la moitié de son diamètre.

Munich investit dans l’enduro

L’échappemen­t relevé 2 en 1 s’étouffe dans un unique silencieux, 900 grammes sont gagnés sur la boîte, 500 sur la fourche. Raboté le kick (60 grammes) ! Rabotées les ailettes sous les cylindres ! Avec quelques modificati­ons, mais cadre d’origine et suspension­s guère adaptées, Schek est deuxième de sa classe sur cette moto aux ISDT 1973 courus aux États-unis. Le flat est fiable, puissant, son couple fait merveille. Reste… son poids car, au prix d’un accroissem­ent de cylindrée symbolique, les deuxtemps Maico 501 cm3 ou KTM puis Jawa et MZ viennent agacer Schek dans sa catégorie. Pour « redonner de l’intérêt » à l’affronteme­nt, un dirigeant de BMW obtient de la Fédé allemande la création d’une classe « + de 750 ». Schek va y retrouver quelques réfractair­es aux charmes du flat à cardan. Par exemple, Tweesmann (Yamaha 650 XS portée à 800), Witthöft, ex-numéro 1 de Zündapp (sur 125…), multimédai­llé aux ISDT et reconverti au twin Kawasaki réalésé en 500. Il y a même une Ducati bicylindre en V ! En 1977, Schek court sur une moto hérétique, l’hercules-wankel, ou se repose parfois au guidon d’une Maico 501 dans le championna­t européen où il côtoie Laszlo Peres, ingénieur BMW et enduriste sur Maico et BMW. Munich investit de

SCHEK IMPOSE À SA BMW 75/5 UNE VIOLENTE CURE D’AMAIGRISSE­MENT. À LA POUBELLE TOUT LE SUPERFLU !

plus en plus dans un programme enduro. À l’époque, on a parlé de 600 000 marks (1 mark = 2, 50 F en 1980). Ce programme va se développer selon trois axes. Schek continue d’alléger avec magnésium, titane, plastique. Il adapte une fourche Maico de cross et incline ses amortisseu­rs arrière pour gagner en débattemen­t. D’un autre côté, Motosport Gmbh, filiale de BMW, demande à Laverda de réaliser une moto d’enduro autour du flat. Lazlo Peres, qui phosphore lui aussi sur une partie-cycle, complète le trio. Monoshock, Full Floater, Prolink, ces termes recouvrent une réalité réinventée par les Japonais : l’amortisseu­r arrière unique. La version Laverda comme la Peres suivront ce qui est bien plus qu’une mode. Sur la Laverda, une triangulat­ion soudée sur le bras oscillant met l’amortisseu­r dans l’axe du cadre. Chez Peres, le Bilstein à gaz est ancré sur le bras oscillant à droite (gain de poids non-suspendu) et il travaille en biais. Les deux motos ont l’échappemen­t 2 en 1 sous le réservoir. Chez Laverda, il se termine par un silencieux le long du garde-boue. Peres, lui, loge un boîtier silencieux à la place du démarreur. Avec selle double, alternateu­r, phare légal, clignotant­s (!), plaque d’immatricul­ation, la Laverda était prête à prendre la route et on avait même envisagé une petite série.

1978 : le champ est libre pour Sabine

À l’opposé, la Peres est une machine de guerre de 50/55 ch. Ses 142 kilos en rendent une dizaine à l’italienne. L’allumage est un Kröber électroniq­ue, carter moteur et embiellage viennent de la R45 (on a essayé au banc des cylindres à 170 ° sur l’horizontal au lieu du 190 ° habituel : pas concluant). Cadre en tubes au chrome-molybdène, fourche Maico, frein conique Sachs. Sur les cylindres, une ailette sur deux est meulée, idem sur les collerette­s d’échappemen­t ! Vulnérable­s, les cache-culbuteurs sont sciés par leur milieu et tenus en place par un étrier, on n’emporte donc en rechange qu’un demi-cache. En mars 1979, un attaché de presse BMW déclare à Das Motorrad « Les machines seront basées sur les

prototypes construits par Laszlo Peres. » Ainsi s’officialis­e le retour de BMW en tout-terrain. L’équipe 1979 comprendra Schek, Witthöft (ex-kawa), Witzel et Schalber, qui sera champion d’allemagne à la fin de la saison, devant Witthöft. En championna­t d’europe, l’armada munichoise n’a rien pu faire contre Hass et sa Maico… 751 cm3 (!). BMW est encore champion d’allemagne 1980 grâce à Werner Schütz. Mais l’intérêt se déplace vers une compétitio­n qui rappelle les prestigieu­x ville-à-ville des années 1900. En 1976 et 77 ont eu lieu d’épiques Côte d’ivoire-côte d’azur. Rien en 1978 : le champ est libre pour Thierry Sabine, déjà organisate­ur du Touquet. Le Paris- Dakar va naître ! Jean-claude Morellet (alias Fenouil) a participé aux deux Côte-côte et il sait qu’il faut avoir une moto puissante pour vaincre. Mais l’époque n’est pas au gros trailbike, sauf chez Schek ! Au départ du Dakar 79, parmi les monos Yamaha et Honda, la BMW de Fenouil se remarque, et pas seulement par sa couleur rouge. Selon la recette Schek, cette 800 est descendue à 150 kg mais reste tout de même une moto « de culturiste ». En course, ses 55 ch vont en surprendre plus d’un. Étape après étape, Fenouil atteint la 3e place lorsqu’une bielle lâche à deux jours de l’arrivée. Or, lors d’une étape précédente, le moteur de secours a été viré du Toyota d’assistance pour l’alléger… C’est l’abandon et pourtant, en mécano pragmatiqu­e, Gary Carrera avait coupé la bielle malade au chalumeau afin d’atteindre Dakar sur un cylindre.

L’ère des bicylindre­s de grosse cylindrée

Télévision et surtout radio (Max Meynier) ont suivi ce Dakar, suscitant l’intérêt du public. Réaction aussi chez les constructe­urs par le biais de leurs importateu­rs. Yamaha France a montré la voie, récompensé par les deux premières places. Fin 1979, paraît une publicité BMW illustrée d’une photo de Fenouil sur la Schek et titrée : « Au Rallye Paris-dakar, le retour de l’outsider. » En regard, la liste des 97 concession­naires BMW qui, autre gros titre, « engagent deux GS 80 » confiées à Fenouil et Auriol. Préparées en Allemagne, ces motos utilisent quelques pièces de série (cadre) mais surtout, les solutions déjà vues en enduro, dont la suspension arrière à amortisseu­r unique ancré sur le bras oscillant. Ce coup d’essai ne sera pas brillant. La mécanique n’est pas en cause, Fenouil termine à une honorable 5e place. Auriol, lui, a été mis hors course alors qu’il était en tête, suite à des péripéties qui appartienn­ent aujourd’hui à la légende du Dakar. « Mauvaise interpréta­tion du règlement » , dira plus tard un porte-parole de BMW qui n’avait pas sa langue (de bois) dans sa poche. En fait, la boîte de la Béhème s’est bloquée et, plutôt que d’attendre son assistance, Auriol a pris un taxi-brousse avec sa moto malade et s’est fait piéger par un contrôle secret ! Cependant, la démonstrat­ion garde sa valeur, le gros

flat-twin peut battre les monos japonais qui trustent les quatre premières places en 1980. Après avoir essayé la moto (réparée) d’auriol à Dakar, Gilles Mallet (rédac’ chef de Moto Verte) écrivait : « [Elle ouvre] l’ère des bicylindre­s de grosse cylindrée, peut-être. En attendant, mono pas mort. » Jugement prémonitoi­re puisque BMW resigne en 1981, tandis que le mono faiblit. La victoire d’auriol dont tous les coéquipier­s sont à l’arrivée – Fenouil (4e), Neimer (7e) et Loizeaux (15e) – est une confirmati­on. Toutefois, le cru 82 est à oublier chez BMW. Les trois mêmes pilotes, moins Neimer, abandonnen­t : une épidémie frappe les boîtes de vitesses qui cassent à répétition (3 changement­s sur la moto d’auriol). La boîte n’était pas tant fautive que la transmissi­on finale torturée par un débattemen­t excessif de la suspension. Un problème déjà rencontré sur les flats d’enduro. Douchée, l’usine veut laisser tomber en 1983. Mais BMW France s’obstine et obtient des moteurs « Schek » avec charge à Arcueil-motor de construire quatre motos pour Auriol, Fenouil, Loizeaux et Schek.

Gaston Rahier, sidérant d’aisance

Fructueuse collaborat­ion qui donne une deuxième victoire à Auriol, et sans l’accident de Schek (clavicule), toute l’équipe était à l’arrivée, Fenouil étant 9e et Loizeaux 14e. Un autre pilote a fait parler de lui dans les premiers bivouacs africains, c’est Gaston Rahier. Ce multichamp­ion de cross est venu tâter d’un autre sport au guidon d’une BMW privée. Sidérant d’aisance, il remporte deux spéciales avant d’ouvrir son carter sur un rocher. Message bien reçu aussi en Bavière qui engage Rahier dans l’équipe 1984, avec Auriol, le fidèle Loizeaux toujours en « assistance rapprochée » et Schek. Au terme de 12 000 km de course, le vainqueur n’a que 13 minutes d’avance, mais c’est Rahier ! Gastounet a vite compris la règle du jeu africain. Auriol, deuxième, également. Il a bien conscience que le petit Belge va prendre de la place chez BMW. La sienne. Il en tire les conclusion­s et passe à la concurrenc­e. Gastounet ne déçoit pas son employeur et gagne encore en 1985. Le vent tourne ensuite car Honda, passé lui aussi au bicylindre, a trouvé en Cyril Neveu un rival à Rahier. En taille et en talent. Les deux victoires successive­s de la 750 NXR en 1986 et 1987 scelleront le destin des BMW du Team Rahier.

MALGRÉ L’ÉLIMINATIO­N D’AURIOL, DÉMONSTRAT­ION EST FAITE QUE LE FLAT BMW PEUT BATTRE LES MONOS JAPONAIS

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 ??  ?? 1- Le duo Ibsher-hintermaie­r sur l’attelage R69/S au milieu des années 60 dans une manche du championna­t d’allemagne. 2- Sebastian Nachtmann est, lui, sur une R69/S mais en catégorie solo. 3- Werner Schütz, champion d’allemagne 1980, dans ses oeuvres. 4- Hubert Auriol sur les pistes du Paris-dakar en 1980.
1- Le duo Ibsher-hintermaie­r sur l’attelage R69/S au milieu des années 60 dans une manche du championna­t d’allemagne. 2- Sebastian Nachtmann est, lui, sur une R69/S mais en catégorie solo. 3- Werner Schütz, champion d’allemagne 1980, dans ses oeuvres. 4- Hubert Auriol sur les pistes du Paris-dakar en 1980.
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