CINQ FLATS DANS LA TOURMENTE
C’est l’histoire de cinq gars en BMW en balade dans les montagnes italiennes et qui en ont bien bavé ! Récit.
Les gars qui pratiquent l’enduro aiment bien se compliquer la vie et aussi celles des autres. Tiens, prenez Mauro, Paolo et Roberto, trois gars qui ont un excellent coup de guidon, ils m’ont embobiné pour une balade dans les Apennins en jurant que le parcours serait facile. J’ai oublié de vous dire que ladite balade doit se dérouler uniquement avec des BMW, plus ou moins récentes. Et comme le printemps a été aussi pourri en Italie que chez nous, la météo annonçait de la neige dès 1 000 mètres… Et ce n’est pas fini, les gars font ça à l’ancienne, en jean’s avec du scotch américain autour des bottes (des Alpinestars ou des RG) pour éviter que les pierres ou l’eau ne pénètrent à l’intérieur. On ajoute des genouillères, les inusables Barbour, sans oublier les casques d’époque, intégraux ou jets, ces derniers évidemment portés avec les masques ou les mentonnières. Il faut dire que quand on a la chance de partir en randonnée avec trois BMW replica ISDT de la fin des années 70, on ne va pas s’habiller avec un pantalon en nylon fluo acheté au supermarché. Avant de rentrer dans le vif du sujet, parlons un peu des montures et des pilotes. Mauro de Prandi a été le guide de cette escapade entre amis à travers « l’appennino Reggiano » dans le nord de l’italie, une région qu’il connaît sur le bout des doigts, grâce à sa passion pour l’enduro qu’il pratique assidûment et pas seulement sur de grosses BMW. Dans la vie de tous les jours, il travaille le cuir, c’est le créateur de la marque Wild Hog (voir encadré) et pour l’occasion, il a sorti sa R1150 GS de 2000. La BM pilotée par Alessandro Sasso est l’une des créations de Paolo Bergamaschi, dont on vous a déjà parlé dans MR Classic 59. Une moto élaborée sur la base d’une R65 avec un bras
oscillant à parallélogramme (réalisé par Paolo) sur lequel un monoamortisseur Öhlins a été monté. Dans la vie, Alessandro Sasso est matelot, il ne possède pas de voiture et utilise sa BMW aussi bien dans les chemins que sur route. Il faut dire que son concepteur ne s’est pas privé des bienfaits de la modernité, il a par exemple conservé le démarreur électrique et monté un frein au disque. Cette Béhème a été conçue pour être utilisable par n’importe qui avec une certaine facilité. Les deux autres anciennes, reconnaissables à leurs cadres bleus, ont été réalisées par « Moto per Tutti » près de Monza, ville plus connue pour son circuit de vitesse. Ce sont des répliques fidèles des motos des Six Jours 1979. Les cadres reprennent les cotes des versions originales et accueillent deux moteurs de cylindrées différentes, un en 650 et l’autre en 860. Contrairement à la version de Paolo, cette dernière n’est pas à mettre entre toutes les mains. Elle reproduit le caractère de la version originale de la maison allemande. Une vraie bête de compétition qui affiche 128 kg sur la balance. Mais pour en arriver là, il a fallu retirer le démarreur de presque 3 kg… On est parti depuis quelques heures, et c’est lorsque je suis resté coincé dans la rivière que je me suis souvenu des paroles de Roberto : « Ne t’inquiète pas, même un débutant pourrait effectuer le parcours… » Paroles d’ancien pilote du championnat du monde d’enduro ! Il a fallu pousser, tirer, soulever ensemble comme dans une mêlée de rugby. Et si les hommes ont souffert, les machines n’ont pas été épargnées. Le faisceau électrique d’une des répliques n’a pas trop aimé l’humidité et il a fallu être patient avant de pouvoir redémarrer le flat-twin.
« On se demande ce qu’on fait là... »
En revanche, les deux Béhème modernes ont surpris, elles sont passées là où les trois autres sont passées et sans grandes difficultés. « Il faut se lancer sans trop y penser, me dit Mauro avec un grand sourire, avec une bonne paire de pneus, tu grimpes partout. » Ouais… Au fil de la journée, la pluie et le froid transforment notre escapade en aventure extrême. On en bave, et pourtant, lorsque l’on
« MÊME UN DÉBUTANT POURRAIT Y ARRIVER... » DIXIT L’ANCIEN PILOTE DU CHAMPIONNAT DU MONDE D’ENDURO !
retrouve des routes goudronnées, on se demande ce qu’on fait là et on attend impatiemment le prochain sentier… Parfois, on arrive dans un village et l’on profite de la chaleur du bar local pour faire sécher nos chaussettes. Les clients intrigués par nos machines d’une autre époque sortent pour les observer puis reviennent à l’intérieur avec mille questions. Les derniers kilomètres vers le refuge, interminables, se font dans l’obscurité. Et pour ne rien arranger, un mur de brouillard enveloppe tout et pénètre de chaque fente du casque, des lunettes, de la veste.
Cinq gars perdus volontairement
On entre dans une autre dimension, chaque virage déclenchant un mouvement dans un automatisme synchronisé avec la moto et avec la route. C’est de pire en pire, maintenant, on devine à peine la route et on doit l’imaginer à chaque tour de roue. Enfin, on arrive au refuge, en se demandant comment on y est parvenu. La suite, ce sont les vêtements trempés qui sèchent devant la cheminée. C’est une soupe de légumes qui revigore cinq pauvres gars volontairement perdus dans la montagne avec leurs twins teutons. C’est une nappe à carreaux rouges et blancs sur laquelle sont posées une bouteille de Lambrusco et la polenta fumante. La routine pour les gens d’ici comme Teresa, notre hôte qui nous accompagne pendant ces agapes et qui trinque avec nous. On est parvenu au bout du chemin, et Teresa se moque bien de savoir sur quelles motos on est arrivé et encore plus de savoir si nos tenues d’époque sont mieux que des vêtements modernes. C’est elle qui a raison, elle nous ramène à la réalité. Avant d’aller dormir, je repense à la citation de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »
DES VÊTEMENTS TREMPÉS, UNE SOUPE DE LÉGUMES, UNE POLENTA... ON EST ARRIVÉ AU BOUT DU CHEMIN