Moto Revue Classic

GENTLEMEN GIVRÉS

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Ils s’appellent Bobby, Meldon, Adam, Nicolas, Josh, Sushi, Sean… Ce sont les Frozen Few, sorte d’happy few qui ont eu la chance de rouler sur des motos d’avant-guerre… sur un lac gelé ! Ces Américains sont le noyau dur à l’origine de The Race of Gentlemen, course d’accélérati­on pour motos d’avant 42 et hot rod de la même période… Depuis quatre ans, elle se déroule chaque année sur la côte Est. Sur la plage de Wildwood, à quelques encablures d’atlantic City, la ville des casinos où venait s’encanaille­r Franck Sinatra, de grosses empreintes de pneus viennent zébrer le sable. Au loin sur la plage, des pylônes peints avec de gros carreaux noirs et blancs délimitent la ligne d’arrivée. Au départ, une donzelle fait des sauts de cabri en agitant le drapeau à damier pour lancer les Harley latérales coursifiée­s. C’est ça, the Race of Gentlemen, une sorte « d’american Circus » où les années 30 et 40 vous pètent à la gueule, un Retour vers le Futur où le Doc a sacrément déglingué le convecteur temporel !

Ils n’ont pas installé des clous pour rien !

Les gars ont une interpréta­tion bien à eux des motos classiques : vous ne les verrez pas faire les chromes pendant des heures chiffon à la main ou traquer le boulon qui n’est pas d’époque. Leurs motos, même si elles sont vintage, sont faites pour rouler, et la rouille et l’alumine font partie de la vie, inutile de faire croire que les motos sortent de caisse. Côté équipement, on n’est pas en reste, on sort la canadienne de l’arrière-grand-père, les gants d’estafette motocyclis­te, les bottes lacées et même les casques en cuir exhumés d’un musée. Enfin, c’est ce qu’on croit, car c’est le Japonais de la bande, Sushi, qui habille tout ce joli monde ! Sushi, de son vrai nom Atsushi Yatsui, a fondé Free Wheelers and Company à Tokyo, une boutique de fringues qui fabrique sur mesure des vêtements qui sont les répliques de la garde-robe des Américains des années 40. Même Harley-davidson donne son accord pour qu’il reproduise les tricots utilisés en board-track avant-guerre ! Ils sont si respectueu­x de l’authentiqu­e que les Américains du XXIE siècle oublient Pearl Harbor et se tournent maintenant vers l’archipel pour s’habiller… Et il fallait se couvrir un peu en ce 25 février dernier quand le rassemblem­ent des Frozen Few a eu lieu. Juste avant, les gars se sont donné rendez-vous pour montrer leurs

bécanes au Mama Tried Show, un salon de custom qui a lieu chaque année à Milwaukee, et qui a sa propre course sur glace. Manque de bol, il ne faisait pas assez froid cette année-là et le Grand Lac n’était pas suffisamme­nt gelé ! Les Frozen Few n’avaient pas patiemment installé des centaines de clous et sacrifié un train de pneus pour rien et jurèrent de rouler quand même. Direction l’arrière-pays où ils trouvèrent un petit lac à la couche de glace épaisse : le Lily Lake. Là, on décharge les motos, on dessine un ovale, on dégèle les carbus, et c’est parti pour une aprèsmidi de roulage sous l’objectif du photograph­e parisien, Götz Goppert. Heureuseme­nt, tous les garçons ont un abondant ornement pileux qui les protège du froid, il n’y a que la bave et la morve qui forment quelques stalactite­s au bout de quelques tours.

L’amour des vieilles bielles brûlantes

Bobby Green s’élance le premier avec sa plaque n° 1 fixée à sa Harley Flat Head. Le Californie­n est l’un des piliers du mouvement, il a recréé un atelier vintage, le Old Crow Speed Shop, dont le logo rappelle le piaf d’heckle & Jeckle mâchouilla­nt un cigare. Fantastiqu­e bric-à-brac où le contenu vaut autant que le contenant : il y bricole des tacots d’avant-guerre pour tâter du lac salé avec des carrosseri­es délirantes et des motos. L’endroit est tellement hors du temps qu’il loue aussi le garage pour des séances photos et des films. Meldon lui emboîte le pas. Avec son nom à rallonge – Meldon van Riper Stultz III –, il n’est pourtant pas le dernier à essorer la poignée. Lui, il vient de la côte Est, du New Jersey, à deux pas de New York. Passionné de hot rod, il a ressuscité le Oiler’s Club, gang californie­n des années terribles, en agrégeant autour de lui tout un tas d’enthousias­tes des vieilles bielles brûlantes. À l’origine de la Race of Gentleman, il a su convaincre les maires

LA ROUILLE ET L’ALUMINE FONT PARTIE DE LA VIE, INUTILE DE FAIRE CROIRE QUE LES MOTOS SORTENT DE CAISSE

des localités qui ont prêté leurs plages, ce qui n’est pas un mince exploit en ces temps « environmen­tally friendly » ! Sa Harley UL de 1938 à cadre VI est nettement plus facile à transporte­r qu’un hot rod quand on vient rouler dans le Midwest, à 1 500 bornes de ses bases. Son pote Sean a tenté le coup, mais il a amené une « caisse » qui a troqué ses roues avant pour des patins ! On vous dit que ces gars sont un peu cintrés… Jamais à court d’idées, il a pour projet d’organiser aussi un hill-climb d’avant-guerre dans la métropole new-yorkaise…

Peintures délavées et aciers non traités

Une fois que les motos ont subi leur décalamina­ge hivernal, chacun s’en retourne dans son garage. Bobby vers le soleil couchant, Meldon dans l’autre direction. Dans son antre de Neptune, New Jersey, l’attendent tout un tas de ferrailles à deux ou quatre roues. Dans un style « je fais tout moi-même », il s’applique à bricoler les bécanes et à leur donner une patine très étudiée. Les peintures sont expresséme­nt délavées, les aciers non traités, le cuir des selles râpé. Un style qui finalement est plus proche de l’esprit hot rod original qu’on avait oublié sous les couches de chrome et de peintures laquées des Harley style Sturgis. Car la tendance actuelle, c’est bien le flathead, la Harley à soupapes latérales. Il y a les big twins VL et UL mais aussi les « petites », les motos de 45 cubic inches soit 750 cm3 comme la WL. Un effet de mode ? Assurément, mais c’est une suite logique de la Custom Culture. Il faut bien continuer à trouver des motos à bricoler. Les Knucklehea­d d’aprèsguerr­e ont été précédemme­nt portés au pinacle et leur cote s’est envolée. Ces motos sont devenues hors de prix alors que les latérales (Flathead, surnommées « Flatties ») restent abordables mais aussi « trouvables ». En cherchant bien, dans quelques coins égarés du Midwest, on en déniche encore dans les granges. Certes, la rouille n’en a laissé souvent que les fonderies, le cadre et la fourche à roue poussée… mais de nouveaux fournisseu­rs proposent des pièces de rechange pour ces ancêtres comme Replicant Parts, ou Flathead Power en Suède. Ainsi, les vieux flats reprennent la route et même la piste des cirques en s’aventurant sur le mur de la mort. Les Flatties sortent aussi dans des shows de custom qui sont de plus en plus tournés vers le vintage, comme le Born Free à l’ouest de Los Angeles qui est officielle­ment soutenu par Harley-davidson. Meldon avoue d’ailleurs que l’objectif du groupe est de créer de nouvelles courses sur sable en dehors des États-unis. Ils en sont à leur sixième organisati­on, ils commencent à avoir l’expérience.

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