Moto Revue Classic

L’HOMME ORCHESTRE

Peu connu chez nous, mais révélé au grand public US grâce à ses victoires au Superbiker­s – ancêtre du supermotar­d –, Steve Wise est le seul pilote américain qui ait remporté des épreuves en supercross, motocross et vitesse dans son pays !

- Texte : Eric Johnson – Photos archives : EJ et Moto Revue

Il y a 35 ans, le 2 novembre 1980 très exactement, le Texan Steve Wise, pilote d’usine Honda de motocross, prenait le départ du Superbiker­s. Vainqueur de la manche de motocross de Buchanan dans le Michigan cinq mois plus tôt, Wise et sa Honda RC 500, préparée spécialeme­nt pour l’occasion, attendaien­t le signal de départ. Un drapeau vert et 12 tours plus tard, les yeux de quelque 30 millions de téléspecta­teurs rivés sur lui, Wise passa la ligne d’arrivée comme une bombe, vainqueur sans grande difficulté en battant au passage le champion du monde motocross 500 cm3, André Malherbe et la jeune étoile montante du Superbike, Eddie Lawson. Bien qu’il n’en ait pas eu conscience à l’époque, cette victoire allait avoir un énorme impact sur sa carrière de pilote. Une année plus tard, soit la dernière de son contrat avec l’usine Honda en motocross, Steve Wise revint pour remporter à nouveau l’épreuve. Conscient que ses résultats n’étaient pas glorieux et Honda lui ayant fait savoir qu’il ne serait pas reconduit pour les saisons 1982 de supercross et motocross, la victoire fut quelque peu amère. Mais le destin s’en mêla.

1982 : Wise est titré athlète de l’année

Le jeune prodige Freddie Spencer mettant le cap sur l’europe pour le championna­t du monde de vitesse de 1982, il restait un guidon à pourvoir dans le team Honda en Superbike et Formula 1 (ex-formula 750). On demanda à Wise s’il était intéressé. Il accepta. De quoi écrire une belle page de l’histoire du sport moto US car en 1982, le titre de champion du monde de F1 de L’AMA lui échappa pour trois points. Cette catégorie était de loin la plus prestigieu­se de la discipline aux États-unis, le triple champion du monde 500 cm3 Kenny Roberts, ainsi que les futurs champions du monde, Eddie Lawson et Wayne Rainey, faisaient partie de ses adversaire­s. Ce résultat lui valut malgré tout le titre d’athlète de l’année pour la Fédération sportive américaine (AMA). En 1983, Wise gagna l’épreuve de Superbike américain sur le circuit de Mid-ohio et devint le seul pilote de l’histoire américaine à remporter une épreuve de supercross (Nouvelle-orléans en 1979), de motocross 250 cm3 (à Buchanan dans le Michigan en 1980), de motocross 125 cm3 (à Keysers Ridge dans le Maryland), de Superbike (Mid-ohio) et, bien sûr, le Superbiker­s (en 1980 et 1981). Pour

faire bonne mesure, Wise monta même sur le podium lors d’un TT en flat-track à Houston en 1982. « En 1973, je suis devenu pilote profession­nel et j’ai participé au championna­t du Texas, nous explique Steve. J’avais 16 ans. Jimmy Weinert, Gary Jones, Kent Howerton et d’autres pilotes étaient eux aussi de la partie. J’ai terminé 1er au championna­t. Kawasaki voulait engager Steve Stackable, mais il venait de signer pour Maico. Cependant, il a parlé de moi à Kawasaki et m’a payé le billet d’avion jusqu’à Carlsbad. J’ai fait un bon résultat et ils m’ont engagé le lendemain. J’étais un peu surpris, moi qui n’avais encore jamais quitté le Texas. » Wise commença donc à courir pour Kawasaki en 1975, mais les motos étaient si peu compétitiv­es qu’il quitta son équipe et acheta une Honda dans la concession de son père au Texas. Le dimanche 4 juillet 1976, qui était aussi le jour du 200e anniversai­re des ÉtatsUnis, Steve, désormais pilote 100 % privé, remporta la manche 125 cm3 à Keysers Ridge dans le Maryland. En 1977, il roula sur une 125 préparée par Cliff White (Ndlr : futur mécano de David Bailey et Jean-michel Bayle...). Elle avait une fourche Simmons, des amortisseu­rs Fox et un kit Mugen : « Avec l’aide de Moto-x Fox, j’ai terminé cinquième au classement final des Nationaux 125 cm3. » En fin d’année, Steve signa enfin un contrat pour rouler sur des Honda d’usine la saison suivante. Il termina 4e du championna­t national, et septième en supercross. « En 1979, je suis monté en catégorie 250 cm3, et le jour de mon anniversai­re, j’ai gagné le supercross de la Nouvelle-orléans. J’ai ressenti quelque chose d’incroyable. J’ai fini quatrième au championna­t supercross avec quelques belles prestation­s. C’était une très bonne année. Mais en 1980, je me suis

« J’étais le seul à partir en glisse »

beaucoup blessé. Je me suis cassé le poignet, des côtes et le genou. Des blessures gênantes qui m’ont empêché de m’entraîner et de piloter à mon maximum. » Il reprend : « J’ai roulé au Superbiker­s pour la première fois en 1979 et j’ai fini loin derrière Kent Howerton. C’est une occasion qui s’était présentée à la dernière minute. Cette année-là, notre team manager nous avait demandé : “Qui veut participer à la course Superbiker­s ?” Personne n’en avait envie, alors j’ai dit que je le ferais. J’étais au guidon d’une Honda très haute et avec des freins à tambour. D’ailleurs, en moins d’un tour, il n’y en avait plus. » Tout change l’année suivante. « Quand le même événement a eu lieu en 1980, j’ai roulé sur une moto d’usine exceptionn­elle. Elle m’allait bien et on avait fait beaucoup d’essais. Pendant deux jours, on a testé la transmissi­on sur la piste de Carlsbad, j’en avais profité pour améliorer ma technique et mes trajectoir­es. J’étais vraiment à l’aise et j’y prenais beaucoup de plaisir. Pendant la session de test, j’étais le seul à partir en glisse à chaque virage. Après les essais, Roger De Coster (Ndlr : conseiller pour le motocross chez Honda) est venu me demander si je me sentais à l’aise en faisant ça. J’ai répondu que oui, et il m’a dit de continuer. Il était impression­né de voir à quel point je maîtrisais la moto sur le bitume. » Steve Wise et sa Honda numéro neuf prirent la tête de l’édition 1980 du Superbiker­s dès le 2e tour et ne la lâchèrent plus malgré quelques

problèmes de frein arrière en fin de course. Alors qu’il était sur la première marche du podium avec Malherbe et Lawson à ses côtés, Wise n’arrêtait pas de répéter : « C’que c’est bon, mais c’que c’est bon ! » Enfin arriva 1981. Alors que ses saisons en motocross et supercross avaient été un fiasco, Wise arriva à Carlsbad le 1er novembre pour défendre son titre au Superbiker­s. C’est ce qu’il fit dans une démonstrat­ion magistrale en s’échappant vers la victoire au bout des 12 tours devant Graham Noyce (champion du monde 500 cm3 de 1979 en motocross) et Eddie Lawson, qui complétait le podium. Peu de temps après, alors que personne ne s’y attendait, Honda proposa à Wise, à l’époque âgé de 24 ans, de rouler sur la CBF de Spencer. Après des essais prometteur­s à Willow Springs, Honda fit une offre au jeune homme. Dimanche 7 mars 1982, Steve Wise participa à sa première course de vitesse : Daytona 200. « J’avais la CBF de 1981 avec un quatre-cylindres en ligne, alors que mes coéquipier­s, Freddie Spencer et Mike Baldwin, avaient tous les deux la nouvelle FWS à moteur V4. Cette moto

« Avec Rainey, on a disjoncté »

était vraiment hors du commun, Honda nous avait discrèteme­nt fait part de son prix : 1 million de dollars, alors que la mienne en valait la moitié et était loin d’aller aussi vite. » Néanmoins, Wise signa un résultat très honorable, terminant 7e dans la catégorie Formule 1. Il continua de s’améliorer au fil des courses. Le 19 juin à Loudon dans le New Hampshire, lui et un jeune rookie californie­n, Wayne Rainey, s’étaient battus bec et ongles pour leur toute première victoire en Superbike. « Wayne Rainey et moi courions tous les deux après notre première victoire. On avait complèteme­nt disjoncté. Eddie Lawson et Mike Baldwin étaient loin derrière nous. On avait tous les deux cette victoire en ligne de mire et elle était à notre portée. Au dernier tour, j’ai perdu l’avant. J’avais toujours cet instinct de tueur et je voulais cette victoire plus que tout, mais j’ai terminé ma course par une énorme chute. » Pour la sixième et dernière course du calendrier, Steve Wise arriva à Sears Point en Californie en tête du championna­t Formule 1. Alors qu’à peine un an plus tôt, il était encore pilote motocross profession­nel, à la surprise de tous, il était sur le point de gagner le championna­t. « Je suis arrivée en menant le championna­t d’un point sur le second. Si mon coéquipier Mike Baldwin gagnait la course, il fallait que je termine second. Mais pendant la course, je n’arrivais pas à passer Wes Cooley, deuxième derrière Baldwin.

« JE VOULAIS CETTE VICTOIRE PLUS QUE TOUT, MAIS J’AI TERMINÉ MA COURSE PAR UNE ÉNORME CHUTE »

Je savais qu’il fallait le doubler, alors j’ai tenté un intérieur. Sears Point était un tracé très dangereux à l’époque et je me souviens m’être demandé à cet instant si ça en valait bien la peine. La réponse était non, je ne voulais pas me blesser. Il était impossible à passer, en tout cas, pas sans risquer de nous mettre tous les deux au tapis. Et ce n’était pas mon but. » Sur la ligne d’arrivée, Baldwin remporta le championna­t avec 72 points contre 69 pour Wise. « Ça m’a vraiment fait mal au coeur, se lamenta Wise. J’étais très déçu. Mais d’un autre côté, tout ce que je voulais, c’était que la saison suivante commence. Je savais que j’étais l’un des meilleurs pilotes aux États-unis et que j’avais mes chances au championna­t. » Avec de très bons résultats à Daytona en mars, la saison 1983 se présentait sous les meilleurs auspices pour Steve Wise qui n’était plus un débutant. « Quand je suis arrivé en Floride, des photograph­es et journalist­es du monde entier me suivaient partout. Pour cette course, Spencer et Baldwin avaient reçu la nouvelle NS 500 deux-temps, moi j’avais la FWS V4. J’ai terminé troisième derrière le vainqueur Kenny Roberts et Eddie Lawson, tous deux au guidon de la Yamaha 500 OW69. J’étais en bonne compagnie. » Début juin, la progressio­n spectacula­ire de Steve Wise prit une tournure dramatique.

« À 130 km/h, j’ai percuté un mur »

« Le circuit d’elkhart Lake, c’est là que je me suis fait avoir par le deuxtemps que j’utilisais depuis la course précédente. J’avais du mal à passer de ma superbike quatre-temps de 215 kg à la F1 deux-temps de 120 kg. Je suis parti au tapis violemment. On m’a dit

« JE SAVAIS QUE J’ÉTAIS L’UN DES MEILLEURS PILOTES ET QUE J’AVAIS MES CHANCES AU CHAMPIONNA­T »

un peu plus tard qu’en tombant, j’avais atterri tête la première sur l’asphalte. Je ne me souviens d’absolument rien. Quand je me suis réveillé à l’hôpital, je ne savais pas où j’étais, cette histoire m’a fait rater plus de la moitié de la saison. J’ai essayé de revenir à Laguna Seca, parce que j’étais toujours dans la course pour le titre. J’ai fait la première séance d’essais, Kenny Roberts est arrivé à ma hauteur et je me suis dit : «Je vais le suivre.» À la sortie du virage neuf, à 130 km/h, j’ai élargi et percuté un mur. Quand je me suis relevé, j’ai ressenti une terrible douleur. Je suis retourné à l’hôpital où on m’a dit que je faisais une hémorragie interne et que je m’étais brisé des côtes et cassé les deux clavicules. Udo Gietl, le team manager Honda, est venu dans ma chambre et je lui ai annoncé : «C’est fini, j’arrête.» Je savais à l’époque que je n’avais plus la hargne pour continuer. Je n’avais plus ce besoin d’être premier quoi qu’il en coûte. C’est à ce moment précis que j’ai compris… Il me restait encore un an et demi de contrat, mais on en a discuté et ils m’ont laissé partir avec une belle prime de départ. Ma carrière était terminée. »

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