LA BONNE ESPAGNOLE
BULTACO EL MONTADERO
Après un accident en me rendant au Motocross de Sannois (sans casque et appareil photo en bandoulière) avec la Ducati que j’utilisais pour aller au boulot et surtout pour courir en championnat de France 350, j’avais décidé de ne plus jamais mettre le cul sur une moto de route ailleurs que sur un circuit fermé. Mais comme mon mono avait été déclaré irréparable par l’assurance, il a bien fallu que je trouve un deux-roues bon à tout faire et surtout des ronds sur la piste sans être trop ridicule. Au Salon de la moto, j’étais tombé en arrêt devant la Yamaha YDS7, infiniment plus jolie, dans son affriolante robe vieil or et noir, que la DS6 avec laquelle mon frère Fred avait couru en Critérium quelques années auparavant. J’avais presque décidé de casser ma tirelire afin de m’offrir cette merveille, qui coûtait tout de même plus de 5 500 francs en 1971, soit pas mal de mois de salaire. Sauf que les trail-bikes commençaient à envahir les routes et parfois les chemins, et j’ai appris qu’un certain François Soulier vendait un trail Bultaco pas cher. Comme ça, ma promesse de ne plus mettre les pneus sur la route était en partie tenue car je comptais bien rouler dans les bois avec la Bul’ et délaisser autant que faire se peut, le goudron… Plus tard, François Soulier créera Zone 6, le premier bouclard entièrement consacré à la moto de tout-terrain. La petite histoire veut que Soulier ait acquis le fonds du 6 rue Étienne Marcel en vendant, avec son accord bien entendu, la Bentley paternelle… Je me suis rendu à Enghien chez le papa toubib qui hébergeait la moto afin d’y jeter un oeil et un quart d’heure plus tard, l’affaire était dans le sac. La bécane, très belle et originale, portait le nom de El Montadero, c’était une 360 et en fait de trail-bike, il s’agissait plutôt d’une enduro qui développait un peu moins de 40 chevaux et fonctionnait au mélange. J’ai appris plus tard qu’il ne s’en était vendu que 5 en France… Elle utilisait des commandes à l’anglaise, avec le sélecteur à droite et le frein à gauche, ce qui ne formalisait personne à l’époque. Le démarrage demandait un franc coup de savate, la moindre hésitation pouvant se solder par une satellisation immédiate dans le cosmos. La moto avait déjà participé à un essai avec Moto Revue et même aux Coupes de l’armistice ou à un truc analogue et c’est grâce à elle que j’ai redécouvert le tout-terrain (on ne parlait pas encore d’enduro à l’époque) après mes expériences militaires (voir MRC n° 81) et en roulant avec deux potes : Christian et sa Montesa et Alex, qui pilotait une Ossa. Alex empruntait le camion de l’entreprise familiale, on chargeait les bécanes dans la benne et on traçait vers la forêt de Fontainebleau pour aller dénicher les coins les plus pourris, sans jamais voir d’autres promeneurs que des biches qui détalaient dès qu’on coupait les moteurs. Personne n’emmerdait personne, pourvu qu’on se respecte. On allait aussi par la route rouler au coeur de la forêt de Montmorency, proche de nos domiciles respectifs. Une particularité curieuse de ma 360 était la tendance de la fourche à se vriller lors d’une gamelle… Il suffisait de placer la roue avant entre deux arbres, de tirer sur le guidon du côté ad hoc et tout rentrait dans l’ordre ! Ne possédant à cette époque qu’une 2 CV Citroën capable d’accrocher le 70, vent dans le dos, ma 360 était quasiment mon unique moyen de transport. À son guidon, je me suis rendu à la concentre des Millevaches organisée par mon club, le MC 95, aux Éléphants en Allemagne... Au retour, le segment unique en L, sans doute ému par le traditionnel tour du circuit du Nürburgring et surtout le 130 à l’heure sur route, cassera aux environs de Verdun, tout un symbole, et je suis allé en stop chercher ma 2 CV afin de ramener la Bul’ au bercail. La Bultaco m’inoculera définitivement le virus du tout-terrain et quelque temps plus tard, je la vendrai sans honte pour racheter la 125 Monark de mon frère, une vraie moto d’enduro cette fois…
« J’AVAIS DÉCIDÉ DE NE PLUS JAMAIS METTRE LE CUL SUR UNE MOTO DE ROUTE AILLEURS QUE SUR UN CIRCUIT... »