Moto Revue Classic

DES INDIENNES EN MONGOLIE

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Neil Armstrong avait un rêve : marcher sur la lune. Jean Burdet en a un autre : partout où il va, il veut y aller en side-car. Chacun son truc après tout. Après moult voyages en Inde dont un, il y a deux ans, qui le vit, avec son fils, conquérir le toit du monde sur un engin de sa conception à 5 602 mètres d’altitude dans l’himalaya (revoir MR Classic n° 77), Jean décida cette année d’aller fouler d’un pas alerte les vastes plaines mongoles. Problème, et de taille : trouver un side-car en Mongolie, pays façonné par Gengis Kahn, grand amateur de chevaux devant l’éternel, hélas sans vapeur. Mais Jean Burdet est un grand amateur de problèmes, car il a toujours des solutions : le « paysage motocyclis­te mongol » étant inversemen­t proportion­nel à la majesté de ses paysages (en gros, quelques chinoiseri­es sous licence revendiqua­nt leurs lointaines origines japonaises, et de vieilles Ural perpétuell­ement en panne), il fallait trouver une perspectiv­e raisonnabl­e pour mener à bien un tel voyage.

Gratte-ciel et yourtes urbaines

Homme de réseau, Jean a fait livrer quelques Royal Enfield de chez Vintages Rides, à New Dehli, et il a mis dans un container quelques châssis de sa conception façonnés avec amour dans son atelier francilien. Légère, simple et coupleuse, la Royal Enfield attelée donne l’impression d’avoir été conçue pour aller rouler à l’aventure dans l’herbe haute et approcher au plus près les yaks, chameaux, chevaux, moutons et chèvres qui constituen­t l’essentiel des richesses mongoles. Dire que la Mongolie est une terre de contraste tient de l’antiphrase car l’amateur de diversité noiera son chagrin dans un océan de verdure. L’expérience de la Mongolie tient aussi de la rencontre avec les gens. Certes, ils ne sont pas nombreux et ils ne parlent pas vraiment anglais. Mais ce que la spontanéit­é et les babillages y perdent, on le récupère en sincérité. Et ce type de relations, Jean a dû les pratiquer dès son arrivée : dédouaner une caisse de side-car et trouver un camion, tous réquisitio­nnés au moment des élections, nécessiten­t un certain sens de la débrouille. Et l’improbable, parfois, semble naturel. Quelques jours à Oulan-bator, sas de décompress­ion entre l’occident saturé et l’immensité de l’asie sauvage. Ville dense et paradoxale­ment paisible, notamment

PROBLÈME DE TAILLE : TROUVER UN SIDE-CAR EN MONGOLIE, PAYS AMATEUR DE CHEVAUX... SANS VAPEUR

parce que 80 % des voitures sont hybrides et donc, silencieus­es. On y croise tout de même une Yamaha R1 et une Suzuki GSX-R, et on constate une juxtaposit­ion étonnante entre gratte-ciel et yourtes urbaines, entourées du charme indicible et suranné des villes de l’est. Mais les Royal Enfield ronronnent en cadence sur leur ralenti, la roue avant tremble et n’a qu’une envie : dévorer l’horizon. Que c’est bon, de passer des heures au guidon, déflorant à peine un paysage qui ne rentre jamais dans le format de la carte postale dans cette vaste région d’arkhangaï, à l’ouest de la capitale. La steppe mongole, c’est l’assurance d’un iris saturé d’un camaïeu de verdure et la confirmati­on qu’à moto, le vrai luxe, c’est l’espace. Le tourisme se développe, sans toutefois trahir les valeurs fondatrice­s de cette culture fière : les nomades d’aujourd’hui peuvent rouler dans de gros 4 x 4 Toyota hybrides et avoir deux téléphones portables mais les yourtes de passage respectent l’architectu­re et la décoration ancestrale. En bonus : une propreté clinique. Au réveil, il ne faut pas se fier à la prairie qui, en bien des endroits, semble aussi docile que le green d’un golf anglais. Les sousliks – petits écureuils aux airs mutins de marmotte – creusent trous et galeries qui sont plus périlleux pour les sabots des chevaux que pour les motos. Le vrai danger tient surtout à ces inattendue­s – mais pourtant très présentes – bouteilles de vodka (vides), qu’il faut s’attendre à trouver, jonchant le sol, même dans des endroits incongrus.

Les vibrations, en phase avec les lieux

La vénérable machine indienne et son équipage tiennent, bon gré mal gré, un petit 80 km/h de croisière dans la plupart des situations, prouvant une fois de plus que la BMW R1200 GS n’est pas vraiment nécessaire pour partir à l’aventure. Le bon couple et les vibrations du gromono sont parfaiteme­nt en phase avec l’esprit des lieux : flâner pour profiter de l’extraordin­aire richesse végétale et de ces déclinaiso­ns infinies d’edelweiss, qui démontrent au voyageur attentif que l’apparente uniformité et monotonie de la steppe ne sont qu’un leurre. Sur les contrefort­s vallonnés laissés par d’anciens volcans, la Bullet attelée doit se montrer agile et équilibrée sur ces pistes généreuses en dévers. Un peu plus tard, elle devra déployer ses coups de pistons avec parcimonie, pour franchir les nombreux gués : trop lentement, et l’eau entre par l’échappemen­t et le moteur cale, trop vite, et le panier du side-car crée une onde qui va déséquilib­rer et ralentir l’ensemble. Belle métaphore : aller rouler en Mongolie, c’est complèteme­nt repenser son rapport au temps et à l’espace.

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