Moto Revue Classic

FRENCH CONNECTION

De 1978 à 1985, Thierry Espié fut un brillant représenta­nt de l’école française, à une époque où les Grands Prix étaient encore accessible­s aux « artisans » de la course.

- Texte : Christian Batteux – Photos : archives

Pour Thierry Espié, né en 1952 à Clamart, dans les Hauts-de-seine, tout a commencé à l’âge de 14 ans, sur un Solex que son frère, Yves, avait reconstrui­t avec quatre épaves. Après le Solex est venue la mob’ puis, à 16 ans, en juin 1968, le passage du permis de conduire moto. Il tente l’aventure de la course sur une Honda 350 bicylindre achetée avec un copain, mais ça ne va pas bien loin. En août 1972, le voilà convoqué pour le service militaire. « Je ne voulais pas aller en Allemagne, je ne voulais pas être dans les paras, je me suis retrouvé parachutis­te en Allemagne (rire) ! On était 100, dont 15 appelés. Heureuseme­nt, ma mère m’envoyait des colis, avec en plus Moto Revue et Moto Journal. Je suis tombé sur des articles traitant de la Coupe Kawasaki Moto Revue, j’ai eu un flash : “Tout le monde sur les mêmes motos avec les mêmes pneus, c’est ça que je veux faire !” L’année 1972, c’est celle où Pons gagne. Pour ma part, je n’ai pas eu tout de suite les moyens de me lancer en rentrant du service, ça a fini par se faire pour la saison 1975. J’ai acheté une Kawa 400 S3 d’occasion, quant à mon frère, il était “chaud patate’’ pour faire la mécanique.

Un metteur au point de talent

Mon frère, c’est un autodidact­e, la mécanique chez lui, c’est un don. La première partie de saison s’est passée moyennemen­t, la deuxième beaucoup mieux. Entre-temps, nous avons passé une semaine à Lédenon, rien que tous les deux, à travailler sur les réglages de la moto. On a essayé des tas de trucs, sur la carburatio­n, les suspension­s. Cette semaine a été déterminan­te pour ma carrière : au fil des jours, mon ressenti des effets de notre travail s’est affiné, j’ai pris goût à la mise au point. Ça a été payant puisque je me suis mis à rouler tout le temps dans les dix, pour finir la saison à la 8e place de la Coupe Kawa. Et à l’époque, il y avait quand même 400 mecs aux qualifs… En parallèle, je participai­s à l’école de L’ACO, avec une 125 Motobécane, dont j’ai été lauréat devant Pierre-étienne Samin. Ce jour-là, le directeur de Motobécane était présent et j’ai gagné un guidon d’usine ! » Voilà notre homme pilote officiel pour la saison 1976, aux côtés de Michel

Baloche. Si ce dernier roule en catégorie Inter, Espié est en National et décroche facilement le titre, au guidon d’une machine au moteur « avionesque » grâce au travail effectué par Bernard Fargues. Parallèlem­ent, il roule en 250 avec une Yam’ TZ rachetée à Jean-claude Chemarin et repique à la Coupe Kawa. « Pour l’anecdote, la Motobécane avait les vitesses à droite, la Kawa les vitesses à gauche normales et la Yam’ les vitesses à gauche inversées… Eh ben, je ne me suis jamais gouré ! » En fin de saison, une concurrenc­e de dates entre le championna­t de France (à La Châtre) et la Coupe Kawa (à Dijon) le contraint à donner la priorité au championna­t de France mais du coup, il finit deuxième de la Coupe Kawa, à 3 points du premier… Pour la saison suivante, Motobécane met en place un programme pour les Grands Prix, Thierry Espié est de la partie. « Bidalot a vu que j’avais une sensibilit­é particuliè­re pour la mise au point. Il faut dire que j’avais été éduqué dans cette voie avec mon frère, et que pendant ma première année chez eux, j’avais développé mon intérêt et mes capacités dans le domaine. » La première année, en 1977, est catastroph­ique, mais dès 1978, les résultats sont à la hauteur des attentes de l’usine de Pantin. « J’ai terminé cinquième du championna­t du monde 125, ça avait une autre allure. En 1979, j’avais signé quatre deuxièmes places, j’étais deux au championna­t derrière Angel Nieto, et à Assen, je suis tombé, je me suis fait une luxation de la hanche, et ma saison s’est terminée là. Pour boucler l’année, ils m’ont remplacé par Guy Bertin, qui a gagné le Grand Prix de France au Mans. C’est lui qu’ils ont choisi pour la saison 1980. »

Spécialist­e des moyennes cylindrées

De son côté, Thierry est intégré à l’écurie Pernod, montée l’année précédente par Olivier Chevallier et Raphaël de Montrémy. « J’ai racheté une partiecycl­e Bimota à Bertin, j’y ai installé mes moteurs Yamaha et on est parti comme ça en 250 avec mon frère : j’ai fini

quatrième du championna­t ! Pour 1981, j’ai été engagé par Pernod pour développer la moto du même nom, une machine conçue de A à Z par Jean Bidalot. C’était une saison de développem­ent. Et puis il y a eu mon accident à Silverston­e : la moto a serré, m’a éjecté, un “highside” qui s’est soldé par un tassement et une fracture de la colonne vertébrale, et trois mois allongé… J’ai été à la limite d’être tétraplégi­que. » En 1982, il a pour coéquipier Christian Estrosi, mais la saison est moyenne avec une 13e place finale… Thierry va rebondir en 1983 avec Alain Chevallier, qu’il ne connaissai­t que superficie­llement jusque-là. « En 1981, en plus de la Pernod en 250, je roulais en 350 sur une Chevallier, et je me souviens qu’à Silverston­e, le week-end où je me suis blessé avec la Pernod, j’avais fait un chrono aux essais libres que personne n’a jamais battu par la suite ! J’avais l’impression de rouler sur un tapis, je ne sentais plus les bosses, plus rien, c’était exceptionn­el… Dans ma carrière, il y a eu trois personnes essentiell­es : mon frère, Jean Bidalot et Alain Chevallier. Et avec Alain, j’ai vécu de très grands moments, c’était quelqu’un qui avait un charisme exceptionn­el. En 83, nous étions trois dans l’écurie Chevallier avec Didier de Radiguès et Jean-françois Baldé. J’en ai un excellent souvenir : il y avait une super dynamique, parce qu’avec trois pilotes de notre niveau, ça tirait vers le haut en permanence, le tout dans une super ambiance. Alain était très méthodique, il travaillai­t sur son banc à La Prazerie, le hameau où il vivait et où il avait installé son atelier, et je peux

« DANS MA CARRIÈRE, TROIS HOMMES ONT COMPTÉ : MON FRÈRE, JEAN BIDALOT ET ALAIN CHEVALLIER »

te dire que quand il te disait : “Il y a deux chevaux de plus”, on les sentait sur la piste ! On vivait sur place avec mon frère, dans notre camping-car. J’avais deux mécanicien­s, parce qu’à l’époque, on démontait tout en permanence. Avec mon frère, j’ai travaillé avec Michel Chevallier, l’un des frères d’alain, puis Bernard Ansiau (qui passera ensuite avec Mick Doohan et Valentino Rossi). Il y avait le “gros Jo” et Dédé Laugier pour Baldé, Gilles Bigot et un autre gars pour de Radiguès mais en fait, on n’était pas si nombreux que ça. Chez Alain, il fallait tout faire, toutes les pièces de partie-cycle étaient “maison”. Fallait faire de la pièce de rechange pendant l’hiver, parce que quand on partait pour un Grand Prix, avec trois pilotes, il ne s’agissait pas d’être pris au dépourvu… » En 1983, c’est l’année où à Silverston­e, en Grande-bretagne, Thierry passe tout près de ce qui aurait été sa seule victoire en Grands Prix : devancé par Jacques Bolle sur la Pernod pour 170 millièmes de seconde, il compte pour sa part 120 millièmes d’avance sur Christian Sarron, troisième larron d’un rarissime podium 100 % français ! Bien des années plus tard, sur le ton de la plaisanter­ie, Thierry nous dira à propos de Bolle, devenu président de la FFM : « Il est vraiment très bon à son poste : j’ai bien fait de le laisser gagner à Silverston­e ! »

Des motos toujours bien réglées

Cinquième de la catégorie 250 cette année-là, Thierry restera trois ans chez Alain Chevallier, et finira en 500 en 1985. « Pour une dernière saison que je n’aurais pas dû courir : en dehors d’un coup de main d’alain, qui me prêtait le matériel, et de Elf, je me suis quasiment autofinanc­é, ce n’était pas très raisonnabl­e. En même temps, ça m’a laissé un petit regret, celui de ne pas avoir osé rouler en 500 plus tôt, ça aurait pu me convenir. Peut-être que j’aurais trouvé plus facilement des sponsors… Mais j’étais sans doute un peu timide, je n’ai jamais su me vendre, c’était un de mes défauts. Ça et un certain manque d’attaque, le fait que je n’ai jamais vraiment “débranché”. Je compensais ce manque d’attaque pure par des motos toujours très bien réglées. Avec le recul, je crois que si j’avais eu l’attaque de certains pilotes, j’aurais été quatre fois champion du monde ! Il me manquait une dose d’inconscien­ce… »

« SI J’AVAIS EU AUTANT D’ATTAQUE QUE CERTAINS, J’AURAIS ÉTÉ QUATRE FOIS CHAMPION DU MONDE ! »

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