L'EXCEPTION CMS
CMS, société néerlandaise de vente de pièces détachées, est unique au monde.
Avant d’entrer dans le bureau de Michael Buttinger, patron de la firme néerlandaise CMS, il faut enlever ses chaussures. C’est un rituel qu’il a importé du Japon. Comme toutes les pièces qu’il vend à travers le monde d’ailleurs. Mais avant d’aller plus loin, il est peut-être bon d’expliquer ce que signifient les trois lettres, car vous n’êtes pas forcément client de cette enseigne. CMS, ça veut dire Consolidated Motor Spares, que l’on peut traduire par « Pièces de rechange regroupées ». Ces pièces proviennent pour la plupart des marques Honda mais dans les énormes entrepôts, on trouve aujourd’hui des éléments des trois autres fabricants nippons. Car tout a commencé avec un cyclo Honda, précisément un C310, que Michael a payé l’équivalent de 60 €. On est au milieu des années 80 et il est alors âgé d’une douzaine d’années. Comme il n’a pas vraiment le droit de rouler avec sur la route, il passe son temps à le bichonner et n’hésite pas à démonter et remonter le moteur. À 16 ans, enfin, il s’offre le SS 50, la version sport de ce cyclo, qui bien que démodé (on est en 1989), fait rêver de nombreux teenagers néerlandais.
« Avez-vous des pièces de vieilles Honda ? »
Il ne se prive pas de visiter les entrailles de son engin et, par exemple, de monter un piston retaillé de CB 400 F ! Parallèlement, il poursuit ses études de marketing, d’économie et d’informatique, non sans entretenir une relation avec une jeune fille. C’est grâce à elle que tout a basculé. Durant l’été 1989, elle emmène son petit ami en Angleterre où vivent ses grands-parents. Un jour, comme Michael s’ennuie un peu, il se rend chez un motociste et pose la bonne question : « Avez-vous des pièces de vieilles Honda ? » Le concessionnaire est trop content de se débarrasser de stocks qui ne lui servaient plus à rien et notre Néerlandais rentre avec une voiture pleine à ras bord. Arrivé au pays, les 120 € qu’il a investis se transforment rapidement en 1 000 €. Ni une ni deux, il loue une fourgonnette et retourne en Angleterre pour faire la tournée des vendeurs de Honda. Pendant trois ans, il va écumer la Perfide Albion et ramener plus de 1 500 cyclos aux Pays-bas. Achetés 60 €, il les revend 1 000 €, je vous
laisse faire le calcul. Michael a fini ses études et, pragmatique, il réinvestit ses gains : peu passionné par son travail de représentant en granules de plastique, il achète un stock de pièces anciennes mais neuves (les Anglais disent New Old Stock ou NOS) et le déballe dès son retour, à l’occasion de la bourse d’utrecht. « Les gens me sont littéralement tombés dessus et en une journée, j’ai vendu 12 000 € de pièces que j’avais payées 1000 € » , nous précise-t-il tout sourire, la calculette à la main ! On est en 1996 et Michael décide de créer CMS. Il organise tout ça dans sa maison en triant les pièces par numéros de série. « À l’époque, je n’avais pas d’ordinateur et tout a été fait à la machine à écrire. » Puis il fait des photocopies et envoie ces listes par courrier. N’oubliez pas qu’en ce temps-là, il n’y a pas de téléphone portable. Il commence à se faire connaître en Europe lorsqu’un ami Américain lui demande si Internet lui dit quelque chose, un système qui pourrait lui permettre de diffuser ses pièces dans le monde entier. « J’ai pris contact avec les spécialistes néerlandais, j’ai rapidement eu une adresse électronique puis j’ai investi dans un appareil photo digital qui coûtait alors une fortune et
« LES GENS ME SONT TOMBÉS DESSUS ! EN UNE JOURNÉE, J’AI VENDU 12 000 € DE PIÈCES QUE J’AVAIS PAYÉES 1 000 € »
CMS a pris son vrai départ. » Fini, les photocopies et les courriers, Michael entre de plain-pied dans le XXIE siècle. Mieux encore, il crée rapidement un site avec une base de données, le tout premier dans le domaine de la pièce détachée moto, avant même certains constructeurs ! Au fil du temps, il va faire évoluer son site et le refondre entièrement en 2004 lorsque les pièces apparaissent à l’écran. Parallèlement, le stock a augmenté et CMS a dû déménager. Il fait construire un bâtiment en 2002 qu’il fera agrandir cinq ans plus tard. Car notre homme ne se contente plus de l’europe pour dénicher ses pièces : il voyage sur les cinq continents et en ramène des tonnes du Japon et des États-unis par exemple. Aujourd’hui, sa société propose 2 000 000 de pièces sur plus de 10 000 m2 et emploie 35 personnes à plein-temps.
« C’est moi qui charge les camions »
Dans un autre domaine, CMS devient célèbre pour ses publicités mettant en scène de très belles femmes « courtes vêtues » chevauchant de vieilles Honda. Un fantasme ? « Non pas vraiment, répond-il en souriant. Ma femme me satisfait pleinement mais en tout cas, à cause de ces images, une association féministe française (Les Chiennes de garde) m’a causé des ennuis. » Rassurez-vous, depuis, tout s’est arrangé. Au fil du temps, Michael se rend compte que certaines pièces d’origine sont devenues introuvables comme par exemple les quatre pots des CB 750. Il décide alors de se tourner vers les fournisseurs historiques de Honda pour commander des refabrications : « J’ai essuyé des refus car ces pièces sont la propriété de Honda, on appelle ça des pièces captives. » Pourtant, à force de chercher, Michael a fini par trouver des artisans qui réalisent de fidèles répliques qui se vendent comme des petits pains. CMS est encore en plein développement et Michael va agrandir ses locaux car il ne cesse d’acheter des pièces partout dans le monde. Il compte aussi ouvrir un musée pour y exposer sa collection qui regorge de modèles rares : « Bien souvent, lorsque je vais voir
« JE DÉNICHE SOUVENT DES TRÉSORS OUBLIÉS DANS DES CAVES, DES PROTOTYPES ENVOYÉS PAR LES USINES »
un concessionnaire qui désire vendre son stock, je tombe sur des trésors dans sa cave, parfois des prototypes prêtés à l’époque par l’usine et oubliés là. » Entre ses locaux flambant neufs, sa collection de Formule 1 (à moteur Honda, comme il se doit), l’aide qu’il apporte à l’écurie de Motogp LCR, on pourrait penser que Michael se contente de compter ses dollars. Pas vraiment : « L’an dernier, j’ai été absent de chez moi 6 mois à la recherche de pièces ou de fournisseurs et la plupart du temps, c’est moi qui charge les camions pour emmener les pièces. » Et puis lorsque je lui demande quelle moto il emmènerait s’il n’en avait qu’une seule à choisir, contre toute attente et alors qu’il possède des modèles uniques, il me répond la CB 450 « dans son jus » qu’il utilise tous les jours. Comme quoi, malgré la réussite, notre Michael a su rester simple.