Moto Revue Classic

1972, Patrick teste une H2. En 2011, il en achète une et le rêve vire au cauchemar...

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Au tout début des seventies, mes potes du MC 95 roulaient sur les plus grosses bécanes que les boîtes de crédit leur permettaie­nt de se payer. C’est pour ça que les rencarts du vendredi soir au bistro où nous refaisions le monde étaient l’occasion de détailler les dernières nouveautés en matière de gros cubes. L’énorme surprise créée par la CB 750 était passée depuis pas mal de temps, même si la Four demeurait un rêve pour beaucoup, à commencer par moi, et les 750 Norton, Laverda SF, Yam’ TX et autres bêtes à chagrin ne m’emballaien­t pas plus que ça. Je restais sur ma faim jusqu’à ce que débarque un ovni nommé Kawasaki H2. Présentée fin octobre 71 au Salon de Tokyo, elle avait été tout de suite disponible aux States où elle avait d’emblée fait un tabac et forgé sa réputation de rebelle avant de débarquer chez nous. Aussi, quand mon ami Pierrot, fatigué de me voir baver devant sa H2 bleue garée devant le troquet, m’a tendu les clefs en me proposant d’aller faire un tour avec, l’image de tous ces mecs en wheeling, cramponnés au gigantesqu­e guidon type US, m’est revenue à l’esprit et j’avoue avoir hésité, mais par peur de passer pour un dégonflé et surtout de rater une occasion inespérée de poser mon cul sur la bête, j’ai fini par accepter, tout en promettant de faire gaffe quand même… Habitué à démarrer les gros monos quatretemp­s les plus rétifs au jus de savate, je n’ai eu aucun mal à lancer le trois pattes et c’est là que je suis entré dans une autre dimension. La 750 émettait un boucan presque effrayant, alliant vibrations en tous genres, crise d’épilepsie de la segmentati­on et bruit d’échappemen­t au-dessus des moyennes connues. Pourtant habitué aux motos carrément bruyantes sur le plan mécanique, j’atteignais des sommets plutôt incongrus venant d’une production japonaise ! Mais je me suis retrouvé roulant cool au bord du lac d’enghien et j’ai été bluffé par la docilité de cette machine présentée par beaucoup comme une brute épaisse, et qui, au contraire, acceptait de reprendre dès 3 000 tours avec une onctuosité de grande routière et se montrait fort accueillan­te, avec sa selle longue et le guidon plat dont elle était équipée. Bien entendu, le fait de circuler en ville et peut-être la trouille ne m’avaient pas vraiment donné l’occasion d’envoyer la sauce au-delà de 5 000 tours, mais c’est plus que conquis que j’avais restitué – à regret – la belle bleue à son légitime propriétai­re. Il y avait belle lurette que je ne pensais plus à ma courte virée au guidon de la H2 qui représenta­it à l’époque, avec ses 11 000 francs, plus que je ne pouvais raisonnabl­ement espérer mettre dans le commerce lorsque début 2011, soit une quarantain­e d’années plus tard, le destin m’a fait un clin d’oeil appuyé. Alors que je buvais un café chez les Rochefort, à St-germain-lès-arpajon, Claude m’a appris qu’il allait mettre en vente la 750 H2 avec laquelle il venait de remporter les 750 Classic en championna­t de France VMA. Durant le voyage de retour, je n’ai pas cessé de cogiter et le lendemain, je l’ai appelé pour lui annoncer mon intention d’acheter sa moto. Était-ce bien raisonnabl­e ? Sans doute pas, mais je pensais que le vieux rêve de 1972 allait enfin se réaliser. Je savais que la H2 que Claude avait achetée en morceaux fin 2007 avait participé au Bol d’or Classic avant le VMA et subi pas mal de modificati­ons, comme le montage d’une fourche et d’un bras oscillant de RDLC, de roues à branches de 18 pouces, de pots de détente Lomas, pour ne parler que de ce qui se voit et qu’elle marchait très fort, surtout avec un bon pilote dessus… Une belle barbouille (JRM Colors) et roulez jeunesse, je me suis retrouvé au départ des premières courses de la saison avec la H2. Immédiatem­ent, j’ai commencé à déchanter. Mes souvenirs de la machine d’origine, docile et facile à mener, avaient été remplacés par la dure réalité : un engin brutal et exclusif, demandant une conduite en force et pardonnant peu. « Tu la fous sur les pots et tu ouvres à fond, tu vas finir par y arriver » , m’avait dit en substance Claude quand je lui avais parlé de mes difficulté­s à manier la Kawa. Au bout de deux ans d’efforts et quelques chutes, je l’ai vendue, sans état d’âme, en grande partie sur les conseils avisés de mon pote José Moyano qui avait tenu à boucler quelques tours derrière moi sur le circuit de Haute-saintonge pour voir, avant de m’affirmer : « Tu vas finir par te faire mal avec ce truc ! » Je ne regrette rien : encore un rêve réalisé trop tard…

« IMMÉDIATEM­ENT, J’AI COMMENCÉ À DÉCHANTER. MES SOUVENIRS AVAIENT ÉTÉ REMPLACÉS PAR LA DURE RÉALITÉ »

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 ??  ?? Patrick Tran Duc, journalist­e, pilote sur circuit et dans les chemins, mais aussi frère du regretté Fred, nous ouvre sa boîte à souvenirs.
Patrick Tran Duc, journalist­e, pilote sur circuit et dans les chemins, mais aussi frère du regretté Fred, nous ouvre sa boîte à souvenirs.

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