Si la Norton Commando a connu une belle carrière, sa genèse, elle, fut agitée.
Si la Norton Commando a connu une belle carrière de 1968 à 1977 et qu’elle est aujourd’hui très recherchée, sa naissance a pourtant été agitée. Récit.
Depuis 1960, Norton est devenue la propriété D’AMC (Association Motor Cycles), un consortium regroupant les marques AJS, James, Francis-barnett et Matchless. Norton a quitté l’usine historique de Birmingham en 1963 pour celle D’AJS située à Plumstead, dans la banlieue de Londres. Trois ans plus tard, en1966, AMC est repris à son tour par Manganese Bronze, qui avait déjà acquis auparavant la marque Villiers. La nouvelle entité prend le nom de Norton-villiers et Dennis Poore est nommé à sa tête. Le besoin impératif d’un nouveau modèle est plus évident que jamais. L’atlas, sortie en 62, a vu ses ventes s’effriter à cause d’un niveau de vibrations aussi pénalisant pour l’agrément de conduite que pour la fiabilité. Pour lui succéder, Poore pense dans un premier temps à ressortir des cartons le projet P10 vieux de cinq ans, élaboré par Charles Udall. Il s’agit d’un twin de 800 cm3 à double ACT à carter unique enfermant embiellage et boîte de vitesses. Le tout est destiné à être monté dans le fameux Featherbed modifié.
Des chiffres très optimistes
Stefan Bauer, débauché de chez Rolls Royce pour prendre le poste de directeur technique, assisté de Bernard Hooper et Bob Triggs, reprend le projet P10 mais le prototype est vite recalé pour cause de vibrations excessives. Le temps presse et les budgets sont limités, les finances du groupe n’étant pas au mieux. On ébauche un peu en catastrophe un autre projet, moins coûteux et plus réaliste, consistant à placer un moteur d’atlas dans un cadre capable d’absorber les terribles vibrations du 750 twin. Hooper et Triggs créent l’isolastic et s’acquittent du travail de mise au point en un temps record. Parallèlement, le design du futur modèle est confié à Wolf Ohlins, une agence de publicité très à la mode mais totalement étrangère à la moto, qui imagine la silhouette très originale de la Commando. Sa présentation officielle a lieu à Earls Court à la fin 1967 et sa commercialisation démarre en 1968. Son moteur reste très proche de l’atlas, un vertical twin dont les origines remontent à l’immédiat après-guerre. En effet, le fameux Model 7, qui prendra plus tard le nom de Dominator, conçu par l’ingénieur Bert Hopwood présente dès 1948 l’architecture du futur Commando. On trouve déjà le vilebrequin assemblé en trois éléments, les sorties d’échappement
très écartées pour favoriser le refroidissement, l’arbre à cames situé devant le cylindre et entraîné par chaîne et pignons. Né avec une cylindrée de 497 cm3 (66 x 72,6 mm), il prendra place dans le cadre Featherbed avec la 88 en 1952 et sera porté à 596 cm3 en 1956 pour la 99. Il subira une nouvelle augmentation de cylindrée en 1961 pour la SS 650 puis gagnera 100 cm3 supplémentaires un an plus tard à l’occasion de la sortie de l’atlas 750 (745 cm3 exactement). En quinze ans, le bicylindre a donc vu sa cylindrée s’accroître de 50 % et sa puissance pratiquement doubler. Mais les vibrations handicapent la carrière de l’atlas, jugée peu agréable et fragile. Malgré tout, Norton n’a pas d’autre solution que de reprendre cette mécanique vétuste. Le carter droit a gardé sa forme caractéristique bien que la magnéto ait été remplacée par l’allumeur et le mécanisme d’avance Lucas. Les soupapes forment un angle de 58° et le taux de compression grimpe à 8,9 à 1 (il était de 7,6 sur l’atlas). Différences majeures par rapport à l’atlas : les conduits dans la culasse sont un peu différents, les soupapes sont plus grandes et l’arbre à cames a un profil revu. La 750 Commando est annoncée pour 60 chevaux à 6 800 tr/min et un couple de 6,6 mkg à 5 000 tr/min, des chiffres très optimistes, la vérité devant se trouver autour de 50 chevaux. La boîte de vitesses, conçue dans les années 30 pour encaisser une trentaine de chevaux, a du mal à suivre et causera bien des soucis. Elle reçoit le mouvement du moteur par le biais d’une chaîne Triplex dont la tension s’effectue grâce à un tirant fileté qui permet de reculer la boîte. La partie-cycle abandonne le fameux Featherbed souvent encensé pour ses qualités, Hooper et Triggs ont imaginé un cadre inédit dans lequel le moteur et la transmission sont fixés à des articulations élastiques. Cela, bien
NORTON N’A PAS D’AUTRE SOLUTION QUE DE REPRENDRE LA MÉCANIQUE VÉTUSTE DE L’ATLAS
sûr, dans le but d’isoler la mécanique et d’empêcher le travail dévastateur des vibrations. Celles-ci ne sont perceptibles que jusqu’à 2 500 tr/min, seuil au-delà duquel elles disparaissent comme par enchantement.
Le montage élastique limite les vibrations
L’originalité du système Isolastic réside dans le fait que c’est tout le groupe propulseur (moteur, boîte de vitesses, échappements, transmission secondaire, bras oscillant et roue arrière) qui est isolé du cadre. Il est relié à ce dernier par trois points aussi éloignés que possible. Le point supérieur est constitué de blocs caoutchouc associés à des armatures métalliques. Ces éléments élastiques, qui présentent une souplesse importante dans le sens vertical, contrôlent le déplacement latéral de la partie haute du moteur et les contraintes de torsion. Quant aux deux fixations inférieures, elles consistent chacune en un tube de gros diamètre situé à l’avant du carter moteur pour l’une, sous les platines de liaison du moteur à la boîte et à l’articulation du bras oscillant pour l’autre. Chaque tube renferme deux jeux de bagues en caoutchouc qui offrent un amortissement à flexibilité dégressive avec le débattement. Ce montage élastique permet au moteur de vibrer dans un sens vertical mais limite les mouvements latéraux afin de préserver une bonne tenue de route. Pour assurer ce guidage indispensable, des entretoises calées entre Isolastic et cadre permettent de régler le jeu avec précision. Trop serrées, les vibrations reviennent, trop de jeu et la tenue de route devient dangereuse. Inconvénient du montage, les opérations de réglages sont fastidieuses. Elles le seront encore plus après 1970 lorsque la béquille centrale vient se fixer sur les platines et non sur le cadre. Conséquence, beaucoup de Commando rouleront avec de mauvais réglages d’isolastic, ce qui suscitera des avis extrêmement divergents sur les vertus du système. Le cadre proprement dit est constitué d’une poutre maîtresse de 58 mm de diamètre qui relie la colonne de direction à la fixation souple arrière. Sur les premiers modèles, cette poutre était étayée par une courte tôle en U mais fut vite remplacée (mars 69) par un tube horizontal plus long. La fourche est la célèbre Roadholder et les combinés arrière des Girling. Le freinage est assuré par un tambour double came
de 203 mm à l’avant et un simple came en fonte de 177,5 mm à L’AR. La première Commando possède un réservoir de 15 litres en fibre de verre et est annoncée pour un poids à sec de 185 kg. La sortie de la Commando fait grand bruit. Surtout en Angleterre, où la presse s’enflamme pour ce nouveau fleuron de l’industrie britannique. « C’est l’anglaise la plus rapide, la plus douce et la plus chère » , annonce Motor Cycle News en introduction du premier essai publié dans son numéro du 29 mai 68. Douceur de fonctionnement, tenue de route, performances sont évoquées en termes élogieux. La moto est chronométrée à 120 miles (192 km/h). En position assise, l’essayeur accroche un impressionnant 110 miles (176 km/h) alors que le 1/4 de mile départ-arrêté est parcouru en 12’8. Et dans les pages qui suivent, Mike Wilson conclut son analyse technique en affirmant qu’avec « cette machine, l’équipe Norton Villiers reprend indiscutablement le leadership en matière de grosse cylindrée » .
« Les ingénieurs avaient pris les bonnes options »
Moins euphorique, la presse non anglaise se montre quand même impressionnée par la Commando. C’est une machine qui fascine, fait rêver les purs et durs pour qui elle devient une sorte de must. La nouvelle génération de motards, celle qui a fait ses armes sur les petites japonaises, trouve que la Norton est restée trop anglaise. Difficile à se mettre en main, compliquée, capricieuse. Et puis des rumeurs de fragilité commencent à circuler. Conçue rapidement, la Commando souffre d’une validation hâtive et d’une politique de réduction des coûts de fabrication qui a conduit à faire des économies aux conséquences funestes. Le twin longue course n’apprécie pas les hauts régimes que le pilote exploite sans se méfier en l’absence de vibrations. Mauvais choix de roulements pour le vilebrequin comme pour la boîte, carters insuffisamment rigides, mauvais contrôle de l’avance à l’allumage, circuit d’huile imparfait, embrayage faible, joint de culasse réalisé dans un matériau
inadéquat, électricité défaillante, les sources d’incidents sont nombreuses et pas bénignes. Comme nous l’explique Laurent Romuald de Machines et Moteurs : « La conception est rarement en cause. On s’aperçoit en étudiant l’historique des Commando que la plupart des faiblesses avaient des solutions toutes trouvées, tout simplement parce que les ingénieurs avaient pris les bonnes options dès le début. Le problème vient du fait que, pour réduire les coûts de fabrication, on n’a pas toujours suivi leurs préconisations et préféré se rabattre sur des composants de moins bonne qualité, ou inadaptés, des montages simplifiés mais imparfaits. Deux exemples. Il faut attendre la 850 MK3 de 75 pour qu’apparaisse le réglage “externe” de l’isolastic, alors que les deux ingénieurs à l’origine du système l’avaient inclus dans leur projet. Le cas du moteur Combat est encore plus parlant. Sa fragilité provenait du calage insuffisant du vilebrequin par la faute d’un roulement à rouleaux côté allumage, alors que le concepteur avait prévu un autre type de roulement, plus cher mais adapté. » Des exemples que l’on pourrait multiplier et qui expliquent la piètre image de la Commando face à une concurrence qui imposait des critères de fiabilité proches de ceux de l’industrie automobile. Ces considérations sont moins cruciales pour un achat envisagé sous l’angle de la collection et d’un usage de pur agrément. Les tares chroniques sont aujourd’hui bien connues et susceptibles pour la plupart d’être soignées. Mais surtout, depuis l’arrêt officiel de la production en 77, les spécialistes de tous horizons n’ont cessé de travailler à fiabiliser les Commando, à les rendre plus faciles et plus agréables.
LA SORTIE DE LA COMMANDO FAIT GRAND BRUIT. SURTOUT EN ANGLETERRE, OÙ LA PRESSE EST DITHYRAMBIQUE