Moto Revue Classic

BMW R90 S-R69 S

Chaque grande lignée des BMW d’après-guerre a eu droit à sa version “S”. La série 2 a eu la R69S et la série 6 la R90 S, deux motos qui ont profondéme­nt marqué leur époque.

- Texte : Éric Doxat - Photos : Fabrice Berry

Les versions « S » de deux motos qui ont profondéme­nt marqué leur époque.

Au café de ma tante, rue Olivier de Serres dans le XVE arrondisse­ment, il y avait un porteur de journaux. Il apportait les quotidiens dont se délectaien­t les clients du bar, situé juste en face des usines Olida (une immense charcuteri­e industriel­le en plein Paris !), démolies dans le milieu des années 60. Cet homme avait la coutume de garer son attelage, attelé à une toute récente R69 S dont il n’était pas peu fier, devant l’estaminet. C’est sans doute la première moto sur laquelle je suis monté… j’avais six ans. Peu après mes 20 ans, c’est un ami qui me confiait la toute première BMW qu’il me fut donné de conduire : une R90 S qu’il venait d’acquérir et dont il était, lui aussi, très fier ! Les années ont passé, les BM aussi et je me retrouve face aux deux plus émouvantes motos allemandes que j’ai connues. Grâce à deux collection­neurs BMW de Valence, nous avons pu tester sur les routes de la Drôme provençale ces deux beautés qui furent, chacune en leurs temps, les meilleures machines de la production européenne, voire mondiale, en ce qui concerne la R69 S.

« Je la voulais parfaite, irréprocha­ble »

À sa sortie en 60, la concurrenc­e anglaise pouvait rivaliser en vitesse pure mais pas en fiabilité, particuliè­rement en utilisatio­n intensive. Quand, 13 ans plus tard, apparut la R90 S, les Japonais étaient passés par là, l’industrie anglaise allait « tirer le rideau », et les machines italiennes avaient repris le flambeau des pannes à répétition et de l’exclusivit­é. Elle eut un succès largement mérité, bien que sa carrière fût un peu plus brève dans le temps que sa devancière en 600 cm3. Respectabl­e et très élégante dans sa livrée blanche, la R69 S de notre essai appartient à un ancien concession­naire BMW. Elle est en sa possession depuis 1968 et a été refaite par ses soins il y a quelques années. Sa livrée blanche, surlignée de noir par lui-même (mais si !)

est bien évidemment la plus remarquabl­e de toute. Habituelle­ment équipée d’un réservoir en résine de type Hoske, elle est, pour cet essai et à notre demande, pourvue de son réservoir Meier de 24 litres, une option d’époque avec la trappe à outils sur le dessus et les outils qui vont avec. De la selle double aux câbles des commandes, en passant par les roulements ou les rayons de roue, elle est neuve et démarre au premier coup de kick, seul élément disponible pour faire ronronner le 600 sur un ralenti bien rond. La poignée de gaz au tirage assez court permet de faire monter le volume sonore des deux flûtes type Vattier, nettement plus dignes de cette mécanique donnée pour 42 chevaux à 7 000 tours. Toute la mécanique a bénéficié d’un traitement de faveur et tourne comme une horloge. Cet essai nous le confirmera très vite, ainsi que la bonne santé de la partie-cycle et des freins. Dominique, son amoureux proprio, me fait remarquer quelques détails comme : « ... le carter d’allumage spécial à l’avant du bloc qui inclut une prise pour le compte-tours livré en option, les amortisseu­rs avant et arrière complèteme­nt neufs du catalogue Mobile tradition et puis les jantes en alu, une option d’origine. Je la voulais parfaite, irréprocha­ble. Comme en plus, elle trônait au magasin, je ne pouvais pas faire moins. » Philippe, l’heureux propriétai­re de la R90 S et vieil ami de Dominique, intervient : « Tu parles, il est maniaque comme pas permis, cet animal ! Quand on regarde le travail qu’ils ont fait sur ma moto, tu comprends. Et encore, avec celle-ci, je roule sans arrêt, elle a repris de la patine, mais elle était plus neuve que neuve quand ils me l’ont rendue. » C’est vrai que la R90 S de Philippe en coloris Daytona est vraiment l’archétype de la routière sportive de ces années-là.

« IL EST MANIAQUE COMME PAS PERMIS ! QUAND IL M’A RENDU MA R90 S, ELLE ÉTAIT PLUS NEUVE QUE NEUVE ! »

En 74, dans le n° 2165 de Moto Revue, Christian Bourgeois souligne dans son essai : « La BMW, c’est l’anti-mode. Elle n’a pas une présentati­on agressive, mais au contraire, une simplicité qui frise l’austérité. C’est ce qui fait finalement sa classe car la véritable élégance ne se remarque pas au premier coup d’oeil. » Une phrase toujours d’actualité tant la 90 S traverse le temps sans prendre de rides, ou presque. En vérifiant quelques points de détails signifiant que nous sommes bien en présence d’une vraie 90 S (ce dont je n’aurais pas pu douter vu la provenance de la moto), tels les carbus Dell’orto en 38 mm ou le maître-cylindre de freins absent du guidon car caché sous le réservoir, je constate la présence d’une seconde bougie sur chaque cylindre. Philippe m’explique : « Elle avait cet équipement quand je l’ai achetée d’occasion. Comme c’est une améliorati­on très efficace, nous n’avons pas cherché de culasses d’origine. Ça a été fait par un pro, et c’est impeccable. J’ai installé des poignées chauffante­s car je roule beaucoup l’hiver avec et les pots sont des Vattier, indispensa­bles pour avoir l’impression de faire de la moto plutôt que de rouler en deuche ! »

« Je choisis sans hésiter la R69 S »

Voilà un avis qui nous comble mais qu’il faut modérer en précisant que les pots d’origine des années 60 et 70 étaient tout de même plus libres d’expression que ceux des motos du XXIE siècle. La météo glaciaire qui règne dans la vallée du Rhône est placée sous la double influence d’un Mistral violent et d’une températur­e au sol proche de zéro. La neige a noyé les monts du Vercors qu’on entrevoit à l’est, le ciel est si bas et si gris que notre photograph­e avale en permanence des traitement­s homéopathi­ques pour ne pas sombrer définitive­ment. Dominique, coincé par son travail, nous confie sa machine et nous indique le Sud, Montélimar et les collines de Nyons. Philippe, sanglé dans son perfecto et protégé des rafales par son abondante crinière grise, prend sa moto. Une cinquantai­ne de kilomètres plus au sud-est, nous découvrons une route enchantere­sse, sinueuse à souhait et quasiment déserte. Ce sera notre spot photo, établi sur une vingtaine de kilomètres et, après un chocolat chaud,

nous enfourchon­s nos beautés pour entrer dans le vif du sujet. Pour effectuer cet essai quelque peu généalogiq­ue, je choisis sans hésiter la 69 S comme première compagne de route. De plus, j’ai un tel mauvais souvenir d’une R60/2 franchemen­t décatie qui avait tenté à plusieurs reprises de me flanquer par terre, qu’il me faut affronter mes démons sans tarder ! Pour prendre place à bord, pas besoin de lever la jambe trop haut. La selle double signée Denfeld est accueillan­te et souple. Les reposepied­s sont bien placés, légèrement décalés comme il se doit sur un flat longitudin­al et le guidon bas et étroit oblige à plonger vers l’avant sans que la position ne se révèle désagréabl­e. La moto est partie à la première poussette en seconde… Je chauffe gentiment en effectuant quelques passages à basse altitude pendant que Christophe s’équipe… chaudement. Le sentiment immédiat est une excellente maniabilit­é et un très bon ressenti de la fourche à balancier, favorisé par la position de conduite. Les épaules à l’aplomb de l’axe de colonne de direction et les bras fort peu écartés permettent de guider la 69 S avec une précision rassurante. Il ne faut pas hésiter à engager le haut du corps et à prendre de francs appuis sur les pieds, quand à basse allure, elle semble rétive. Ainsi dirigée, elle assure avec zèle les passages en courbe, même les plus lents dans les coins les plus serrés. Équilibrée naturellem­ent par son centre de gravité placé bas, dotée d’une mécanique dont la disponibil­ité réjouit en permanence, elle se livre avec plaisir et ne tarde pas à vous autoriser de rouler plus vite que vous n’auriez imaginé. Incroyable paradoxe pour une moto vieille d’un demi-siècle et dont les dispositio­ns évidentes pour un usage très large et touristiqu­e sont toujours de mise !

Tout à la poignée de gaz et à l’équilibre !

Je comprends mieux Mr Maurice, le motard de presse de mon enfance cité plus haut. Celui qui, au retour de sa tournée, me faisait rêver en prenant le virage de la rue de la Saïda avec la roue de son side-car en l’air… Mis en confiance par ces souvenirs et tant de bonté de sa part, je décide de pousser un peu plus la belle. Elle répond placidemen­t à mes sollicitat­ions multiples et même le frein (mâchoires et cames neuves) endure ce traitement un peu plus sévère que précédemme­nt. À très peu d’endroits, je dois jouer de la boîte de vitesses, le bloc 600 acceptant de reprendre dès 2 500 tours en 4e et allongeant jusqu’à 7 000 sans faiblir à la première côte. Tout à la poignée de gaz et à l’équilibre ! Je suis sous le charme et, grâce à cette moto en parfait état, j’ai l’impression d’essayer pour la première fois une BMW à fourche Earles digne de ce nom. Comme quoi, il ne faut jamais s’arrêter sur un essai fâcheux. Lors d’un arrêt pour l’image, j’emprunte la 90 S. Christophe me précise qu’il n’a absolument pas froid aux mains grâce aux poignées chauffante­s, prélevées sur une BMW moderne (par ce temps, on pardonnera fort bien cette entorse à la restaurati­on d’origine). Je retrouve avec plaisir cette

À L’USAGE, LA R90 S MONTRE UNE LÉGÈRETÉ ET UNE PRÉCISION DE PARTIE-CYCLE IRRÉPROCHA­BLES

moto que je connais bien. Plus haute de selle, la 90 S offre une position idéale au gabarit moyen que je trimballe et les jambes trouvent leur place sans hésitation. Le guidon plat et étroit et le réservoir long donnent un côté sportif avec un buste légèrement avancé vers le cockpit à l’abri du fameux carénage de tête de fourche devenu mythique avec le temps. N’oublions pas que c’était à l’époque une première pour une moto du commerce, le concept a laissé des traces. Deux cadrans ronds à aiguilles, une montre et un voltmètre, des voyants bien placés, on ne pourra reprocher à ce tableau de bord que la position incongrue de la clé de contact. Placée sur la patte de phare gauche, elle est articulée et doit être positionné­e pour l’allumage des feux puisqu’il n’y a pas de contacteur de phare au guidon. Outre la fragilité de cette clé, on s’étonne de son emplacemen­t à une époque où les Japonais avaient déjà des tableaux de bord équipés de serrure au guidon et de contacteur indépendan­t. À l’usage, elle montre dès les premiers mètres une légèreté et une précision de partie-cycle irréprocha­bles. Les suspension­s en bon état participen­t de cette efficacité et très vite, on se sent prêt à faire parler la poudre. L’artifice du double allumage donne une mécanique plus réactive à la poignée de gaz, bénéfician­t d’une allonge supplément­aire en bas et en haut du compte-tours. Là aussi, le tirage court de la poignée de gaz facilite les montées en régime du gros bloc gavé par ces Dell’orto à pompe de reprise dont on ne dira jamais assez de bien. Certes, ils sont plus sensibles au réglage qu’un Bing à dépression mais quel régal à la remise des gaz à mi-régime. Cette 90 S est vraiment parfaite comme ça, et l’idée d’installer une seconde bougie semble être une très bonne option. Des 67 chevaux à 7000 tours d’origine, on tire largement de quoi rouler très vite.

L’une ou l’autre ? Les deux !

Côté freinage, on mesure l’avancée technique des deux disques avant. Puissance et endurance nous plongent dans un autre monde et prouvent qu’en 10/12 ans d’écart, les BMW sont devenues de vraies motos modernes, freinant et tenant aussi bien la route, voire nettement mieux que certaines de leurs concurrent­es nipponnes. BMW a mis les bouchées doubles avec la série 6, tentant de redresser les ventes en baisse à l’époque. On peut sans doute remercier la 90 S d’avoir relancé la marque bavaroise en rajeunissa­nt son image. Plus tard, en 76, la R 100 RS, première moto de série équipée d’un carénage étudié en soufflerie, enfoncera le clou… magistrale­ment. De retour de notre roulage, nous sommes heureux de retrouver la douce quiétude du coin détente du magasin de pneus de Dominique (en fait, un authentiqu­e bar-bistrot décoré comme un vieux garage par Bettie, sa charmante femme, elle aussi passionnée de moto). Et de deviser à qui mieux mieux sur cette superbe journée de moto, sous le soleil et dans le froid. Pour ma part, je ne suis toujours pas redescendu de la 69 S et je presse de questions techniques son propriétai­re qui en sait long sur elle. Bien entendu, la 90 S n’est pas en reste et je félicite son propriétai­re pour l’excellente santé de sa machine. On parle flat-twin, circuit, du Bol d’or de 74 et de l’incurie des mécanos qui ont laissé échapper la victoire promise, de Rennsport et de Walter Zeller et fatalement, vient la question des préférence­s pour l’une et l’autre de ces machines de référence. Ma réponse est toute prête : les deux ! Elles ont tant de charme chacune à leur manière et offrent tellement de plaisirs différents qu’elles sont dignes d’être les seules BMW à posséder pour l’épicurien fortuné. En effet, pour des machines livrées dans cet état-là, difficile d’envisager l’achat économique. En revanche, ce sera celui du long terme et du placement raisonnabl­e à l’abri des tempêtes boursières. Un investisse­ment du type de ceux que l’on transmet sans peine à sa descendanc­e… ❖

ON PEUT REMERCIER LA R90 S D’AVOIR RELANCÉ LA MARQUE BAVAROISE EN RAJEUNISSA­NT SON IMAGE

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2 3 4 1- Dans les petits virages lents et serrés, il ne faut avoir aucune hésitation : ça passe très bien. 2- La R69S pouvait être équipée d’un compte-tours, une option très chic. 3- Sous le carter d’allumage, on voit la prise du compte-tours. 4- Le pont de la 69 S et le pot Vattier.
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