Moto Revue Classic

CONFLIT DE GÉNÉRATION­S

1981, c’est le renouveau en France pour Ducati avec la commercial­isation de la 600 Pantah en même temps que la 900 MHR. Cette dernière prend un coup de vieux malgré son passé prestigieu­x.

- Texte : Peter Wicked

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25 ans déjà que Ducati, firme bolonaise mondialeme­nt connue, proposait deux machines radicaleme­nt opposées : la 600 Pantah et la 900 Mike Hailwood Replica. Cette dernière, vous la connaissez un peu puisque nous avons consacré un dossier-essai à la 900 SS dans notre numéro 9. Car une MHR (son p’tit nom) n’est autre qu’une 900 SS déguisée sous un carénage reprenant les couleurs du drapeau italien. Et pourquoi, donc ? Tout simplement parce qu’un beau matin de 1978, le grand Mike Hailwood effectua un retour gagnant sur son circuit fétiche de l’île de Man au guidon d’une 860 NCR. Trois ans plus tard donc, et alors que le champion britanniqu­e va perdre la vie dans un banal accident de la circulatio­n, la MHR arrive chez nous. Et il se trouve qu’en même temps, Ducati produit une nouvelle moto, la 600 Pantah. Certes, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une nouveauté (la 500 a fait son apparition en 1980) mais bien d’un peaufinage : avec 100 cm3 de plus, elle sera parfaite pensent les Italiens. Parfaite n’est peut-être pas le mot mais en tout cas, la petite Ducati est au moins aussi efficace que la grosse. Venons-en au fait et au pourquoi de cette « confrontat­ion ». Tout simplement parce que ces deux Ducati représente­nt deux époques, voire, en exagérant, deux siècles différents. Ben oui, après des années de distributi­on par couples coniques, Fabio Taglioni, le chef technicien de l’époque, se lance dans l’aventure de la distributi­on par courroie crantée. Courroie certes, mais ce n’est pas pour autant qu’il sacrifie la distributi­on desmodromi­que qui, vu les progrès de la métallurgi­e, ne se justifiait plus vraiment à l’époque. Mais bon, Taglioni n’en démord pas et il est d’ailleurs marrant de constater que 25 ans après, la moto de Capirossi en Motogp perpétue la tradition.

Le nec plus ultra des couples coniques

Une fois n’est pas coutume, parlons un peu politique. Car durant les difficiles années 70 en Italie (dites années de plomb) ponctuées de grèves et d’attentats (dont le plus sanglant a eu lieu en 1980 à la gare de Bologne), la Ducati Meccanica s’est retrouvée en bien mauvaise posture. Elle n’a dû son salut qu’à la nationalis­ation et donc aux subvention­s de l’état italien car à cette époque, et aujourd’hui encore, Bologne est un bastion du Parti communiste italien d’enrico Berlinguer, deuxième force politique avec la Démocratie chrétienne. Donc en 81 – date de sortie des deux machines essayées dans ces pages –, rappelons-le, Ducati fait encore partie du groupe VM qui comprend également Alfa Romeo, Spica et Isotta-fraschini. 8 000 motos sortent des chaînes de Borgo Panigale (banlieue de Bologne) dont 85 % partent à l’étranger et donc une bonne partie en France. « En 1980, les 600 ouvriers ne se sont pas trop mis en grève et ils ont produit quasiment autant de 900 que de 600 mais en 81, le Pantah devait devenir prioritair­e, expliquait à l’époque Fabio Taglioni à la presse. La plupart des machines-outils utilisées sont prévues pour le montage des deux motos par simple changement des outils. En règle générale, nous faisons

LES DEUX FAUSSES JUMELLES SONT CÔTE À CÔTE ET EN STATIQUE, C’EST LA MHR QUI MARQUE LES PLUS GROS POINTS

en alternance (en gros tous les 15 jours) une série de Pantah et une série de 900. » Faute de plaine du Pô, on se retrouve à la Haye-pesnel, petite bourgade située dans la Manche, à un jet de pierre du Mont-saint-michel. Les deux fausses jumelles sont côte à côte et en statique, c’est la MHR qui marque les plus gros points. Putain qu’il est beau ce carénage ! On songe au gars qui l’a dessiné un beau matin, comme ça, à main levée sans décoller le crayon de la planche à dessins, un peu comme dieu lorsqu’il a créé Ève… On s’égare. En fait, ce carénage tout comme le réservoir sont des copies à peu près conformes des éléments des machines de course, les fameuses 860 NCR. En revanche, la selle et son dosseret démontable sont quasi-identiques à ceux de la Pantah. Et c’est tout de suite moins beau. Vous me direz, les goûts et les couleurs... mais sincèremen­t, je n’ai jamais été vraiment fan du design de la Pantah. Il faut dire qu’après des années de classicism­e (quoi de plus pur qu’une 900 SS noir et or ?), Ducati s’adonnait aux angles vifs. La 860 GT dessinée par Giugiaro avait laissé des traces. Mais après tout, comme avec la nouvelle distributi­on, il fallait faire moderne pour séduire une plus grande clientèle. Puisqu’on parle de la Pantah, grimpons-lui dessus. Damned, autre concession au modernisme : le kick a disparu au profit d’un démarreur électrique. Dommage, d’autant qu’à cette époque, les circuits électrique­s italiens étaient loin d’être irréprocha­ble… En même temps, vu le poids de l’engin, il n’y a pas grandes difficulté­s à démarrer à la poussette. Revenons à nos moutons. La 600 est équipée de guidons-bracelets et de commandes reculées et pourtant, on ne se retrouve pas plié « comme un cartable » comme on peut l’être sur une hypersport japonaise (la GSX-R arrive en 1985, c’est bientôt). Il aurait été parfait de monter les bracelets au-dessus du té de fourche mais bon... C’est parti pour un petit tour sur les routes normandes. Surprise, j’ai l’impression de connaître cette moto par coeur ! Moi qui utilise une 750 SS de 91 quasi quotidienn­ement, je suis à peine dépaysé. Vite, sauter sur la 900 pour voir ce que ça donne. Gasp, j’aurais dû dire « dans la 900 », tant il faut prendre garde de placer ses jambes entre le carénage et les échancrure­s du réservoir. Y’a pas, c’est bien une 900 : grosse, longue, lourde par rapport à la 600. Les premiers tours de roues confirment : le sélecteur a beaucoup plus de débattemen­t que sur la petite. Les montées en régime sont plus lentes,

même si on sent qu’il y a plus d’allonge. Et puis, dès que ça tourne un peu, on perçoit que la 600 s’en sortira encore mieux. Bref, pas la peine de vous faire un dessin, en usage sportif, la petite fait jeu égal avec la grande. C’est bien pour cela qu’en 82, Taglioni comptait produire plus de Pantah. Maintenant, plaçons-nous dans le contexte de 2006. Déjà, côté budget, ce n’est pas tout à fait la même chose, voire du simple au double. Normal, série quasi limitée, la MHR représente le nec plus ultra en termes de couple conique, tandis que la 600 permet à Ducati de passer le cap des années 70 en attendant les frères Castiglion­i et l’ère Cagiva. Et puis quoi, celui qui va se payer une MHR aujourd’hui va en faire une machine de collection. C’est-à-dire, comme Dominique, son propriétai­re actuel, que l’on sortira de temps en temps (y compris pour aller à Misano au Word Ducati Week-end) mais l’on gardera bien d’aller faire « péter des chronos » sur une île quelconque. La meilleure preuve, c’est qu’une des tares de la MHR reste son carénage qui a une fâcheuse tendance à traîner par terre dès que l’on attaque un peu trop. Mais vous en connaissez beaucoup vous, des possesseur­s d’anciennes qui redécouvre­nt les défauts des machines d’antan ? Moi pas, ou alors ils préparent la MHR pour la piste et s’inscrivent aux journées Ducati.

« Je ne lâche pas et je recolle Read »

À l’inverse, avec 35 ans de recul, on redécouvre une Pantah aux qualités routières étonnantes. Car de la même manière, les défauts de la 600 se sont estompés : après tout, la position n’est pas si exclusive car contrairem­ent à 1981, on ne part plus pour des milliers de kilomètres avec armes et bagages. Du coup, la Pantah fait partie de ces classiques utilisable­s au quotidien avec cependant deux bémols : le rayon de braquage très réduit et la raideur des suspension­s. Et là, il faut retourner à notre interview de Fabio Taglioni et à ses réponses concernant ces deux points : « Quand un guidonnage survient, mieux vaut avoir des butées à 30°, voire à 15°, plutôt qu’à 45° de la position neutre. » Et si ça n’était pas très clair, Taglioni mimait tout cela avec des gestes très évocateurs. Et encore : « Pour nous, une moto ne peut tenir la route qu’avec des suspension­s fermes. Nous avons testé des suspension­s souples, c’est désastreux. » Et peu importe si la course n’a rien à voir avec la route. Malheureus­ement pour Ducati, les Japonais arrivaient déjà à produire, à cette époque, des motos sportives confortabl­es avec d’excellents rayons de braquage. Mais comme en Italie, les traditions ont la vie

« POUR NOUS, UNE MOTO NE PEUT TENIR LA ROUTE QU’AVEC DES SUSPENSION­S FERMES » FABIO TAGLIONI

dure, ma 750 SS dispose toujours d’un rayon de braquage ridicule… D’ailleurs, puisqu’on parle de Ducati modernes, il est bon de souligner que les moteurs deux soupapes d’aujourd’hui proviennen­t en droite ligne du Pantah 500 présenté en 77 : bientôt 30 ans de bons et loyaux services qui prouvent les qualités de conception de ce moteur. Le couple conique, lui, va poursuivre sa carrière jusqu’en 86 dans une version « Mille » qui héritera d’un alésage et d’une course retouchés (88 x 80 mm), permettant de monter la cylindrée à 972 cm3 : juste de quoi obtenir trois chevaux de plus à 300 tours de moins. Pour l’occasion, la Mille adopta de nouvelles jantes alors qu’il est intéressan­t de constater qu’entre la 600 et la 900, celles-ci étaient identiques. Tout comme la fourche, les freins et le tableau de bord. Ce dernier étant d’ailleurs de provenance japonaise (Nippondens­o). En revanche, pour l’instant, on faisait encore confiance aux fournisseu­rs historique­s : Dell’ Orto, Marzocchi, Brembo, Marelli et FPS. Hitachi (allumage), Showa (fourche) et Mikuni ne s’imposeront qu’avec l’ère Cagiva. Je reprends la 900 pour en avoir le coeur net, ça tombe bien puisqu’une succession de grandes courbes se profilent à l’horizon. Je rentre une vitesse, histoire de faire prendre des tours au bicylindre en Vé et là, Phil Read en profite pour me passer avec sa 1000 RCB. Je ne lâche pas et je le recolle. 130 km/h, c’est largement au-dessus de la limite, mais que c’est bon. Dans les grandes enfilades, la MHR est littéralem­ent aspirée par la trajectoir­e. Quelle fabuleuse machine à sensations, tout à fait à la hauteur de la réputation de Mike-the-bike. Cependant, même si elle n’a pas gagné le TT, la Pantah a fait le bonheur des participan­ts de coupes du même nom dans les années 80 et elle a même accroché à son tableau de chasse la Yam’ 350 RDLC lors de confrontat­ions avec les Gauloises boy. Aujourd’hui, pour moitié moins d’euros que la MHR, elle reste une moto incontourn­able dans l’histoire Ducati à un tarif encore raisonnabl­e. Si j’étais vous, selon la formule consacrée, je n’attendrais pas trop… ❖

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Photos : Fabrice Berry
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1- Sur la 900, le tableau de bord est identique à celui de la 600 mais la position est encore plus « course ». 2- Sur la MHR, le V-twin s’exprime à travers deux pots Conti. 3- Le plexiglas permet d’admirer le couple conique. 4- Sur les premiers mètres, la Pantah peut se laisser surprendre mais après... 4
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