FREDDER 500
Fred Walmsley, l’un des meilleurs préparateurs anglais de Norton Manx, s’est concocté une Bobber qui fait tourner les têtes et arrache les bras.
Fred Walmsley, docteur ès Norton Manx, s'est concocté une Bobber qui arrache les bras.
Fred Walmsley est surtout connu pour les répliques de Norton Manx et Matchless G50 qu’il a confiées à des pilotes comme Barry Sheene, Wayne Gardner, John Mcguinness et d’autres stars du passé et du présent ces 25 dernières années. Ensemble, ils ont remporté des douzaines de courses historiques à travers le monde, du Royaume-uni à l’australie. Quelle surprise donc lorsque j’ai découvert qu’il avait cédé à la mode pour réaliser une Bobber. « J’ai toujours aimé ce genre de choses, admet Fred Walmsley, depuis le début des années 60, quand à 14 ans, j’ai construit ce que l’on appelle aujourd’hui un VTT à partir de ma poussette ! J’ai longtemps eu l’idée de construire une Bobber, mais ce n’est que lorsque je suis tombé sur une moto idéale, il y a environ deux ans, que j’ai finalement réussi à la monter correctement. » Cette moto idéale était une Norton Model 19 de 1952, un monocylindre de 600 cm3 à soupapes culbutées construit à partir de 1933 et principalement destiné à tracter des side-cars. Car Walmsley n’avait pas l’intention d’utiliser son moteur à longue course comme base pour son Bobber, il avait juste besoin des dimensions de ce cadre pour installer un moteur Manx double arbre à cames en tête adapté à une utilisation routière.
« Essayez de rattraper mes bécanes ! »
Vous ne vous attendiez pas à ce que le roi des préparateurs de Norton de course monte un moteur Norton ordinaire tout de même ? Au fait, vu qu’il s’appelle Fred et pas Bob, il a simplement baptisé sa moto Fredder… « Dans les années 60, j’ai couru en Formule 3 avec une Cooper équipée d’un moteur Norton Manx longue course doté d’un gros cylindre Alfin typique de cette époque. Comme il était placé derrière le pilote, il n’y avait pas assez d’air pour le refroidissement par rapport à une moto, explique Fred. J’ai toujours aimé son allure avec ses ailettes de cylindre charnues. Je pense que sur les Norton à longue course, les cylindres ont l’air d’être anorexiques alors que le moteur à grosses ailettes me fait penser à un bulldog qui gonfle sa poitrine ! En fait, j’ai fait fabriquer mes propres cylindres avec des ailettes un peu plus volumineuses, afin de faire correspondre la culasse à longue course avec la boîte à cames. » Techniquement,
Walmsley a construit un moteur Manx Norton d’usine identique à celui avec lequel le champion du monde Geoff Duke a défendu son titre en 1952. Pour ce faire, il a pris une réplique de carters Norton en magnésium à longue course (avant 1953), montés avec son cylindre spécial à grosses ailettes et dont l’alésage a reçu un traitement au Nikasil. Mais plutôt que de conserver l’alésage et la course d’origine, il a choisi l’architecture « carrée » de 86 x 86 mm du moteur d’usine de Duke. Fred a alors utilisé un vilebrequin moderne d’une seule pièce à paliers lisses Cosworth, avec une bielle en acier Carrillo surmontée d’un piston Omega forgé. « Le piston est un hybride de même forme hémisphérique que le piston Norton à longue course mais avec un squish, comme sur une G50 » , explique Fred. La culasse est fabriquée par Molnar Engineering à l’aide d’une chambre de combustion spéciale adaptée au piston hybride mais aux angles de soupapes adaptés. Par ailleurs, Fred nous révèle l’un de ses secrets : « Sur mes moteurs Manx, le volume et la surface des conduits d’échappement sont probablement 50 % inférieurs à ce que faisait Norton à l’époque. Ils sont très petits et les gens disent que ça ne peut pas marcher. OK, mais essayez donc de rattraper mes bécanes sur la piste ! » Ces soupapes plus petites sont commandées par des ressorts en épingle, normalement une bonne recette pour que l’huile éclabousse vos bottes et même le pneu arrière. « J’ai utilisé des ressorts en épingle parce qu’ils sont beaux et que vu la technique utilisée, ils ne laissent pas passer d’huile, détaille Fred. L’un de mes amis était responsable des ateliers d’outillage de British Aerospace, ici à Preston, avant de prendre sa retraite. Il alèse les guides de soupapes sur une fraiseuse vraiment précise et on a aucune
LE MOTEUR À LONGUE COURSE SEMBLE ANOREXIQUE QUAND CELUI À GROSSES AILETTES A DES AIRS DE BULLDOG
fuite. » Le moteur de la Fredder développe 55 chevaux à 8 000 tr/min à la roue arrière sur le banc de puissance de Frank Wrathall, importateur Dynojet, situé juste en face de l’atelier Walmsley. Ça s’explique en partie par le fait que notre homme utilise des arbres à cames compétition qui, à l’origine, provenaient de chez Reg Dearden, le concessionnaire légendaire de Manchester qui récupérait de nombreuses pièces à l’usine Norton. « Quand Dearden a arrêté la compétition, ses pièces ont été achetées par l’un de mes amis, Eric Biddle, et j’en ai récupéré une partie. La puissance est supérieure à celle du Norton-walmsley à longue course (79 x 100 mm) que le duo John Mcguinness-glen English a mené à la victoire lors du Goodwood Revival 2016. Le moteur de la Fredder prend 8 000 tr/min et 2 chevaux de plus que les Norton Manx à course courte construites jusqu’en 1962. Les Manx “carrées” (86 x 86 mm) ne prenaient que 7 200 tr/min, à cause des cames utilisées par Norton. »
Le son qui sort du mégaphone pourrait réveiller un mort !
Le taux de compression élevé du gromono de la Fredder nécessite l’utilisation d’un mélange d’avgas et de super sans plomb, et Walmsley utilise un carburateur Amal GP2 avec deux cuves séparées SU choisies simplement pour l’esthétique. « J’avais le même montage sur ma Formule 3 Cooper, ça permettait de ne pas désamorcer dans les virages à cause de la force centrifuge mais sur la moto, une seule des cuves est alimentée ! » Le mono est monté avec une boîte de vitesses Mick Hemmings à cinq rapports à entraînement primaire par courroie combinée, à un embrayage à sec NEB de Speedway et « kick-starter». Sauf qu’avec une compression aussi élevée et malgré le décompresseur que Walmsley a installé, il est préférable d’opter pour un départ à la poussette. Fred a l’intention de monter prochainement un démarreur électrique Alton mais cela implique l’installation d’une batterie et d’un alternateur, ce qui risque d’alourdir la ligne de la Fredder. Fred fait chauffer sa moto devant moi et le son qui sort
WALMSLEY UTILISE UN CARBURATEUR À 2 CUVES SÉPARÉES POUR L’ESTHÉTIQUE : UNE SEULE D’ENTRE ELLES EST ALIMENTÉE
du mégaphone, même s’il est équipé d’un Db-killer, pourrait réveiller un mort ! Le gromono ne tourne pas au ralenti tant que le moteur n’est pas vraiment chaud, il faut donc mettre des petits coups de gaz pour le chauffer. Le système d’échappement est composé d’un tube en titane fabriqué par un autre copain de Fred, Ben Sargeant, qui travaille pour Paul Bird Motorsport, l’équipe qui fait rouler la Ducati d’usine avec laquelle Shane Byrne a remporté le championnat britannique Superbike 2017. Ainsi, lorsque les mécaniciens de la Panigale sont venus faire réparer l’échappement après une chute de leur pilote, Ben a mis du titane de côté pour Fred ! Mais c’est à ce dernier que revient la conception du mégaphone : « J’ai calculé ses dimensions et sa forme, en m’inspirant de celui que j’ai développé sur la Norton à longue course qui a remporté le Goodwood Revival 2016, et qui a les mêmes cames que la Fredder. Ben est un orfèvre, et il va me réaliser un contre-cône pour atténuer le bruit mais il faut que Byrne chute à nouveau pour récupérer du titane ! » Notez que Ben Sargeant a également réalisé les réservoirs d’essence et d’huile en aluminium. Le gromono est donc installé dans un cadre de Norton Model 19 rigide mais muni d’une fourche à parallélogramme montée avec une roue avant de 21 pouces, tandis qu’à l’arrière, on trouve une roue de 19 pouces, toutes deux équipées de jantes en aluminium Morad. Les freins sont des répliques des tambours en magnésium que l’on trouvait sur les Manx mais de marques différentes : un SLS à l’avant et un Molnar à l’arrière. Mais pourquoi donc une roue avant de 21 pouces ?
Cool à regarder et amusante à piloter
« Au fond, c’est une question d’apparence, admet Fred, mais cela sert aussi à obtenir un peu plus de garde au sol car le moteur Manx est monté très bas dans ce cadre. D’autre part, la répartition du poids est fondamentale, beaucoup de gens l’oublient. Barry Sheene m’a énormément appris sur le sujet, et certaines des choses qu’il m’a enseignées ont été transposées sur cette
« BEN EST UN ORFÈVRE MAIS IL FAUT QUE BYRNE CHUTE À NOUVEAU POUR RÉCUPÉRER DU TITANE ! »
moto. » J’ai eu l’occasion de rouler avec la Fredder lors du Goodwood Festival of Speed, où Fred l’utilisait pour rouler dans le paddock. Après avoir fait cirer l’embrayage pour atteindre 3 000 tr/min à cause de la première vitesse très longue, j’ai été récompensé par une belle accélération puis le gromono est monté jusqu’à 7 800 tr/min sans rechigner. Je suis passé d’un rapport à l’autre sans utiliser l’embrayage, le tout au son du mégaphone. En un clin d’oeil, j’étais à 150 km/h, impressionnant ! La Fredder est une moto cool à regarder mais qui est aussi très amusante à conduire. Le guidon large et plat offre la position de conduite verticale typique d’une Bobber, ce qui est plutôt utile dans en circulation urbaine. De plus, grâce à son pneu avant étroit, la direction est légère et précise. Et les freins sont en fait assez efficaces malgré leur petite taille, bien que l’utilisation du frein moteur aide ici beaucoup. Un détail : n’hésitez pas à prendre l’embrayage en cas de rétrogradage trop violent, sinon la roue arrière peut se mettre à dribbler dangereusement ! Finalement, une question me brûle les lèvres : y aura-t-il une Fredder 2, ou même une Fredder 3 ? « J’ai déjà refusé plus de 50 000 € pour cette moto. Mais ce prix est correct si je veux construire une machine identique. Il faut du temps pour la fabriquer, il y a toutes les pièces en magnésium et en titane, sans oublier le savoir-faire des artisans. J’en construirais d’autres pour des clients qui comprennent que le travail soigné a un prix. » En attendant, à 71 ans, Fred Walmsley compte aligner sa moto sur une épreuve de sprint dans l’espoir de franchir la barre des 200 km/h, ce qui ne devrait pas poser de problème. ❖