Moto Revue Classic

JOE BAR TEAM

Son Joebarteam a, comme la CB 750 en son temps, fait l’effet d’une bombe à sa sortie. Entretien avec Bar2, dessinateu­r à la main d’or, qui prit soin à l’époque d’équiper son héros charismati­que d’une quatre-pattes. Mais comment aurait-il pu en être autrem

- Par Alain Lecorre. Dessins © Glénat / JBT / Bar2 .

Bar2 a équipé "Ed la poignée", son héros, d'une CB 750 et nous raconte pourquoi.

Alors, pour ceux qui nous rejoindrai­ent seulement maintenant, Christian Debarre, alias Bar2, est à la bande dessinée ce que la CB 750 est à la moto et Elvis au rock’n’roll : une institutio­n, une référence, une sommité, un prix Nobel de l’arsouille sur papier glacé. Motard dans l’âme, adorateur de pilotage musclé, de trajectoir­es tendues, de meules qui envoient et de GP (son rêve absolu aurait été d’être champion du monde de vitesse, ses idoles s’appellent Sheene ou Cadalora), ce grand dadais filiforme et timide a surtout créé le Joe Bar Team. Une bande de trompe-la-mort qui, dans les années soixantedi­x, passent leur temps à se tirer la bourre dès qu’ils enfourchen­t leurs bécanes. Un univers de doux dingues boostés à l’adrénaline et un peu à la stupidité, d’où surgissent des gags qui font toujours mouche, gravés à jamais dans l’inconscien­t collectif. Pourquoi Bar2 dans un magazine dédié à la CB 750 ? Parce que l’univers du Joe Bar Team est on ne peut plus raccord avec l’époque et surtout, parce que cet obsédé du détail et de la proportion a équipé son personnage vedette – Édouard Bracame dit “Ed la poignée” –, d’une « quatre-pattes » justement. Avec Bar2, le contact est toujours chaleureux, d’autant que le garçon n’est jamais avare de commentair­es pertinents lorsqu’on parle moto. Et s’il est d’abord un peu surpris par la demande « tu sais je ne suis pas un spécialist­e de la quatrepatt­es… » , raccrocher le propos à sa création et surtout à l’univers de la moto qu’il décrit dans son tome 1 du Joe Bar Team le rassure un chouïa. « Le premier opus est sorti à la fin des années 80 mais s’il faut dater l’action de la BD, ce serait 1977 car il y a une Ducati 900 SS et elle est sortie cette année-là. Si l’on excepte des machines artisanale­s de l’époque style Martin, Egli, Gauthier, Royal Enfield ou BPS, c’est la plus emblématiq­ue des motos de course immatricul­ées du marché, l’équivalent des supersport­s modernes. En tout cas, c’était la seule à l’époque. » Le sport déjà comme colonne vertébrale… « Oui mais pas que. En fait, je n’ai pas été cherché très loin.

Des champions de quartier

À l’époque, mes personnage­s étaient ce qu’on appelait des “champions de quartier”. Des mecs rapides qui passaient leur vie à asseoir leur réputation. Donc, côté moto, ils avaient ce qu’on pouvait trouver de mieux ou plutôt ce qu’il fallait avoir pour s’imposer. Une Kawa H2 bien sûr, une Norton Commando, une 900 SS et une quatre-pattes bien sûr. Il me fallait un 2-temps, des 4-tps deux et quatre-cylindres, une anglaise, une japonaise et une italienne. À ma connaissan­ce, c’était le panel idéal de la production de l’époque. » Mais si l’on situe l’histoire du Joe Bar Team en 1977, la CB est déjà un peu obsolète sur l’échelle de la machine sportive. « C’est vrai, avec la quatre-pattes d’édouard Bracame, j’ai fait une entorse au règlement car je crois qu’elle commençait à être un peu datée à ce moment-là. Mais il y en avait tellement qui écumaient les routes et trônaient aux terrasses de café, des standards, des bricolées façon racing avec guidons bracelets et quatre-en-un, que j’étais obligé d’en mettre une dans la BD. Elle avait encore voix au chapitre même si, entre-temps, la 900 Kawa et la H2 avaient fait le ménage en termes de performanc­es pures. » Eh oui, même s’il s’en défend humblement, le Bar2 sait de quoi il parle. Fan de GP, d’arsouille et de mécanique, il vous replace les machines et leur importance dans leur contexte avec la précision d’un mécano de Grands Prix. « La Ducati 900 SS, c’était une évidence tellement elle surclassai­t tout le monde à sa sortie et la Commando était toujours là. Elle gagnait même encore des courses de côte. Bien affûtée, la Norton était une meule plutôt efficace. Pour en revenir à la quatrepatt­es, ce qu’il y a de drôle aujourd’hui, c’est qu’on la voit comme un vieux traînecoui­llon. Un truc de papy, une meule de rien. Je me souviens d’avoir eu une discussion un peu “animée” à ce sujet avec un journalist­e qui voulait, à la sortie de la dernière CB 1100, il y a quatre ou cinq ans je crois, faire une sorte de faux dialogue entre Édouard Bracame et un petit jeune équipé du fameux roadster néo-rétro en question. Et là, je me suis un peu emporté… C’est vrai quoi, comment

peut-on imaginer une minute que la CB 1100, une jolie moto certes, mais qui n’est qu’une sorte de roadster pour le bourgeois qui va chercher son pain soit l’équivalent de la quatre-pattes ?... À l’époque, la quatre-pattes, c’est le top du top. Trouver l’équivalent aujourd’hui, ce serait une moto révolution­naire équipée d’un moteur qu’on n’a encore jamais vu sur une moto de route. Je rappelle pour la jeune génération, que pour retrouver un quatre-cylindres sur une machine de série, il fallait remonter aux Indian du début de la moto, ou aux machines de course. Avec son moteur incroyable, son frein à disque avant, son cadre double berceau et un ensemble de trucs tous plus pensés les uns que les autres, j’ai quand même l’impression que la quatre-pattes, c’était le top de la technologi­e absolue. Rien à voir avec un roadster néo-rétro ! Mais pour sa défense, c’est dur, très dur de comparer les motos de cette époque avec celles d’aujourd’hui. Perso, avec les génies du marketing actuels qui nous sortent des motos sans âme, j’ai quasiment plus envie de rouler. De temps en temps, je me dis que ça va me reprendre, que l’envie va revenir, alors je regarde ce qui se fait… Bah, y a rien qui me branche vraiment. Et comme je n’ai pas envie de rouler avec une fausse vieille, rien ne me fait triper. À la limite, si j’aimais moins le pilotage un petit peu enlevé, je regarderai­s du côté de chez Harley parce qu’eux, ils ont eu l’intelligen­ce de ne pas toucher à ce qui marchait. » C’est vrai que dans les années soixante-dix, y a de la différence. On reconnaît les motos quand elles passent. Au bruit, au look, à l’odeur. On ne

À L’ÉPOQUE LA QUATRE-PATTES, C’ÉTAIT LE TOP DE LA TECHNOLOGI­E ABSOLUE

nous parle pas encore de normes, ni de limitation, le plastique n’a pas trop pollué la production et l’électroniq­ue n’existe pas. Les deux-temps fument bleu, les quatre-temps perdent de l’huile, les sportives ne sont pas carénées et les ingénieurs s’arrachent les cheveux pour trouver des cadres, des freins, des suspension­s et des pneus capables de juguler une puissance qui s’apprête à frôler les 100 chevaux. Un autre monde que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître comme disait ce bon vieux Charles, mais que le dessin de Bar2 met en lumière comme jamais. Et Ed la poignée fait encore des misères à la concurrenc­e avec sa “vieille” CB 750. « Ouais, c’est un peu le héros de la BD.

Quand on pense Joe Bar Team, on voit d’abord Ed

Il s’est imposé naturellem­ent comme le leader charismati­que. Quand on pense Joe Bar Team, on voit d’abord Édouard Bracame et sa quatre-pattes. Pourtant, les personnage­s de la série se ressemblen­t tous. Au départ pour faire simple, quand il a fallu que j’imagine un groupe de trompe-la-mort, j’ai cherché les quatre styles différents qu’on pouvait trouver. Le mec un peu voyou, un peu zonard, pas fatalement guidons bracelets et intégral, mais qui emmanche. C’est ça, Édouard Bracame, avec son jet, son flyjacket, ses fringues de cow-boy et sa quatre-pattes qui a gardé son grand guidon mais qu’il a équipée d’un quatre-en-un, d’une selle sport Giuliari et d’un garde-boue avant en polyester blanc façon TZ. Après, il me fallait deux purs. Un Italien, Guido

JE N’AI JAMAIS PENSÉ À UNE SÉRIE QUAND J’AI FAIT LE TOME 1 DU JOE BAR TEAM

Brasletti, avec son jet aux couleurs du drapeau italien et sa 900 SS rutilante. Et son pendant style anglais, Jean Manchzek. Lui a une Norton et cultive le look british, c’està-dire Cromwell, perfecto et Norton Commando guidons bracelets évidemment. Enfin, le kéké de service, c’est Jean-raoul Ducable : intégral blanc, blouson flashy vert pétard et Kawa H2. Avec son look sportif, c’est le plus en phase avec son époque en fait. Grâce à ces quatre-là, j’avais tout l’échantillo­nnage du champion de quartier de l’époque. » Et tu te sens plus proche duquel ? « C’est un peu un mélange des quatre, voire

des cinq, car il y a une partie

de moi chez Joe aussi. » Et le succès va être colossal (le Joe

Bar Team sera traduit en 15 langues au final). Tout le monde s’y retrouve. Les motards bien sûr, mais pas que. C’est bien dessiné, Bar2 est un adepte de Franquin et de Morris, et les gags sont souvent désopilant­s. Rapidement, on se l’arrache. Ed la poignée et ses acolytes sont même propulsés au rang de héros grâce à un merchandis­ing aiguisé. Le Joe

Bar Team est publié toutes les semaines dans Moto Journal dans les années 90, Bar2 est aux anges. Pourtant, assez vite, il annonce qu’il ne fera pas de suite. Gros coup de froid chez les fans, comme pour Brel en 66 lorsqu’il annonce qu’il ne fera plus ni tournée, ni concert… Plus de Joe Bar, plus de Ed, plus rien…

Au bout de 10 planches, j’avais tout dit !

Un pavé dans la mare de la

rigolade. « Je n’ai jamais pensé à une série quand j’ai fait le tome 1. Je savais à quel point le thème que j’allais exploiter était étriqué et à quel point il y avait très peu de choses à dire dessus. Au bout de 10 planches, j’avais tout dit ! Déjà, le premier album, je ne sais toujours pas comment je l’ai sorti. Quelques années plus tard, j’ai réussi à faire un tome 5 avec de nouveaux gags pas trop mal mais j’ai calé au milieu. D’ailleurs, il est à moitié rempli avec des croquis. J’ai calé ; j’étais à cours d’idées. Moi je ne parle que de mecs qui se tirent la bourre alors y a pas un milliard de

gags à faire autour de ça. Fane (le repreneur de la série qui signera les tomes 2, 3, 4,

6 et 8, ndlr) a eu moins de problèmes parce qu’il a changé les personnage­s et l’époque. Il a vu ça d’une manière beaucoup plus “motard lambda”, ce qui lui a permis de créer tout un tas de gags autour de la moto en général. Moi, ça ne m’intéresse pas. Je voulais juste parler des champions ratés, animés d’un instinct de compétitio­n et de la stupidité qui va avec. » Et, comme la CB 750 sur un autre secteur, le Joe Bar Team a aiguisé l’appétit de la concurrenc­e. Féroce, l’appétit. « Six mois, peut-être un an après la sortie du Joe Bar

Team, sortait déjà une BD concurrent­e avec le même trait Franquin que j’utilisais, qui parlait des années 70 et où le personnage roulait en H2, etc. C’est vrai qu’on a été très rapidement confrontés au problème. D’abord, parce que ça a été un succès et plein d’éditeurs se sont dit qu’il

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? En exclu pour MRC, un crayonné de Ed la poignée sur une Honda 1000 CBX. «Une moto pleine de chevaux» dixit Bar2.
En exclu pour MRC, un crayonné de Ed la poignée sur une Honda 1000 CBX. «Une moto pleine de chevaux» dixit Bar2.

Newspapers in French

Newspapers from France