Moto Revue Classic

ENTRETIEN GALLUZZI

- Texte et photos : Olivier de Vaulx

Designer plébiscité, Miguel Galluzzi n'est pas étranger au renouveau de Moto Guzzi.

À l’origine, entre autres, de la Ducati Monster, le designer Miguel Galluzzi n’est pas étranger au renouveau de l’industrie italienne. Depuis la Californie, il prépare Piaggio, Moto Guzzi et Aprilia à répondre aux défis du futur, sans rien renier du passé.

C’est à Pasadena que le designer Miguel Galluzzi s’est installé, à quelques pas de l’université qui l’a accueilli pour ses études, il y a quarante ans. Né et élevé à Buenos Aires, Miguel découvre vite que le monde est multicultu­rel. Ce n’est donc pas une surprise de le retrouver en Floride pour ses études supérieure­s, sauf qu’il s’agit alors d’ingénierie, le domaine qui se rapproche le plus du design. Ce n’est que suite à la lecture d’un article dans le magazine Road & Track

qu’il entend parler de l’école de design de Pasadena. Il n’hésite pas une seconde, déménage en Californie et apprend le métier dont il a toujours rêvé. Quarante ans plus tard, après avoir travaillé en Allemagne pour Opel, en Italie pour Honda, Ducati et Cagiva et aux USA pour Piaggio, Aprilia et Moto

Guzzi, il lui arrive de donner des cours dans cette même université. Les étudiants qui assistent à ses conférence­s n’ont plus ni crayons ni gomme. Ils dessinent sur des tablettes, directemen­t en 3D. Selon Miguel, les méthodes modernes ont vraiment bénéficié au consommate­ur : « Les vieilles motos italiennes comme les Guzzi Le Mans de 1976 n’étaient vraiment pas fiables et il n’est pas étonnant que les Japonais, qui avaient tout misé sur la qualité, aient dominé facilement le marché. C’est drôle de voir qu’aujourd’hui, les gens payent une fortune pour racheter ces anciennes machines dont personne ne voulait à l’époque. Dans les années 1980, le magazine Cycle News publiait des pubs pour MV Augusta où la marque proposait deux motos pour le prix d’une ! »

Miguel définit le rôle du designer comme la liaison essentiell­e entre les ingénieurs et les chaînes de production : « Avec une vision plus large, le designer a un esprit plus flexible que celui des ingénieurs. Cela nous permet de résoudre les problèmes que les autres ne peuvent voir. » En plus

de la passion, curiosité et volonté de trouver des réponses sont deux qualités indispensa­bles pour avancer :

« L’Aprilia RSV4 développe

250 chevaux. Il y a 30 ans, on n’aurait même pas pu imaginer ça possible. Puis la Ducati 851 est sortie, et ça a changé les règles du jeu. » Changer les règles, c’est justement le mantra de Miguel Galluzzi. Mais à condition de viser juste :

« Mon premier souci, c’est la proportion des motos, bien avant les détails. Tout est dans l’harmonie des formes. C’est comme la Porsche

911 qui existe depuis si longtemps. Des lignes réussies sont intemporel­les. »

Retour aux sources ou futurisme ?

Cette volonté de se concentrer sur l’essentiel a peu à peu amené Miguel à la création de la Ducati Monster. « À cette époque, toutes les motos avaient des carénages plastique, l’industrie était très inspirée des voitures. Je me demandais pourquoi, vu que ce n’est pas réellement nécessaire pour prendre du plaisir sur la route. Un jour, j’ai découvert dans un magazine américain un croquis de la Ducati 851 sans carénage.

Ça a été la révélation !

J’ai fait une photocopie et j’ai commencé à redessiner une moto qui était très épurée. Mon idée, c’était de ne conserver que ce qui était essentiel pour s’amuser. Mais à chaque fois que je montrais mon dessin à mon patron, il me disait “plus tard”…

Quand je me suis finalement lancé dans la réalisatio­n du prototype, je me suis mis dans un coin reculé, où personne ne pouvait me voir. Je travaillai­s avec un gars qui faisait les pièces aluminium pour les Cagiva du Paris-Dakar, et personne d’autre ne savait ce que nous faisions ! » Miguel va dessiner sa moto autour du moteur de la 900 SS

(une autre de ses créations) car il est plus léger que le bicylindre de la 851 et surtout moins coûteux. Il garde cependant le cadre de cette dernière.

« La première fois que j’ai montré la moto terminée, il y avait Claudio Castiglion­i, le big boss, mais aussi des gens du service marketing.

Leur première réaction a été de me demander quand le prototype serait fini ! J’aurais aimé avoir une caméra pour filmer l’expression de leur visage quand je leur ai dit que la moto était complète… » In fine, la Monster, nommée ainsi d’après le nom de jouets de ses fils, est présentée au Salon de Cologne 1992. Elle est perçue par beaucoup comme une moto futuriste, alors que Miguel pensait au contraire être revenu aux sources ! Très simple, peu onéreuse et basse de selle, la Monster séduit une large clientèle : « C’est la première fois que des femmes ont acheté des Ducati », se souvient son créateur. Aujourd’hui, la nouvelle évolution de la Monster, avec toutes ses aides électroniq­ues, ne séduit pas l’Italien, qui trouve que l’on complique inutilemen­t une moto autrefois facile d’accès.

52 ch mais une tonne de plaisir

Aller de l’avant en tirant les leçons du passé est une méthode que Miguel appliquera à plusieurs reprises tout au long de sa carrière. La Moto Guzzi V7 III est la parfaite illustrati­on de cette démarche. « Aujourd’hui, on a des motos sur-puissantes mais qu’on ne peut contrôler que grâce à l’électroniq­ue. À l’inverse, notre V7 ne fait que 52 chevaux, mais donne beaucoup de plaisir sur la route. Avec elle, je peux suivre n’importe qui sur une petite route, tout en profitant du paysage. C’est tout l’intérêt de rouler à moto, non ? »

Cette tendance à revenir aux sources se retrouve aussi dans le sport et Miguel voit

À CHAQUE FOIS QUE JE MONTRAIS MON DESSIN À MON PATRON, IL ME DISAIT “PLUS TARD”...

d’un bon oeil la résurgence du flat-track : « En flat-track, en effet, on vient avec la moto qu’on a et on s’amuse. Il n’y a pas de course à l’armement, juste du fun. On retrouve ce qu’était le motocross dans les années 1970… »

Les succès d’hier comme exemples pour demain

Alors que la plupart des gens résistent au changement, ce qui, à ses yeux, conduit aux tensions qui émergent en Europe ou aux USA, le designer argentin s’y plonge, lui, avec délice. « Il faut évoluer en permanence car votre environnem­ent change, que vous le vouliez ou non. Il va falloir apporter une solution et le deux-roues, ou du moins son évolution, va jouer un rôle. » Cherchant encore et toujours dans les succès du passé, il croit avoir trouvé la réponse aux problémati­ques modernes. « En 1960, Honda est arrivé aux USA avec la Super Cub.

Les gens ont rigolé car ils étaient habitués aux Harley. Mais en 1974, Honda en vendait déjà 1 million par an ! Le produit était peu cher, bien construit. À l’époque, un jeune pouvait bosser l’été et se payer une moto avec l’argent gagné en deux mois. Aujourd’hui, c’est impensable. » Une moto simple, peu onéreuse à l’achat, à l’entretien et à l’assurance réduits, c’est ainsi qu’il voit le futur. « En Inde, la classe moyenne ne dépense pas d’argent pour une voiture, même s’ils en ont les moyens.

Ils achètent une petite moto, pas chère, car ça va plus vite dans le trafic, c’est facile à garer. Ils ne cherchent pas à frimer

avec un gros véhicule. » Et le marché semble lui donner raison. La Moto Guzzi V7 est maintenant le modèle de la marque qui se vend le mieux, et qui attire une nouvelle clientèle. « La jeune génération est la première à grandir sur une planète dont on a conscience qu’elle va mourir, constate-t-il.

À mon époque, on était plus insouciant­s. Les jeunes d’aujourd’hui ont une approche plus pragmatiqu­e et veulent laisser une empreinte plus faible. Au lieu du toujours plus, ils veulent du juste suffisant. » Si les « trail-bikes Adventure » et les motos classiques se vendent encore bien et ont leur fidèle clientèle, il n’empêche que la meilleure vente Honda aux États-Unis est la MSX 125 – lointain successeur de la Dax. Le fabricant japonais a senti le vent tourner en faveur des petites cylindrées, qui se vendent comme des petits pains partout dans le monde. Son usine de Hanoi fait 50 km de long et tourne à plein régime… « Il n’est pas étonnant qu’on ne soit pas attiré ici par une CB 500, quelle que soit sa version. Elle a été conçue pour être vendue en Amérique du Sud et en Asie. Nous, on reste dans le romantique avec Moto Guzzi, et c’est parfait pour l’Europe et les USA, mais il faut qu’on évolue et qu’on sache aussi répondre à la demande des autres marchés.

Avec l’électrique, tout est possible !

Avec des villes comme Los Angeles qui offrent des places de parking gratuites aux motos, on est au début d’un mouvement que les fabricants de voitures commencent à prendre en compte. Aujourd’hui, on voit Volkswagen présenter un véhicule à deux-roues. » Cette évolution du marché entraîne Miguel loin des twins italiens, dans un futur rempli d’électrons. En termes de design, ce « futur électrifié » lui semble aussi plein de promesses : « Une machine électrique ne doit pas chercher à ressembler à une moto traditionn­elle. Sachant que les batteries peuvent prendre n’importe quelle forme, on n’a pas à utiliser le même emplacemen­t que le moteur thermique. Tant qu’on a une selle et un guidon, on peut faire ce qu’on veut. Libre à nous de placer les suspension­s dans le cadre, voire dans les roues… Tout est possible ! » Pour lui, il suffit d’un seul produit pour changer la perception des gens : « L’avenir, c’est le Vespa électrique. Voir ce scooter mythique passer à l’électrique va bouleverse­r le marché comme la Vincent l’a fait en 1928, avec des solutions innovantes qui sont encore utilisées aujourd’hui, ou comme la Honda Super Cub l’a fait dans les années 60.

C’est un grand pas en avant, et ce n’est pas une utopie. »

Les prochaines décennies verront peut-être le sexagénair­e produire son ultime chef-d’oeuvre, mais nul ne sait encore quelle forme il prendra.

Une chose est sûre : on prendra un immense plaisir à le piloter !

AU LIEU DU TOUJOURS PLUS, LA JEUNE GÉNÉRATION VEUT DU JUSTE SUFFISANT

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 ?? (Photo Alan Cathcart) ?? Miguel Galluzzi pose avec la Moto Guzzi 1400 California, digne héritière de la 1000 du même nom.
(Photo Alan Cathcart) Miguel Galluzzi pose avec la Moto Guzzi 1400 California, digne héritière de la 1000 du même nom.
 ?? (Photo Julia Lapalme) ?? 1. Chez Cagiva en 2000, Miguel Galluzzi donne libre cours à son imaginatio­n avec la X-Raptor.
2. Outre la Monster, Galluzzi est aussi le créateur de la 900 SS de 1991. 3. Certains arrivent à immortalis­er le designer en plein travail.
(Photo Julia Lapalme) 1. Chez Cagiva en 2000, Miguel Galluzzi donne libre cours à son imaginatio­n avec la X-Raptor. 2. Outre la Monster, Galluzzi est aussi le créateur de la 900 SS de 1991. 3. Certains arrivent à immortalis­er le designer en plein travail.
 ??  ?? La Moto Guzzi MGX-21 « Flying Fortress » est sûrement l’une des motos les plus audacieuse­s de Miguel Galluzzi.
La Moto Guzzi MGX-21 « Flying Fortress » est sûrement l’une des motos les plus audacieuse­s de Miguel Galluzzi.
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 ??  ?? Mondialisa­tion oblige, Miguel Galluzzi travaille aux États-Unis en lien étroit avec les autres continents. Les horloges en attestent.
Mondialisa­tion oblige, Miguel Galluzzi travaille aux États-Unis en lien étroit avec les autres continents. Les horloges en attestent.
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 ??  ?? Avec l’équipe de design d’Aprilia et Moto Guzzi autour d’un prototype audacieux.
Avec l’équipe de design d’Aprilia et Moto Guzzi autour d’un prototype audacieux.
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 ??  ?? 1. Derrière Miguel, une de ses motos préférées, la Guzzi V7 III Racer. 2. Petit cours d’ingénierie et de design à main levée. (Photo Julia Lapalme) 3. L’un des projets autour de la Cagiva 1000 X-Raptor.
4. En 1991, la Ducati 900 Monster voit le jour sur la planche à dessin.
1. Derrière Miguel, une de ses motos préférées, la Guzzi V7 III Racer. 2. Petit cours d’ingénierie et de design à main levée. (Photo Julia Lapalme) 3. L’un des projets autour de la Cagiva 1000 X-Raptor. 4. En 1991, la Ducati 900 Monster voit le jour sur la planche à dessin.
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