CHEVALLIER STORY
Au milieu des années 80, alors que les constructeurs japonais ne jurent que par les cadres en aluminium, Alain cultive sa différence avec ses tubes d’acier.
Avec quelques tubes d'acier, Alaln Chevallier donnait la réplique aux 500 d'usine…
Affronter et battre les teams Yamaha et Kawasaki avec des motos que vous avez construites vous-même dans un atelier à côté de votre maison semble impossible aujourd’hui. Au début des années 1980, c’est pourtant ce qu’Alain Chevallier a fait. Avec son décès en octobre 2016, à l’âge de 68 ans, le monde de la moto a perdu l’un des plus grands concepteurs de partie-cycles de l’histoire récente des Grands
Prix. Malheureusement, Alain Chevallier n’a pas obtenu suffisamment de reconnaissance par rapport aux résultats de ses motos. Si « Cheval », comme tout le monde l’appelait, avait été Italien, Espagnol ou même Anglais, il serait sûrement devenu incontournable dans le monde de la compétition. Pourtant, Youichi Oguma, l’ancien patron du HRC, a prêté des moteurs d’usine à la petite équipe d’Alain Chevallier – une marque de respect et de confiance rare de la part des Nippons. Car, à l’époque, si le Catalan Antonio Cobas fabriquait des cadres en aluminium dont les Japonais se sont inspirés, Chevallier a persévéré dans l’utilisation de tubes d’acier mais en utilisant du métal étiré à froid qui, étant
20 % plus résistant que le laminé à chaud, offre un rapport rigidité/poids accru.
Chevallier arrive tard à la moto
Alain Chevallier ne s’est pas arrêté là. Dans sa volonté de gagner du poids pour compenser le manque de puissance de ses motos, il a été le premier à équiper une machine de GP de freins à disque carbone (oui, avant Elf et les équipes japonaises !), il a aussi été le premier à construire un bras oscillant en titane, et le premier encore à équiper ses moteurs d’un système d’air forcé avec une boîte à air. Il a également été un pionnier dans le développement de la suspension entièrement réglable, tout en modifiant ses fourches et amortisseurs arrière pour utiliser la télémétrie. Il a utilisé des capteurs pour mesurer la température de flamme dans une culasse, ce qui l’a conduit à développer un système de correction automatique électro-magnétique de la carburation, à jet variable, en temps réel. J’ai découvert tout ça moi-même en visitant son atelier de Vendôme, au sud-est du Mans, fin 1984. Alain Chevallier est pourtant arrivé à la moto assez tard, il a d’abord étudié la médecine, tout en s’amusant en courses de côte en voiture. Puis son frère cadet Olivier a remporté le GP de Yougoslavie 350 à Opatija en 1976 avec une moto préparée par ses soins : il était devenu presque accidentellement son chef mécanicien ! En 1980, Alain commence à fabriquer ses propres Yamaha TZ 250/350 pour que son jeune frère puisse courir en GP avec le soutien de Pernod. Mais Olivier se tue lors de la course 250 du Moto Journal 200 en avril… Alain décide de tourner le dos aux courses, avant que son ami Éric Saul ne le fasse changer d’avis. Six semaines seulement après le décès d’Olivier, Saul termine 3e du Grand Prix de France 350 au Paul-Ricard, répétant cette troisième place à Silverstone plus tard dans l’année pour finir sixième du classement général et deuxième du
Dutch TT 250 à Assen !
Première victoire avec Éric Saul
Pourtant, la personnalité exubérante d’Éric Saul ne convenait pas à Pernod, c’est pourquoi, en 1981, Chevallier a embauché Michel Rougerie et Roger Sibille. Fidèle en amitié,
ALAIN CHEVALLIER A ÉTÉ UN PIONNIER DANS DE NOMBREUX DOMAINES
Alain a utilisé son argent pour faire courir Saul, qui l’a dûment récompensé en remportant le GP d’Italie
250 à Monza, la première victoire d’une Chevallier en Grands Prix. En 1982, Pernod décide de développer sa propre moto et laisse Alain faire équipe avec le Belge Didier de Radiguès pour les deux catégories 250/350 sur des Chevallier à moteur Yamaha, avec le soutien du cigarettier Johnson. Après avoir terminé troisième en Argentine pour sa première sortie sur une Chevallier
350, lors du GP suivant en Autriche, Didier était en tête devant le champion du monde allemand, Toni Mang mais suite à un problème
technique, c’est Éric Saul qui s’est imposé. La première victoire du Belge a eu lieu à Monza, suivie d’une autre, la même saison, à Brno. Malgré cela, Mang et sa Kawa ont conservé le titre 350, Radiguès terminant deuxième et Saul, quatrième. « C’était notre meilleure chance de remporter le titre mondial, m’a dit Alain lors d’une interview, mais nous avons connu trop de chutes et de pannes. Cependant, ce fut le début d’une belle association avec Didier. » En 1983, Radiguès est rejoint par Jean-François Baldé et le résultat de la première course à Kyalami est le rêve de tous les constructeurs : un doublé avec une première victoire sur une Chevallier pour le Français ! Mais Baldé s’est malheureusement cassé la jambe à Assen, et de son côté, malgré quatre victoires dont une historique à Spa, Didier n’a pu terminer que 3e du championnat du monde, derrière Carlos Lavado et Christian Sarron, pilotes officiels Yamaha. L’année suivante, Alain décide de tenter l’aventure de la catégorie reine sous l’impulsion de Radiguès qui s’y était déjà essayé en 1983 avec une Honda RS 500 fournie par Elf.
Première sortie encourageante
La Chevallier Honda RS 500 à cadre tubulaire a été achevée en février 1984 et testée par Didier qui l’a trouvée d’emblée excellente. Ce qu’il a prouvé en menant les quatre premiers tours du premier GP de la saison à Kyalami, avant de terminer quatrième, tandis que son coéquipier Le Liard s’adjugeait la huitième place
AVEC DIDIER DE RADIGUÈS, IL MANQUE LE TITRE MONDIAL 350 DE PEU...
sur une moto similaire ! Le Belge a terminé neuvième du championnat du monde, un résultat satisfaisant pour lui et Chevallier, vu le nombre de motos d’usine mais curieusement, pas pour
Elf qui a retiré son soutien et l’a offert à l’équipe de Serge Rosset en 1985. « Le problème, c’est que Elf voulait que je développe la Elf 2, son cheval à bascule (sic), mais André de Cortanze qui l’a conçue était opposé à ce que je le fasse car il savait que j’apporterais trop de changements à son concept original pour le faire fonctionner », me dit Alain. En revanche, Youchi Oguma a prêté un moteur NS 500 d’usine à Chevallier pour quelques courses, une grande marque de respect qui n’a malheureusement pas donné le résultat escompté. « J’ai dû le lui rendre, parce qu’on n’a jamais terminé une seule course avec ! »
Moteur d’usine Honda
En 1985, la commande de partie-cycles pour la Pernod 250 a permis de subvenir aux besoins de l’atelier Chevallier et ses quatre employés à pleintemps, tandis que le 500 de Radiguès était prêté à Thierry Espié. Ce dernier s’est envolé pour l’Afrique du Sud à ses frais pour le premier GP de la saison et a terminé 10e, obtenant ainsi un précieux point en championnat du monde. Mais, lors de la manche suivante en Espagne, Espié a chuté et a dû s’absenter deux mois à cause d’une blessure au dos. Entre-temps, la moto de Le Liard a été testée à deux reprises par Randy Mamola, soucieux de remédier aux problèmes de maniabilité qu’il rencontrait avec sa NS 500 d’usine. Il n’a jamais pu la mener en course alors que son coéquipier Takazumi Katayama a été autorisé par Oguma à piloter une NS 500 à cadre
ALAIN A MONTÉ UN MOTEUR CAGIVA 500 V4 DANS SON CADRE
Nico Bakker. À la suite de quoi Honda a copié le cadre néerlandais pour sa version de 1985 ! Du coup, ce n’est pas Chevallier qui a été plagié. En 1986, l’équipe Radiguès/ Chevallier/Honda s’est reformé sous le parrainage de Rollstar, un magazine people belge, ce qui s’est traduit par une 7e place au championnat du monde devant la Elf pilotée par Ron Haslam… La saison suivante, Radiguès est engagé par Cagiva dans une équipe belge parrainée par Bastos et dirigée par Francis Batta. Didier n’a signé qu’à la condition qu’Alain Chevallier soit embauché mais l’ambiance dans le team était lourde, même si Didier a obtenu une 4e place lors du GP du Brésil. Chevallier a essayé d’installer le moteur V4 italien dans l’un de ses cadres Honda RS 500, mais il n’a même pas pu tester le résultat ! À la fin de la saison, Alain a complètement arrêté les GP, malgré l’offre de moteurs Honda NSR 500 d’Oguma qu’il a dû décliner, il n’avait aucune structure pour développer la Chevallier 500 V4 qui aurait pu en résulter. Il a commencé à travailler pour Sonauto-Yamaha, développant leurs motos du Paris-Dakar et travaillant sur le projet de la Yamaha 1000 GTS qui a abouti en 1993. Un an plus tard, il a accepté un poste de directeur technique chez Voxan. Mais c’est une autre histoire…