Moto Revue Classic

CHRONIQUE BOURGEOIS

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Christian revient sur le circuit de Reims où il a battu Michel Rougerie.

Donnant désormais du temps au temps, j’ai choisi l’option, en revenant d’Allemagne, de sortir de l’autoroute et d’aller revoir le circuit de Reims. Celui-ci fut, pendant plus de 60 ans, l’un des plus célèbres circuits français où furent organisés de nombreux GP de Formule 1 avec tous les champions de l’époque (Fangio, Moss, Hawthorne, Musso, Trintignan­t, Behra), ainsi que la célèbre épreuve des 12 Heures de Reims qui constituai­t un mois après, la revanche des 24 Heures du Mans.

Mais il ne faut pas oublier les courses motos avec, bien sûr, en 1954, les deux victoires de Pierre Monneret au GP de France, en 350 sur AJS et en 500 sur Gilera. La dernière course moto eut lieu en 1972 et je peux dire que j’y étais. Le circuit de Reims, situé à la périphérie ouest, entre les communes de Gueux et du Thillois, avait une forme triangulai­re et empruntait des routes normalemen­t ouvertes à la circulatio­n. Le tracé, extrêmemen­t rapide, d’un développem­ent qui varia au fil des années, faisait 7,152 km dans sa dernière configurat­ion. Soyons précis.

Il ne comprenait qu’une seule épingle au Thillois, le reste du tracé se composait de longues lignes droites et de grandes courbes. Pour mémoire, le record du tour de François Cevert en 1969 au volant de sa Formule 2 s’établissai­t à 219 km/h de moyenne. En faisant un tour du tracé (à une vitesse que la morale réprouve) pour me remettre dans l’ambiance, les souvenirs me sont revenus comme si c’était hier. Passionné de sports mécaniques, je me rendais souvent aux 12 Heures de Reims. Pour ne pas payer, j’arrivais dès le vendredi et passais trois jours en autarcie dans ma 2 CV Citroën au milieu du parc coureur. Les contrôles n’étaient pas ceux d’aujourd’hui ! Je me souviens de la victoire de Ligier et Schlesser, du terrible accident de Jean-Pierre Beltoise, dans la courbe Annie Bousquet, qui le laissera avec un coude bloqué. Il prendra sa revanche quelques années plus tard, en 1965, pour remporter avec maestria la course de F3. Pour ce qui me concerne, je me souviens de sa tactique pour « mystifier » Michel Rougerie en

1972 lors de la course des 250. Car, après une longue absence, une épreuve du championna­t de France est à nouveau organisée à Reims cette année-là. Tous les pilotes sont heureux, moi compris, car il s’agit du seul circuit où l’on peut pousser les motos à fond. À cette époque, le Paul-Ricard est en constructi­on. Il faut dire que la FFM faisait alors feu de tout bois et que nous tournions aussi bien au Mans et à Magny-Cours que sur le « haricot » d’un kilomètre d’Annemasse ou le parking de l’hippodrome de Cagnes-sur-Mer.

Dans la ligne droite de la N31, de plus de 2 km et en descente de surcroît, je dépassais allègremen­t les 250 km/h avec ma Yamaha TR2 350.

Dans un souci de sécurité, les organisate­urs avaient placé une chicane en bottes de paille pour réduire la vitesse dans la zone des tribunes et des stands. Dès les essais, René Guili arrive à fond et, d’un coup de carénage à droite et à gauche, écarte les bottes de paille, faisant ainsi le passage pour les autres pilotes. Lors du premier tour de la course de la Coupe Kawasaki Moto Revue, la meute fonce à environ

170 km/h et bien entendu, personne ne veut céder. S’ensuivra un crash mémorable dans les bottes de paille, heureuseme­nt sans blessés graves.

Suite à l’épisode Guili, les organisate­urs avaient resserré le goulet afin de générer un véritable ralentisse­ment, mais, cela va sans dire, sans prévenir les pilotes… Je reviens à la fameuse course des 250. Sur ce tracé rapide, je suis moins handicapé par mon gabarit. Ma TD3 préparée par Christian Maingret marche à la perfection et très vite, avec Michel Rougerie et son Aermacchi, nous prenons la tête et, tour après tour, lâchons nos adversaire­s. À plusieurs reprises, j’essaye de m’échapper mais, à chaque fois,

Michel me recolle. Sur ce type de tracé, le phénomène d’aspiration joue à plein et je ne sais comment faire. Me revient alors en mémoire la méthode qu’avait utilisée Beltoise. Volontaire­ment, je baisse de rythme et allonge mes distances de freinage avant l’épingle du Thillois.

EN 1972, JE M’INSPIRE DE J.-P. BELTOISE POUR BATTRE ROUGERIE

J’applique cette méthode plusieurs tours et Michel reste à chaque fois sagement dans mon sillage. Lors du dernier tour, « j’ouvre en grand » dans la ligne droite et je parviens à créer un écart. Puis j’enchaîne avec un freinage de trappeur à l’épingle et une accélérati­on maxi à sa sortie. Planqué derrière mon carénage, je m’attends à chaque instant à voir l’Aermacchi me passer, car la ligne d’arrivée est à plus d’un kilomètre. Je parviendra­i à garder l’avantage et remporter ma plus belle victoire tactique ! Lors d’une autre édition Laprie, un concession­naire de l’ouest parisien m’avait prêté sa 350 Honda avec le kit compétitio­n afin d’en faire l’essai pour Moto Revue. En effet, quoi de mieux que de participer à une course pour tester une telle machine. La Honda, je peux le dire aujourd’hui, n’était pas un foudre de guerre et marchait moins bien de ma Yamaha

250. Je fais donc, en solitaire, une course sans aucun espoir de succès. Soudain, à la sortie d’une courbe, sans visibilité à cause des cultures, j’aperçois une moto et un pilote au milieu de la piste. À plus de 180 km/h, une décision rapide s’impose ! Je vise au mieux dans un instinct de survie. Je roule sur quelque chose, manque de m’envoler, me récupère miraculeus­ement et rallie l’arrivée. C’est 20 ans après que j’aurais le fin mot de l’histoire. Lors d’une réunion avec le fabricant de lubrifiant

Igol, au siège de Kawasaki, un monsieur se présente à moi et m’annonce qu’elle est la personne sur laquelle j’avais roulé à Reims. Il s’en est sorti avec une fracture du tibia et du péroné, ce qui constitue un moindre mal, compte tenu du contexte. J’en profiterai pour lui présenter mes excuses, deux décennies après. Il y a quelques années, un journalist­e local a écrit que le circuit de Reims n’était plus qu’un pathétique squelette de béton et de ferrailles rouillées, envahi par la végétation… Heureuseme­nt, une associatio­n a repris les choses en main et réhabilité l’essentiel. J’ai même pu trouver sur les lieux, dans un présentoir, une plaquette où figure mon nom !

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 ??  ?? Christian Bourgeois, champion de France de vitesse devenu journalist­e à Moto Revue, puis directeur de la compétitio­n chez Kawasaki, est aujourd’hui retraité. Il a donc le temps de nous conter quelques anecdotes.
Christian Bourgeois, champion de France de vitesse devenu journalist­e à Moto Revue, puis directeur de la compétitio­n chez Kawasaki, est aujourd’hui retraité. Il a donc le temps de nous conter quelques anecdotes.
 ?? (photo) ?? Pierre Monneret sur le circuit de Reims en 1954. Il s’impose en 500 sur Gilera et 350 sur AJS.
(photo) Pierre Monneret sur le circuit de Reims en 1954. Il s’impose en 500 sur Gilera et 350 sur AJS.
 ??  ?? Christian Bourgeois, en 1972, au guidon de sa Yamaha 250.
Christian Bourgeois, en 1972, au guidon de sa Yamaha 250.

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