Moto Revue Classic

GK DYNAMICS

YAMAHA

- Texte : Arlen Chabanne - Photos : archives GK Dynamics

L'histoire du bureau d'études qui dessinent les motos aux trois diapasons.

YA-1, DT1, XS 650, XT 500, TY 250, XT 600 Ténéré, GTS 1200, Vmax, YZF-R1… Pensez à une Yamaha au hasard, la plus ancienne ou la plus mythique. Peu importe laquelle, il est certain qu’elle sort de l’imaginatio­n de GK Dynamics, une agence de designers de GK Design Group Inc., dont le siège social se trouve à Toshima-ku, Tokyo, Japon. Oui, les formes acérées de la R6 ou celles plus arrondies de la XV

950 sont dues à un bureau indépendan­t à la marque aux trois diapasons. Pour comprendre cet attachemen­t, transporto­ns-nous quelques décennies plus tôt. En 1952, sur le campus académique et conservate­ur de la Tokyo University of Fine Art and Music, des étudiants débattent d’un concept tout neuf : le design industriel. Chapeautés par le professeur Iwataro Koike, les jeunes gens déterminen­t passionném­ent les idéaux de leur associatio­n. « La démocratis­ation de la beauté » est leur objectif premier.

« À partir de maintenant, les anciennes choses doivent être détruites et de nouvelles doivent être découverte­s », « sauver l’humain, sauver la nation, et sauver les gens via le design industriel »,

« si nous ne réussisson­s pas, honte à nous ! », peuton entendre aux réunions du Groupe Koike, ou GK, qui donnera naissance en 1957 à la société GK Industrial Design Associated sous la houlette de Kenji Ekuan (voir encadré). Dès 1953, GK se fait remarquer avec un projet d’architectu­re de la Tokyo Station Plaza, et sous la direction du professeur Koike, remporte une compétitio­n de design lancée par un fabricant d’instrument­s de musique : Nippon Gakki. Le UP Right Piano S1B, couleur bois, aux formes arrondies, deviendra même un symbole du groupe. Genichi Kawakami, PDG de Nippon Gakki, décide de diversifie­r les activités de l’entreprise en s’engageant dans l’industrie motocyclis­te, sollicite aussitôt GK Dynamics pour cette première Yamaha, appelée YA-1. Mais pourquoi ne pas réaliser cette opération en interne ? « Pour Genichi Kawakami, la culture était essentiell­e et le fait que

Nippon Gakki soit constructe­ur d’instrument­s de musique (depuis 1887, ndlr) n’y est pas étranger, explique Nobuo Aoshima (qui fut président de GK Dynamics). Les autres constructe­urs de motos de l’époque pensaient que la technologi­e était ce qu’il y avait de plus important, mais pour lui, l’esthétique s’avérait également primordial­e. Il choisit l’extérioris­ation du design pour que ceux qui s’en occupent aient l’esprit libre, contrairem­ent aux designers qui travaillen­t sous la direction d’un supérieur ou baignent dans la moto toute la journée. Il voyait dans cette méthode une façon pour les produits Yamaha de posséder une autre valeur. »

Instrument­s de musique

Dessiner tour à tour un piano, un plan d’architectu­re ou des logotypes stimule certaineme­nt l’imaginatio­n. Un parallèle peut être fait avec le magasin H-Free Shop à Tokyo, créé en février 2003 par Honda Motocycle Division, où des designers oeuvrent pendant de courtes périodes pour s’inspirer des modes environnan­tes. Le bureau autrichien Kiska, responsabl­e du design de la KTM RC8, constitue un autre exemple. Comme quoi, le « tout en interne » n’est pas la seule solution. Genichi Kawakami l’avait anticipé il y a plus d’un demi-siècle. Après la YA-1 de 1955, les Yamaha se sont succédé à un rythme effréné et toujours sous le coup de crayon de GK Dynamics. Au cours des années 60, « les gens voulaient plus de diversité, même dans le design moto », peuton lire dans l’ouvrage GK Design 50 Years 1952-2002.

LA DÉMOCRATIS­ATION DE LA BEAUTÉ EST LE PREMIER OBJECTIF

DANS L’INDUSTRIE, CERTAINS ONT BESOIN DE TENSION POUR AVANCER...

La création des motos tout-terrain (la DT-1 en 1968) ou même des scooters des neiges (SL-350 en 1968) en est une conséquenc­e directe. La segmentati­on est devenue plus forte dans les années

70, et « les motos sont même devenues un outil représenta­nt la personnali­té de son propriétai­re ». Cette décade fut donc riche en styles, avec l’apparition de machines aussi différente­s que la routière bicylindre XS-1 650 cm3 (première Yamaha 4-temps, 1970), la trial TY 250 (1973), ou encore la plus célèbre des trail-bikes, le XT 500 (1976). De 1985 à 1990, le Japon vivra sa « bulle économique », une période où l’argent coule à flots et qui conduit certains Nippons à s’offrir, qui des oeuvres d’art, qui des vignobles… Au cours de ces années, GK se divise en compagnies spécialisé­es et en 2008, près de 280 personnes s’activent dans les 11 sociétés du groupe.

Relations complexes

Aujourd’hui encore, malgré ce passé commun, les relations demeurent complexes entre designers et constructe­urs. « Nous essayons de rester indépendan­ts, précise Nobuo Aoshima (GK Dynamics President). Par exemple, nous avons un bureau chez Yamaha à Iwata mais cela n’empêche pas une certaine distance : son personnel ne peut pas y entrer. » Après toutes ces années, les petits secrets existent donc, bien que la collaborat­ion s’enclenche sur une feuille blanche avec le Planning Department et qu’elle s’étende à pratiqueme­nt tous les genres, du concept-bike au modèle de série, de la moto de route au custom. Yamaha se réserve cependant le design des scooters et des motos de compétitio­n vitesse, en raison du temps limité pour procéder à des modificati­ons et de l’importance de l’aérodynami­sme. De visu, la complicité entre Yamaha et GK n’empêche pas quelques tensions, peut-être même dues à cet aspect exclusif. L’émancipati­on pourrait-elle être envisagée sérieuseme­nt sans mettre en péril les deux entreprise­s ? « Nous sommes conscients de la possibilit­é d’une crise et faisons en sorte de la prévenir. Mais dans l’industrie, certains ont besoin de tension pour avancer », souligne Nobuo Aoshima.

« Ce n’est pas un travail “confortabl­e”, ajoute Atsushi Ichijo (directeur de GK Dynamics), car chaque design doit être absolument attractif. Nous aimons Yamaha, mais sommes dans la position de l’amoureux transi : nous devons lui plaire. Alors, nous endossons parfois le rôle de l’amant, parfois celui de la maîtresse... » L’idylle perdurera-t-elle ad vitam aeternam ? Impossible à prédire. Mais, que les initiales du fondateur de Yamaha et celles du groupe GK soient communes, ne tient-il pas plus de la destinée que du hasard ?

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 ??  ?? La Yamaha TZ 250 de 1987 rhabillée par GK Dynamics.
La Yamaha TZ 250 de 1987 rhabillée par GK Dynamics.
 ??  ?? Cette sculpture réalisée par GK Dynamics a été créée pour une exposition dont le thème était l’interactio­n entre l’objet et son utilisateu­r.
Cette sculpture réalisée par GK Dynamics a été créée pour une exposition dont le thème était l’interactio­n entre l’objet et son utilisateu­r.
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 ??  ?? Premier dessin de YD-1 de 1957, très inspiré par l’Adler MB 250. 2. Iwata Koike, professeur de design à l’université de Tokyo, est entouré des étudiants avec qui il créa GK Group en 1952.
Premier dessin de YD-1 de 1957, très inspiré par l’Adler MB 250. 2. Iwata Koike, professeur de design à l’université de Tokyo, est entouré des étudiants avec qui il créa GK Group en 1952.
 ??  ?? Le Gynza Sony Building, ouvert en 1968, servait de hall d’exposition à Yamaha.
Le Gynza Sony Building, ouvert en 1968, servait de hall d’exposition à Yamaha.
 ??  ?? Deux prototypes Yamaha dessinés par GK Dynamics : la YE 125 Moegi de 2011 (1) et la Morpho 1 750 de 1989 (2).
Deux prototypes Yamaha dessinés par GK Dynamics : la YE 125 Moegi de 2011 (1) et la Morpho 1 750 de 1989 (2).

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