1135 “BIMOTA KIT”
KAWASAKI
Une paire de roues de Bimota peut suffire à déclencher une préparation.
Après la sortie de la Honda CB 750 en 1969, puis la réponse de Kawasaki avec la 900
Z1 en 1973, la course à l’armement était lancée. Et les préparateurs s’en sont donné à coeur joie. Ils ont gonflé les moteurs, tandis que d’autres ont affûté des partie-cycles approximatives. Très vite, des célébrités sont nées de ces élucubrations mécaniques : les Français Godier-Genoud, le Néerlandais Nico Bakker, le Suisse Fritz Egli, les Japonais Yoshimura et Moriwaki, sans oublier les Italiens de Bimota. Tout ça n’allait pas sans casses, problèmes insolubles et tentatives hasardeuses, voire dramatiques. Puis les authentiques replica débarquèrent au milieu des années 80 et on oublia pour quelque temps les folles préparations autour des moteurs à air et des cadres en tubes d’acier devenues subitement obsolètes.
Elles n’avaient cependant pas dit leur dernier mot.
Des mécaniciens japonais, raffinés et pervers, ont voulu se réapproprier l’histoire de leurs marques nationales à partir des années 90.
Des fantômes ont resurgi des ateliers et des caves et sont revenus des ÉtatsUnis… Ils allaient connaître une nouvelle vie.
Campagnolo en elektron
D’autres vedettes ont ainsi émergé : AC Sanctuary, Bito R&D et Bull Dock (voir p. 38). Montant des pièces ultramodernes sur les vieux coucous (bras oscillant
DES MÉCANICIENS JAPONAIS ONT VOULU SE RÉAPPROPRIER LEUR HISTOIRE
en alu renforcé, grosses fourches Öhlins inversées, moteurs surgonflés…), ils ont ravivé d’anciennes obsessions. Didier, patron de KB Style, spécialiste ès restauration de la Kawa 900 Z1, s’en est ému. Il a, voici quelques années, enfilé son plus beau sac à dos pour rendre visite à ces nouveaux gourous. Il apprit beaucoup, et surtout que ces nippones revisitées coûtaient un oeil, voire les deux. Il a alors décidé d’explorer une voie entre délire et raison. Ainsi est née cette Kawasaki Z1 renommée « Bimota Kit ». De Bimota, elle n’en a que les jantes, mais elles constituent le prologue de la belle histoire à venir. À partir de 1977, dans son catalogue,
Bimota proposait des jantes Campagnolo en elektron
(un alliage de magnésium très léger venu de l’empire germanique) pour les Kawa Z 1000. Or, c’est justement en Allemagne que notre homme a mis la main sur ces roues qui avaient été oubliées. Il connaissait la légende : « Attention aux jantes en magnésium, elles vieillissent mal ! » Peu importe, il s’est emparé des deux précieuses roues, sans même les passer aux rayons X. Qui vivra verra ! Elles ont continué à sommeiller quelques années dans son antre, mais ont été décapées et préservées. Puis il les a enfin réveillées. Elles allaient prouver leur utilité sur une Kawa
1000 Z1 allégée et gonflée.
Championnat Superbike US
Sorte de « Japan Racer » authentique et moins ruineux que les Bull Dock, la Z1 « Bimota Kit » en montre moins qu’elle n’en recèle. Sa sobre robe noire, sa selle large et accueillante ne disent rien des vapeurs sulfureuses qui traversent ses entrailles. D’abord, la 900 Z1 a été complètement démembrée. Le cadre, renforcé et gousseté au niveau de la colonne de direction, a été transformé pour affronter la route. Le bras oscillant a été raccourci de 25 mm et renforcé par un tube en U, façon Moriwaki. Les points d’ancrage supérieur des amortisseurs ont été remplacés par des platines offrant quatre positions différentes. Les tés de fourche d’origine ont fait place à des tés de Z 650, comme à l’époque, sur les superbikes du championnat américain ; une manière d’améliorer la maniabilité. L’empattement se trouve donc réduit de 25 mm et le cadre rigidifié. Restait les suspensions : la fourche, issue d’une Kawasaki Z 1000, a été purgée et son hydraulique modifiée. Les tubes neufs ont reçu un traitement au Titanium Trinide chez Brooks Suspensions. Les amortisseurs Öhlins à bonbonne séparée ont été spécialement commandés pour cette moto. Réglables en hydraulique et en précontrainte des ressorts, ils sont montés en position inclinée : le débattement est augmenté, de même que la progressivité de la suspension. Le freinage aussi fait quelques modestes concessions à la modernité. Le disque avant de 300 mm subit les assauts d’un étrier de marque Brembo, type P4 34/30 série Or, à 4 pistons. Idem pour l’arrière avec un type P 32 F série Or, sur un disque de 245 mm. À la fin du montage, l’arrière de la moto est relevé de 10 mm par rapport à l’origine, pour gagner en garde au sol et obtenir une assiette plus sportive, sur l’avant. Car il faut savoir que le moteur, préparé en Allemagne, a été conçu pour être sportif, lui aussi. Les pistons à calotte bombée (type haute compression) ont désormais un diamètre de 73 mm (66 mm à l’origine) pour une cylindrée
finale de 1 135 cm3.
Les chemises ont donc été remplacées, pour les accueillir. La culasse a reçu de grosses soupapes (plus 2 mm à l’admission, plus 1 mm à l’échappement), des ressorts de rappel, des coupelles et des guides spécifiques.
Les conduits d’admission et d’échappement ont été polis. Les arbres à cames « racing » ont une levée et des diagrammes d’ouverture spécifiques. Les pastilles de calage du jeu aux soupapes situées au-dessus des godets ont été remplacées par des pastilles de petit diamètre logées sous les godets, pour mieux résister aux régimes élevés du moteur. Un radiateur d’huile d’époque, de marque Lockhart, refroidit les ardeurs de l’impétueux quatre-pattes. L’échappement importé du Japon, un 4-en-1 Nitro Racing, rend hommage à l’une des officines précédemment citée, puisqu’il s’agit de la marque élaborée par AC Sanctuary. Les carburateurs Mikuni-Yoshimura d’époque alimentent le 1135 en carburant et reçoivent des cornets en aluminium repoussé. La puissance ? Aucune idée précise, mais elle doit tourner autour des 110 chevaux. Ce n’est pas là l’essentiel.
Sonorités musclées
Une fois remontée, équilibrée, la Kawa a perdu quasiment 50 kg, une prouesse du type « Comme j’aime », bien réelle celle-là. La moto est passée de 246 kg à 198 kg. Soit sept de moins qu’une ZX-10R contemporaine, certes gavée d’électronique et qui affiche 200 chevaux. La Bimota Kit est tout de même capable de lui damer le pion sur la balance, malgré sa quarantaine avancée. Qu’est-ce qu’un fort caractère ? Souvent quelqu’un qui oblige les autres à s’adapter à lui, et non l’inverse. La
Bimota Kit appartient à cette race et c’est ce qu’on aime quand on choisit un deuxroues classique. En rodéo, il n’y aurait aucun intérêt à dompter un poney soumis. Dans la moto, c’est un peu la même chose. Dominer une machine revêche valorise son pilote. Non que la Bimota Kit soit difficile à emmener, mais on a perdu l’habitude des carburateurs qui engorgent, des variations dans les montées en régime, des sonorités musclées et de tous les petits bruits qui les accompagnent. La Kawasaki pousse fort et jouit d’une agilité inconnue aujourd’hui grâce à son pneu arrière Bridgestone BT 45 de 120 de large ! Légère, raccourcie, sa partie-cycle facile tranche avec son moteur à l’accent rocailleux. Une machine qu’il faut savoir cerner. Rien à voir avec la Z 900 RS qui nous accompagnait, une moto trop docile, trop facile.
LA KAWASAKI POUSSE FORT ET JOUIT D’UNE AGILITÉ SURPRENANTE