Moto Revue Classic

LINO TONTI STORIA

Peu connu du commun des motards, l’Italien Lino Tonti a pourtant créé de nombreuses motos, pour la piste comme pour la route, durant un demi-siècle.

- Texte : Alan Cathcart - Photos : Motociclis­mo d’Epoca

L'histoire d'un ingénieur italien discret et prolifique à qui l'on doit notamment la Moto Guzzi V7

La liste des illustres ingénieurs et designers italiens de motos est longue : Carcano, Taglioni, Tamburini, Marconi, Galluzzi… mais le nom de Lino Tonti est généraleme­nt négligé. Pourtant, il a développé des motos de course prestigieu­ses et a imaginé les Moto Guzzi des années 70 autour du fameux V-twin. Tonti est né en 1920 à Cattolica, sur la côte Adriatique et, après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur aéronautiq­ue en 1937, il est engagé comme dessinateu­r par Benelli à Pesaro. Il rejoint rapidement le départemen­t course sous la direction de Tino Benelli.

Là, il travaille sur la 250 monocylind­re double arbre à cames en tête avec lequel Ted Mellors a battu les

DKW suraliment­ées lors du Tourist Trophy 1939.

Et en 1950, Dario Ambrosini gagna le championna­t du monde 250 avec cette machine. En 1947, Tonti dessine sa première moto, une 75 cm3 animée par un monocylind­re double arbre. Réalésée en 125 cm3, elle est pilotée en course avec talent par Massimo Pasolini, père de Renzo. Encouragé par le succès de la nouvelle Vespa de l’époque, Tonti propose, en 1950, un scooter à grandes roues à l’allure futuriste, le Linto Cigno 125, en concurrenc­e directe avec le populaire Moto Guzzi Galletto. Il réussit à vendre le projet à Aermacchi, où il a été engagé comme ingénieur en chef, ce qui le conduit à s’installer à Varèse, dans le nord de l’Italie pour le reste de sa vie. Mais, en 1954, l’avant-gardiste scooter Dama 160 est rejeté par la direction, ce qui incite Tonti à partir. Auparavant, il avait utilisé son propre moteur Linto double arbre pour propulser un « cigare » Aermacchi qui, toujours piloté par Massimo Pasolini, a battu les records du monde 50 et 75 cm3 de

NSU sur l’autoroute de Milan. En 1956, Tonti remplace Fabio Taglioni chez FB Mondial en tant qu’adjoint d’Alfonso

Drusiani en charge de l’équipe de course. Il est nommé responsabl­e du développem­ent des puissants monos double arbre qui ont remporté les titres mondiaux 125 et 250 en 1957, aux mains de Tarquinio Provini (125) et Cecil Sandford (250) (voir MR Classic n° 108).

Mais, à la fin de la saison, le propriétai­re de Mondial, le comte Boselli, arrête la compétitio­n, tout comme Moto Guzzi et Gilera. Toutefois, le comte laisse à Giuseppe Pattoni (mécanicien de Provini et Sandford) un libre accès aux pièces détachées pour continuer à faire courir les motos avec l’aide de Tonti. C’est ainsi qu’est née la

125 Paton (contractio­n de Pattoni et Tonti), produite à une douzaine d’exemplaire­s en 1958 et dont deux modèles ont été achetés par le millionnai­re britanniqu­e Stan Hailwood pour que son fils Mike, alors âgé de 18 ans, participe à son premier TT.

Moto militaire amphibie

Tonti a également repris la conception du bicylindre Mondial 250 que Drusiani avait construit en 1955 mais qui n’avait jamais couru. Il en a redessiné la culasse, lui a fait subir une cure d’amaigrisse­ment et l’a confiée à Giampiero Zubani lors du GP d’Italie 1959 à Monza. Sans grand succès. Tonti est engagé par Bianchi la même année comme ingénieur en chef, une période qui va durer cinq ans. Il conçoit différente­s motos de route et de tout-terrain et un modèle militaire, la MT-61 (Motociclo Tattico, ou Moto Tactique – année 1961), un monocylind­re quatre-temps de 318 cm3 tout-terrain et amphibie avec son filtre à air surélevé, un circuit électrique résistant à l’eau et un échappemen­t à snorkel. Ceci a permis à Bianchi de signer un contrat avec l’armée italienne pour une commande de 4 000 motos ! Tonti a par ailleurs reçu un budget pour développer une Bianchi 250 de GP animée par un vertical-twin, qui, au début des années 1960, ressemblai­t inévitable­ment à la MondialPat­on 250, mais était mieux conçue. Aux mains de Tino Brambilla, Dicky Dale, Derek Minter et Silvio Grassetti, le twin souffrait du même handicap que la Mondial : elle était trop lourde pour s’illustrer dans la catégorie quart de litre. Mais en la réalésant, Tonti a obtenu un bon rapport poids/puissance. En 1961, Bianchi s’est donc attaqué au championna­t du Monde 350 avec les pilotes écossais Bob McIntyre et Alistair King et l’Italien Brambilla. McIntyre termina cinquième, King 8e et Brambilla 10e. Dans le championna­t italien, ce dernier a réussi à s’imposer devant la quatre-cylindres MV – un exploit que Remo Venturi rééditera en 1964. Malheureus­ement, en septembre de la même année, la marque dépose le bilan… Lino Tonti est alors recruté par Gilera pour concevoir de nouveaux modèles avec lesquels Giuseppe Gilera, propriétai­re de l’entreprise, entend faire un retour remarqué sur le marché.

Les deux hommes ont compris qu’avec l’avènement de la petite voiture abordable,

LINO TONTI ET GIUSEPPE GILERA ONT COMPRIS QUE LA MOTO ÉTAIT UN LOISIR

la moto serait désormais un engin de loisir plutôt qu’un moyen de transport. Tonti a donc modernisé le modèle le plus populaire de Gilera pour créer la 124 5 V qui connaît un succès immédiat lors de son lancement en 1966, en particulie­r dans sa version « Regolarità Casa », une des premières trail-bikes efficaces. Il conçoit aussi le bicylindre B500 qui n’a jamais été lancé en production en raison d’un manque de capital pour couvrir les coûts de fabricatio­n. Tonti quitte donc Gilera avant la reprise par Piaggio en 1969.

Double Aermacchi

Dans l’attente d’un autre employeur, il relance Linto avec l’idée de proposer une 500 pour les pilotes privés. La Linto 500 est dévoilée en novembre 1967. Tonti utilise des pièces Aermacchi car l’usine appartenan­t désormais à Harley-Davidson était à deux pas de l’atelier de son associé, Umberto Premoli, où le projet a été conçu.

Mais aussi parce que les 250 et 350 de la marque avaient une excellente réputation sur les circuits. La Linto est composée d’un cadre ouvert en tube d’acier dans lequel prend place un bicylindre à soupapes culbutées composé de deux cylindres Aermacchi de 250 cm3 montés sur un carter spécialeme­nt conçu. Une douzaine de motos de course ont été vendues et un prototype de route a été réalisé, mais jamais commercial­isé. La Linto était une moto rapide… lorsqu’elle fonctionna­it. Les problèmes d’allumage étaient récurrents jusqu’à ce que Premoli installe un allumage électroniq­ue Dansi en 1970. Malgré tout, en 1969, le Hongrois Gyula Marsovski termine deuxième du championna­t du monde 500 derrière la MV d’Agostini. Peut-être parce qu’il avait l’habitude de la maintenanc­e rigoureuse de ses Yamaha 250 et 350 deux-temps. La même année, en l’absence d’Ago, Alberto Pagani remporte la seule victoire de la Linto lors du GP d’Italie à Imola. Ce dernier connaît une bonne saison 1971 en terminant cinquième au championna­t du monde 500. Pourtant, l’ère des quatre-temps tirait à sa fin et la Kawasaki 500 H1R est rapidement devenue la

LA LINTO 500 ÉTAIT UNE MOTO RAPIDE... QUAND ELLE FONCTIONNA­IT

monture favorite des pilotes privés. Ironiqueme­nt, la plus grande rivale de la Linto durant cette période a été la Paton, autre création de Tonti.

Tonti remplace Carcano

Peu importe, ce dernier travaillai­t déjà pour Moto Guzzi qui avait fait faillite en 1967 et avait été reprise par la SEIMM, une société créée par les banques créancière­s qui avaient décidé de licencier Giulio Cesare Carcano, le concepteur légendaire des Guzzi d’après-guerre. En 1968, Tonti est engagé pour le remplacer et réussit à convaincre la nouvelle direction du bien-fondé du développem­ent d’une version sportive de la V7. Avec l’aide d’Umberto Todero, Tonti s’attelle à faire de cette dernière un bolide, même si les travaux de développem­ent sont interrompu­s par des grèves durant l’été 1969.

Quelques semaines plus tard, pourtant, le prototype V7 Sport « telaio rosso » (cadre rouge) est achevé, et après des essais à Monza, 19 records du monde sont battus – dont la distance de 1 000 km à une vitesse moyenne de 206 km/h, les 100 km à 218,5 km/h et l’heure à 217 km/h. Avec Brambilla et Jack Findlay à son guidon, cette moto, dorénavant baptisée « telaio Tonti » (cadre Tonti), remporte des succès en endurance et en Formule 750. Tonti reçoit alors le feu vert pour une version de série avec trois contrainte­s : 200 kg,

200 km/h et une boîte de vitesses à 5 rapports. La Moto Guzzi 750 V7 Sport entrée en production en 1971 est la première moto de route au monde à atteindre la vitesse de pointe homologuée de plus de 200 km/h, marquant une étape importante dans l’histoire du constructe­ur italien. Auparavant, en 1970, Guzzi avait lancé la California, que Tonti avait développée à partir du modèle V7 Police qui avait été choisi en 1969 par la police californie­nne à la place des obsolètes Harley-Davidson. La California a été un succès commercial, ce qui incita le businessma­n argentin Alejandro de Tomaso à acheter Moto Guzzi aux banques en 1973. Tonti et Tomaso, deux hommes aux caractères bien différents, se sont pourtant entendus pour développer la marque autour du fameux bicylindre en V. En 1990, après plus d’un demi-siècle au service des constructe­urs italiens,

Lino Tonti a pris une retraite méritée jusqu’à son décès, le 8 juin 2002.

AVEC LA GUZZI V7 SPORT, LINO TONTI OBTIENT 19 RECORDS DU MONDE

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 ??  ?? Monza 1967. Autour de la Moto Guzzi V7 des records du monde, on reconnaît de gauche à droite : Alberto Pagani, Lino Tonti (le concepteur de la machine), un pilote inconnu, Guido Mandracci, Ernesto Brambilla, un autre pilote inconnu, un technicien Guzzi, Roberto Patrignani (blouson),
Roberto Dal Toè (à genoux).
Monza 1967. Autour de la Moto Guzzi V7 des records du monde, on reconnaît de gauche à droite : Alberto Pagani, Lino Tonti (le concepteur de la machine), un pilote inconnu, Guido Mandracci, Ernesto Brambilla, un autre pilote inconnu, un technicien Guzzi, Roberto Patrignani (blouson), Roberto Dal Toè (à genoux).
 ??  ?? 1. La Benelli 250 de Dario Ambrosini, championne du monde en 1950. 2. La toute première Linto, la 75 cm3 double arbre de 1956.
3. La Mondial-Paton 250 de 1959.
4. Au coeur du service course, Lino Tonti chevauche la Bianchi 500 bicylindre en 1961.
1. La Benelli 250 de Dario Ambrosini, championne du monde en 1950. 2. La toute première Linto, la 75 cm3 double arbre de 1956. 3. La Mondial-Paton 250 de 1959. 4. Au coeur du service course, Lino Tonti chevauche la Bianchi 500 bicylindre en 1961.
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 ??  ?? 1. En 1966, Angelo Bergamonti pilote une Paton 350 élaborée à partir de la 250. 2. Paton 500 bicylindre de 1967.
3. La Linto 500 de 1969, née de l’accoupleme­nt de deux 250 Aermacchi. 4. Lino Tonti et la Linto 500 avec son sponsor Umberto Premoli (à gauche) et son mécanicien.
1. En 1966, Angelo Bergamonti pilote une Paton 350 élaborée à partir de la 250. 2. Paton 500 bicylindre de 1967. 3. La Linto 500 de 1969, née de l’accoupleme­nt de deux 250 Aermacchi. 4. Lino Tonti et la Linto 500 avec son sponsor Umberto Premoli (à gauche) et son mécanicien.
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 ??  ?? 1. Lino Tonti à Monza en 1971 avec Roberto Patrignani et Mike Hailwood lors du lancement de la Moto Guzzi V7 Sport.
2. En 1975, Lino Tonti lors du lancement de la Moto Guzzi Convert 1000 semi-automatiqu­e avec le journalist­e Guido Rosani.
3. En 1990, à 70 ans, Tonti prend une retraite méritée.
1. Lino Tonti à Monza en 1971 avec Roberto Patrignani et Mike Hailwood lors du lancement de la Moto Guzzi V7 Sport. 2. En 1975, Lino Tonti lors du lancement de la Moto Guzzi Convert 1000 semi-automatiqu­e avec le journalist­e Guido Rosani. 3. En 1990, à 70 ans, Tonti prend une retraite méritée.

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