FREERIDE MOTOS
En seulement six ans d’activité, Pierre Dhers a déjà une trentaine de superbes réalisations à son actif. Rencontre avec un jeune créateur et restaurateur installé en Occitanie.
Le petit atelier qui monte, qui monte…
Oyez les gars, on est à Graulhet (prononcez « groyé »). Dans le Tarn, capitale Albi, à moins de 80 bornes de Toulouse-la-rose. Ici, l’accent chante mais avec pas mal de gravier dans la voix. Façon Cabrel dans ses belles années. Cliché ? Non, j’ai moi aussi l’accent du Sud-Ouest et merci, ça me va comme ça. C’est juste pour replacer dans le contexte, cette ville endormie de Graulhet, sinistrée après un glorieux passé de cité industrielle, repartie en ces années 10 avec de nombreuses PME qui lui donnent à nouveau de l’élan. C’est donc à proximité des vignobles AOC Gaillac que Pierre Dhers fignole, démonte, décape, microbille, repeint, soude, sable, forme et modifie un tas d’engins à deux roues. Comme il le dit lui-même :
« Une restauration, ça peut prendre jusqu’à deux ans.
Voire trois dans le pire des cas. En attendant les pièces, on passe sur un autre chantier. Et parfois encore un autre ! » Et des chantiers, le jeune Tarnais de 35 ans en a une vingtaine en cours dans son atelier en ce matin de janvier lumineux où je lui rends visite. Déjà, je suis surpris par le tas de boulot en cours. Par la jeunesse du patron aussi, on est plutôt habitué à voir des cheveux grisonnants que de la belle barbe noire dans ce milieu de « trafiquants d’épaves ». « Mon grand-père et mon père retapaient des vieilles bécanes pour leur plaisir. J’ai toujours connu ça. Ma première moto de trial, c’était une 103 Peugeot que j’avais moi-même transformée
PIERRE FIGNOLE, DÉMONTE, DÉCAPE ET MODIFIE UN TAS D’ENGINS À 2 ROUES
à l’âge de 9 ans. Puis j’ai retapé une Motobécane 175 à 11 ans, toujours pour le trial. Enfin, j’ai eu une Bultaco 125 Lobito, une vraie trial ! » Il se lance ensuite dans cette discipline avec des modernes, signe quelques podiums en Midi-Pyrénées avant de rouler en enduro.
Une passion du pilotage toutterrain qui l’habite toujours aujourd’hui. Mais sans jamais avoir cessé de restaurer et tout en poursuivant des études technologiques qui allaient le mener à travailler dans l’industrie du côté de Toulouse. « Mais j’avais envie de me lancer dans la moto, qui restait ma passion. La restauration m’a semblé un chemin comme un autre… »
Tout jeune, il se lance...
En 2013, alors qu’il n’a pas 30 ans, Pierre Dhers saute le pas. Il dégote un local non loin de Graulhet, un atelier qui lui permet de s’attaquer à ses premières réalisations. « Patrick Massoutier, qui est le spécialiste de la Maico en France, m’a permis de reprendre sa clientèle quand il a pris sa retraite. Il est du Tarn, tout comme Alain Helcman de Classic Motorcycles d’Albi qui m’a renvoyé ses clients amateurs de vieilles anglaises depuis qu’il a levé le pied. » Transcendé par l’aura de ses deux aînés, consciencieux dans son travail, Freeride Motos Racing grossit rapidement.
Les commandes pleuvent, le local devient vite trop petit et le temps trop court : « Ça prend tellement d’heures de restaurer une ancienne. Si on devait tout facturer au client, ça doublerait le prix final. Je devais m’agrandir et embaucher. J’ai aussi choisi ma clientèle et les chantiers en arrêtant la simple réparation. » Il y a deux ans, il dégote un bâtiment de plus de 500 m2 qu’il rachète, transforme et investit totalement en y greffant son appartement ! L’endroit est proche de la ville, facile d’accès et discret. Parfait pour faire décoller Freeride Motos Racing. Surtout après la rencontre avec Lucas Widmer, un jeune lycéen passionné issu de l’école de mécanique moto de Graulhet qui devient rapidement son bras droit. « On a deux types de clients en restauration : le collectionneur pur et dur et puis celui qui a une vieille moto de famille et qui a envie de la faire retaper. Ensuite, on a de la transformation. Aujourd’hui, on est à 70 % de restauration, 30 % de transformation. Et je me régale à faire des motos sur-mesure… » Déjà très pointu en mécanique, Pierre s’est également formé en tôlerie, soudure, fabrication de pièces sur machines-outils (il a un tour, bientôt une fraiseuse). Il maîtrise aussi la réalisation de pièces en fibre de verre : coques ou garde-boue, carénages, etc. « Il n’y a que la sellerie que je délègue à une amie ici, à Graulhet, et de temps en temps, quelques pièces spéciales qui sont fabriquées ailleurs. » Pierre est un touche-à-tout qui a les idées claires : « Je ne fais pas vraiment dans la “show-bike”, je préfère que mes réalisations roulent et qu’elles roulent vite ! » Comme cette magnifique Ducati 999 en pleine transformation ou cette KTM 450 enduro modifiée en machine de flat-track démoniaque.
« On retape aussi des moteurs, autant pour la route que pour le tout-terrain », précise Pierre
LA RESTAURATION M’A SEMBLÉ UN CHEMIN COMME UN AUTRE...
qui connaît bien les deux univers. Dans sa réserve, je découvre de la Bonneville et de la Commando début 70, de l’Indian 1927 et de la Peugeot 1956, une CBX 1000 joliment repeinte, une rare Sunbeam S7 des années 50, une Dollar des années 30, une Benelli des années 80, des Ossa enduro 70’s, une Rickman Métisse de motocross… Plus éclectique, c’est impossible. Ce ne sont évidemment que des machines qu’il bichonne ou va bichonner. Certaines sont prêtes à livrer, comme cette Triumph de
1971 que son propriétaire vient récupérer dans la journée. « Les anglaises, c’est magnifique mais c’est fragile. Heureusement, il existe de nombreux fournisseurs de pièces en Angleterre. C’est aussi valable pour les espagnoles, les italiennes et les allemandes. Dans chaque pays, on s’intéresse beaucoup aux marques nationales ! »
Chantiers complexes
Dans son atelier de fabrication, isolé de celui de mécanique, on découvre le cadre nu d’une Indian des années 30.
« Il faut des mois pour retrouver des pièces pour ce genre de machines. D’ailleurs, je demande souvent à mes clients de s’en charger eux-mêmes afin de ne pas ajouter des heures à leur chantier. » Restaurer la Dollar fut aussi très compliqué. C’est pourtant bien une moto française, contrairement à ce que son nom laisse penser. « Là, il n’y a pas de pièces disponibles, il faut refabriquer… » Bref, il s’agit de chantiers complexes après lesquels il ne court pas. « Je préfère transformer des machines et la mode du scrambler me va bien ! J’ai réalisé pas mal de motos équipées de roues en 17 pouces même si la mode actuelle est aux 19 pouces. » Pour se faire connaître et reconnaître, Pierre fait les salons spécialisés, expose ses créations. Connu essentiellement dans son Sud-Ouest natal, il commence par être contacté par des clients « du Nord ». « Ces derniers connaissent souvent bien mieux la marque que moi. Les vrais passionnés ont une expérience et de la documentation, c’est une mine de renseignements. » Un peu plus tard, on retrouve son coéquipier, Lucas, en plein remontage d’un moteur Kawasaki quatre-cylindres dans l’atelier mécanique, tandis que Pierre se remet au remontage d’une Maico 500 d’enduro des années 90. L’entretien de certaines de ses restaurations fait aussi partie de son boulot. En tout-terrain, ses clients roulent forcément pas mal et usent ces bijoux, souvent fragiles lorsqu’ils étaient neufs. Alors anciens… Je m’étonne de ne pas voir de Harley-Davidson. « Ce n’est pas mon truc, je ne suis pas dans cette mouvancelà. Ce sont des motos chères dont la restauration peut grimper très haut en tarif. Quand tu sais que la restauration d’une trail-bike 600 comme une Honda XLR Paris-Dakar des années 80 peut aller jusqu’à 4 000 ou
5 000 euros alors que la moto cote 1 500 euros d’occasion, il faut bien réfléchir et les clients doivent savoir où ils vont. » Allez donc jeter un oeil sur le site Internet de Freeride Motos Racing et sur les pages de cet article. Comme on dit par ici, ils ne se branlent pas du manche, les jeunots.
Avec l’accent, bien sûr.
LA MODE DU SCRAMBLER ME CONVIENT PARFAITEMENT