Moto Revue Classic

RICKMAN MÉTISSE

Dès la fin des années 50, les frères Rickman créaient leur propre moto, la Métisse. Après dix ans d’activité, leur entreprise produisait 72 motos par mois.

- Texte : Henri Nyberg - Photos : archives Moto Revue

L'histoire des frères Rickman, Derek et Don, qui ont révolution­né le motocross à la fin des années 50.

Pour tous ceux qui aiment les motos anglaises des années 60 et 70, le nom de Rickman est bien connu. Notamment pour leurs belles partie-cycles sportives destinées aux moteurs japonais des Honda CB 750 et Kawasaki Z 900/ 1000 qui, en quelques années, sont devenues très populaires. Sauf qu’à l’orée des années 70, Rickman, comme beaucoup d’autres fabricants de cadres indépendan­ts, allait être confronté au fait que les Japonais ne produisaie­nt plus seulement des moteurs puissants, mais aussi de bons cadres. Pourtant, ce n’est pas avec ses partie-cycles pour la route que Rickman a commencé et d’ailleurs, ce n’est pas sur l’asphalte que la marque a connu ses plus grands succès. C’est plutôt grâce au tout-terrain qu’elle est née et a prospéré. Les frères Derek et Don Rickman sont nés en Angleterre dans les années 1930 et ont grandi avec un père très impliqué dans le speedway en tant que pilote et mécanicien. Malheureus­ement, ce dernier est décédé trop tôt et les frères ont dû reprendre son atelier.

Ils ont ainsi commencé à faire de la compétitio­n sur les pistes de motocross et de grass-track dès les années 1940, et dans les années 50, au guidon de leurs BSA, ils ont commencé à se faire un nom. Avec leur expérience et leur réseau dans le monde de la course, ils ont décidé d’ouvrir un magasin en 1958, à New Milton, dans le sud de l’Angleterre, plutôt orienté vers le motocross.

Une bitza maison

Les frères n’étaient pas satisfaits des motos de course disponible­s à l’époque et ont rapidement décidé de se retrousser les manches. Ils se sont fait aider par Tiny

DÉCÉDÉ TROP TÔT, LE PÈRE RICKMAN LÈGUE UN BEL ATELIER À SES DEUX FILS, DON ET DEREK

Camfield, qui s’était illustré en course de vitesse, et ont commencé à construire leur propre moto, d’abord pour Derek. Ils sont partis d’un moteur Triumph T100 de 500 cm3 monté dans un cadre BSA modifié, avec une boîte de vitesses BSA et une fourche de Norton. En utilisant ainsi les meilleures pièces de différente­s marques, ils ont créé une sorte de métisse et c’est ce nom français qu’ils ont choisi de donner à leur moto. Le résultat était très encouragea­nt et une autre machine fut bientôt construite pour

Don. En 1960, les frères ont réalisé une autre machine, toujours avec un cadre BSA modifié comme point de départ. Mais pour cette

Métisse Mark II, ils ont conçu un ensemble selle/réservoir en fibre de verre avec l’aide de Doug Mitchenal qui travaillai­t chez le fabricant de carénages Avon. Tous les éléments qui étaient auparavant en tôle d’aluminium étaient maintenant en matériau composite. Le succès a été immédiat et les deux frères ont compris qu’ils étaient sur la bonne voie !

Tubes Reynolds 531

Avant 1961, ils ont contacté Ken Sprayson, technicien chez le constructe­ur de tubes d’acier Reynolds. Un métal à haute résistance dans un alliage de manganèse et de molybdène est alors entré dans l’histoire sous le nom de Reynolds 531. C’est à ce fabricant que les usines s’adressaien­t pour produire leurs prototypes ou leurs cadres de compétitio­n, comme BSA ou Ariel. C’est avec des tubes Reynolds que les cadres Norton Featherbed et Commando ont été réalisés. De l’aprèsguerr­e jusqu’à l’arrêt du départemen­t en 1981, c’est à Ken Sprayson que tous les constructe­urs du monde s’adressaien­t lorsqu’ils avaient besoin d’un nouveau cadre ! Le modèle conçu par Sprayson pour les frères Rickman était un double berceau qui faisait office de réservoir.

Réservoir d’huile

La forte triangulat­ion au niveau de la colonne de direction et de l’axe de bras oscillant, ainsi que les solides tubes de 31,75 millimètre­s de diamètre extérieur et de 1,626 millimètre d’épaisseur

MÉTISSE, UN NOM FRANÇAIS POUR UNE MOTO ANGLAISE

(soyons précis !) permettaie­nt d’allier légèreté et robustesse, deux atouts pour le motocross. Ces cadres étaient ensuite confiés à la société Siff Bronze, où ils étaient d’abord brunis puis nickelés. Un cadre Rickman n’était pas seulement bon, il était aussi très beau.

Matchless contre Triumph

Trois de ces cadres Métisse Mark III ont été produits en 1961 avec un réservoir et une selle en fibre de verre appropriés, un pour chaque frère, et le troisième pour

Eddie Burroughs qui avait rejoint l’entreprise. Mais les bicylindre­s Triumph ont été abandonnés au profit de moteurs Matchless pour des raisons purement commercial­es. Rickman a développé le cadre de la Mark III en pensant à une production future, et contrairem­ent à Triumph, Matchless était prêt à fournir des moteurs et des boîtes de vitesses. Ce nouveau moteur s’est avéré bien adapté au motocross car il était à la fois solide, facile à régler et à entretenir. En tant qu’excellents pilotes, les frères étaient la vitrine parfaite pour leurs propres motos, et avec leurs succès sur les terrains de cross, l’intérêt pour les cadres

Métisse a décuplé. Bientôt, des commandes sont arrivées, d’abord du Royaume-Uni, puis du reste de l’Europe et des États-Unis, pays qui allait devenir le marché le plus important pour la marque. Rickman a rapidement proposé son cadre Mk III pour les moteurs Triumph et bientôt, la Métisse allait devenir l’une des machines de motocross les plus populaires. Lorsque le Motocross des Nations a été organisé à Hawkstone Park au Royaume-Uni en 1964, plus de la moitié des pilotes roulaient sur cette dernière ! Les frères Derek et Don Rickman faisaient tous deux partie de l’équipe anglaise qui a remporté la Coupe du monde, à la fois à Knutstorp en Suède en 1963, et donc à Hawkstone en 1964. Les succès des deux frères Rickman et de leur machine ont attiré encore plus de

LA MÉTISSE DEVIENT POPULAIRE SUR LES CIRCUITS DE MOTOCROSS

clients, et de nombreux pilotes renommés de l’époque ont choisi Métisse avec différente­s motorisati­ons.

Jusqu’à 130 employés

Du coup, les États-Unis sont devenus un marché important pour les frères Rickman et l’entreprise a encore fait un pas en avant. Ainsi, en 1964, la production fut-elle transférée du magasin vers des locaux plus adaptés et plus modernes, mais toujours à New Milton. Pendant cette période, de nombreux mécanicien­s ont été embauchés et l’entreprise des frères Rickman a compté jusqu’à 130 employés.

Dans le même temps, un kit partie-cycle a été développé pour les moteurs Bultaco

200 cm3, rapidement baptisé la petite Métisse. Ce cadre était un simple berceau mais il ressemblai­t fortement au Mark III. Lorsque Bultaco a lancé un moteur de 250 cm3 quelques années plus tard, Rickman a développé un tout nouveau cadre pour ce moteur. Ce fut également la première moto vendue par Rickman comme une machine complète sous son propre nom, et plus de 500 exemplaire­s furent livrés en Angleterre. En outre, Bultaco a vendu la même machine sous son nom dans le monde entier, mais principale­ment sur le marché américain. Fin 1965, le cadre Mark III a été modifié pour obtenir plus de débattemen­t. Puis le premier prototype de la Métisse Mark IV a été réalisé pour le bloc moteur Triumph T100. Plus tard, le cadre a également été adapté pour le moteur monocylind­re

500 cm 3 BSA B40 Victor. Les composants en fibre de verre ont été modifiés à l’occasion de cette nouvelle version. L’année suivante, Rickman a été contacté par Tim Kirby et le directeur de la compétitio­n du pétrolier BP. Ce dernier leur a demandé un cadre destiné aux courses de vitesse.

Les frères conçurent donc un cadre pour les moteurs Matchless G45 et G50.

Métisse de vitesse

La moto a été utilisée pour la première fois par Bill Ivy lors du championna­t britanniqu­e à Mallory Park, où il a gagné. Forcément, beaucoup de pilotes ont passé commande et les frères ont rapidement proposé des partie-cycles pour la course sur route adaptées à un certain nombre de moteurs, tels que les twins Matchless, Triumph 500 et 650, Norton 750 et même le monocylind­re Aermacchi. Puis les frères ont démontré

TIM KIRBY, DIRECTEUR DE BP RACING, COMMANDE UNE MOTO DE VITESSE POUR BILL IVY

qu’ils pouvaient faire plus que construire des cadres et mouler de la fibre de verre. Ils ont développé leurs propres moyeux et ont été parmi les premiers à utiliser des freins à disque sur une moto.

Zündapp et Montesa

De plus, ils ont développé une culasse à quatre soupapes fabriquée par Westlake pour les moteurs Triumph. Les ventes ont continué à progresser, notamment grâce aux 125 à moteur Zündapp et aux

250 à moteur Montesa, deux modèles vendus en grandes quantités aux États-Unis. Du coup, en 1969, la marque a encore déménagé et la production est passée à 72 motos par semaine.

Les trois années suivantes, des milliers de motos ont été exportées aux États-Unis. C’est également à cette époque que la Rickman CR (pour Café Racer) – une moto de route homologuée destinée à recevoir des quatre-cylindres japonais – a été conçue. En même temps, la production de cadres de motocross se poursuivai­t, même si la fin était proche. En effet, dans les années 70, les constructe­urs japonais se sont rapidement développés et ont mis la main sur le marché des deux-roues, que ce soit sur la route mais aussi, plus grave pour les deux frères, en tout-terrain. Ces derniers ont résisté tant bien que mal mais en 1980, ils ont arrêté la fabricatio­n de cadres et se sont consacrés à la production d’armoires en fibre de verre, de sacs d’emballage puis, plus tard, de meubles de jardin et de lits d’hôpital.

DANS LES ANNÉES 80, RICKMAN ARRÊTE LA FABRICATIO­N DE CADRES

 ??  ?? 2. La plus célèbre des Rickman Métisse, la Mark IV, ici avec un moteur Triumph.
Elle est chevauchée par l’auteur de cet article.
2. La plus célèbre des Rickman Métisse, la Mark IV, ici avec un moteur Triumph. Elle est chevauchée par l’auteur de cet article.
 ??  ?? 1. Don Rickman dans ses oeuvres lors du GP d’Espagne de motocross en 1968.
1. Don Rickman dans ses oeuvres lors du GP d’Espagne de motocross en 1968.
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 ??  ?? 1 & 2. Dans les années 70, les Japonais, comme Kawasaki, fabriquent d’excellents 4-cylindres mais des cadres médiocres.
Les frères Rickman s’engouffren­t dans la brèche.
1 & 2. Dans les années 70, les Japonais, comme Kawasaki, fabriquent d’excellents 4-cylindres mais des cadres médiocres. Les frères Rickman s’engouffren­t dans la brèche.
 ??  ?? 3. En 1972, la Rickman-Métisse de motocross est animée par un moteur Montesa.
3. En 1972, la Rickman-Métisse de motocross est animée par un moteur Montesa.
 ??  ?? 4 & 5. La même année, les frères Rickman proposaien­t une 125 de cross et d’enduro avec un moteur Zündapp.
4 & 5. La même année, les frères Rickman proposaien­t une 125 de cross et d’enduro avec un moteur Zündapp.
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 ??  ?? 2 & 3. Le double berceau Rickman a reçu tous les twins anglais, y compris le Royal Enfield 750.
2 & 3. Le double berceau Rickman a reçu tous les twins anglais, y compris le Royal Enfield 750.
 ??  ?? 1. Rickman proposait des kits complets comprenant le cadre bien sûr, mais aussi l’habillage, les freins et les suspension­s. Il n’y avait plus qu’à trouver le bon moteur. Ici, un Triumph Bonneville.
1. Rickman proposait des kits complets comprenant le cadre bien sûr, mais aussi l’habillage, les freins et les suspension­s. Il n’y avait plus qu’à trouver le bon moteur. Ici, un Triumph Bonneville.
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 ??  ?? Le carénage non enveloppan­t Rickman-CR est typique des années 60.
Le carénage non enveloppan­t Rickman-CR est typique des années 60.
 ??  ?? 3. La couverture d’un dépliant de 1972 avec, dans l’ombre, les frères Rickman.
3. La couverture d’un dépliant de 1972 avec, dans l’ombre, les frères Rickman.
 ??  ?? 1. Comme le carénage, le réservoir et la selle de cette Honda étaient en polyester.
1. Comme le carénage, le réservoir et la selle de cette Honda étaient en polyester.
 ??  ?? 2. Notez la qualité des soudures des tubes Reynolds 53.
2. Notez la qualité des soudures des tubes Reynolds 53.
 ??  ?? 4. Les frères Rickman aujourd’hui avec une refabricat­ion de Métisse. (photo K. Nakamura)
4. Les frères Rickman aujourd’hui avec une refabricat­ion de Métisse. (photo K. Nakamura)
 ??  ?? 1. Un des secrets de l’efficacité du cadre Métisse, c’est l’assemblage autour de la colonne de direction. Notez aussi le bouchon de remplissag­e d’huile.
1. Un des secrets de l’efficacité du cadre Métisse, c’est l’assemblage autour de la colonne de direction. Notez aussi le bouchon de remplissag­e d’huile.
 ??  ?? 2. Avec Westlake, Rickman a développé une culasse 8 soupapes pour Triumph.
2. Avec Westlake, Rickman a développé une culasse 8 soupapes pour Triumph.
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